Un drapeau tunisien remplacé par un étendard salafiste à la Faculté de la Manouba, une enseignante accusée d'apostasie à qui l'on fait vivre l'inquisition, une thésarde soutenant que la terre est plate à partir d'arguments religieux… Depuis la révolution de 2011, l'enseignement républicain n'a jamais été aussi marqué par le dogme religieux et le fanatisme ! C'est la raison, l'esprit critique et les valeurs académiques qui sont frappés de plein fouet sous l'œil hagard du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique… Elle avait affirmé que la Terre est plate, finie et complètement immobile ! Amira Kharoubi, une thésarde de l'Ecole nationale des ingénieurs de Sfax avait réussi à créer la stupeur nationale et internationale début avril 2017 en remettant en cause les fondements préétablis de l'astronomie. Pour étoffer sa théorie conspirationniste qu'elle a élaborée durant 5 ans sous l'œil bienveillant de son encadreur, elle s'était basée sur des versets coraniques et avait affirmé que l'âge de la Terre est de 13.500 ans ! Les lois de Newton, de Kepler et d'Einstein mais aussi la théorie du Big Bang et de l'expansion universelle ? Aux oubliettes ! Suite à cet évènement qui avait secoué la communauté scientifique, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique était intervenu dans un communiqué publié le 10 mai 2017 pour annoncer que « la thèse affirmant que la Terre est plate a été rejetée par la commission des thèses ». Après avoir rappelé le « respect total et inconditionnel de la liberté académique et de l'indépendance des structures scientifiques », le ministère avait annoncé qu'une enquête allait été menée par la Direction Générale de la Recherche scientifique en coordination avec l'Université de Sfax. Cette enquête avait fait ressortir des défaillances administratives lors de la procédure de dépôt de la thèse en question. En effet, dans le chainon universitaire, aucun intervenant n'avait daigné relever l'aspect irrationnel de cette thèse qui contrevient aux méthodes scientifiques régissant les règles d'élaboration d'une thèse. Information qui a été par la suite contredite (par qui ?)
Les membres de l'Académie Tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts de Beit El Hikma s'étaient exprimés, une première fois sur ce scandale scientifique, dans un communiqué publié le 26 juin dernier. Ils y avaient dénoncé la théorie de la platitude de la Terre et « la démarche de l'étudiante qui est dépourvue de toute dimension scientifique ». Les académiciens avaient également appelé à la prise de sanctions disciplinaires à l'encontre des responsables en cause dans cette affaire. Mais coup de théâtre ! Voilà que l'encadreur de la thèse et membre du parti Harak Al Irada, Jamel Touir, se voit reprendre ses fonctions au sein de l'Université de Sfax avoir en avoir été relevé. Sa réintégration signifierait-elle que l'enquête annoncée par l'autorité de tutelle a abouti à l'absence de sanctions à son égard et qu'aucune faute professionnelle n'a été retenue contre lui ? Dans un second communiqué écrit mercredi 27 septembre 2017 par le président de l'Académie de Beit El Hikma, Abdelmajid Charfi, la décision de réintégration de Jamel Touir « comme si de rien n'était » a été fustigée. Le communiqué incendiaire a fait état de la consternation des membres de l'Académie face au « laxisme, au charlatanisme et à la pseudo-science » qui règne actuellement en maitre. Ils ont, de nouveau, appelé l'autorité de tutelle « à assumer pleinement ses responsabilités afin d'assurer la crédibilité des diplômes universitaires et préserver la réputation des universitaires aux niveaux national et international ». D'ailleurs Beit El Hikma n'était pas la seule institution scientifique à critiquer le sujet polémique de la thèse de doctorat prétendant que la terre est plate. La société astronomique de Tunisie était également intervenue dans un communiqué publié le 3 avril 2017 et avait qualifié le sujet de thèse en question de « catastrophe pour l'Enseignement supérieur et la Recherche scientifique ». Elle avait également appelé « à reconsidérer les programmes de physique et d'astronomie dans l'enseignement secondaire dispensé aux élèves ».
Celle par qui tout avait commencé est la Professeure Beya Mannaï-Tayech, de la Faculté des Sciences de Tunis. Elle était le rapporteur de ladite thèse et s'est exprimée pour la première fois sur cet évènement dans un statut Facebook publié vendredi 29 septembre 2017. Dans une lettre ouverte adressée « aux membres de l'Académie Tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts de Beit el Hikma, à la communauté scientifique et à tous ceux et celles qui ont la conscience éveillée et qui refusent que la médiocrité gagne » Mme Mannai a fustigé l'inaction de l'autorité de tutelle et a évoqué « le dérapage scientifique et l'impunité criminelle qui ont lieu en Tunisie ». Dans cette lettre, la professeure a mentionné qu'avoir « impliqué le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans une affaire purement scientifique est une première en Tunisie » mais qu'au vu de la gravité de cet incident, cette implication était nécessaire car « fermer les yeux aurait été criminel ». Elle a également expliqué les raisons qui l'ont poussée à sortir de son mutisme : « c'est parce que, après plus de cinq mois d'attente, aucune prise de décision sérieuse à la hauteur de ce "crime scientifique" n'a été prise de la part du ministère de tutelle que j'ai, malheureusement, appelé au secours. Quand la corruption et l'intégrisme atteignent le monde scientifique je ne peux qu'être scandalisée et je ne peux me taire » a-t-elle alerté tout en appelant la communauté scientifique à plus de « vigilance pour sauvegarder les valeurs et la déontologie scientifiques et faire en sorte qu'il y ait des sanctions exemplaires pour les responsables de ce désastre ».
Une position également adoptée par le recteur de l'Université de Tunis, Hmaied Ben Aziza. Contacté ce lundi 2 octobre 2017, par Business News, il a confirmé que c'est bien la professeure Beya Mannaï-Tayech, qui fût la première à lancer l'alerte sur la thèse prétendant que la Terre est plate. Il a également affirmé que le bureau de cette lanceuse d'alerte a été récemment saccagé dans un objectif clair d'intimidation. A contrario, d'autres universitaires ont argué qu'en vertu du principe d'auto-gouvernance académique des universités tunisiennes, ils étaient contre l'implication du ministère de tutelle dans cette affaire purement interne aux universités. Dans les rangs des défenseurs de cette thèse, on trouve la maître de conférences en Génie chimique à l'Institut national des Sciences Appliquées et de Technologie, Nihel Ben Ammar, qui estime qu'il revient à l'université, par le biais des commissions de thèse, de sanctionner en interne les dépassements observés.
La révolution de 2011 a-t-elle laissée libre voie au chaos dans les universités tunisiennes ? Les multiples attaques fanatiques qui ont pour cible les établissements républicains cachent-elles un « plan diabolique d'islamisation » ? Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, enclin à de vives tensions internes, doit pouvoir établir une politique universitaire claire qui édicterait que la Tunisie est une République moderne où le savoir et sa transmission ne peuvent se faire que de façon déconnectée de tout aspect dogmatique.