Dans le tumulte de scène politique tunisienne, le rapport de la Colibe (commission des libertés individuelles et de l'égalité) est presque oublié. Le père protège le fils contre son autre fils, nomination et vote de confiance du nouveau ministre de l'Intérieur… Mais d'autres n'ont pas du tout oublié ce rapport et s'organisent pour le battre en brèche et tenter de mobiliser une certaine opinion publique contre ses dispositions. La présidente de la Colibe, Bochra Belhaj Hmida, ainsi que l'ensemble des membres de cette commission n'ont pas fini de payer le prix de leur audace. Les campagnes de diffamation contre leurs personnes étaient prévisibles et une quantité énorme d'intox a circulé sur le contenu du rapport en lui prêtant des mesures inexistantes ou en le présentant comme une loi d'ores-et-déjà votée. Toutefois, les membres de la Colibe ont tenu bon. Ils ont multiplié les sorties médiatiques pour expliquer, de la manière la plus pédagogique possible, le contenu du rapport et pour expliquer également qu'il s'agissait d'une base de dialogue en précisant les étapes suivantes. Aujourd'hui, les détracteurs de ce rapport organisent une nouvelle riposte. C'est l'auteur et journaliste Hedi Yahmed qui a sonné l'alerte aujourd'hui, 2 août 2018, à travers un statut Facebook. Il y indique que demain, vendredi, sera un jour de mobilisation contre le rapport de la Colibe. Fin connaisseur des milieux islamistes, Hedi Yahmed évoque des marches qui sortiront des mosquées après les prières dont les prêches seront contre la commission et son travail. Sans équivoque, il fait porter la responsabilité au parti Ennahdha qui mobiliserait, selon lui, ses sympathisants et ses réseaux pour militer contre ce rapport. Le parti sait que si les propositions de la Colibe sont soumises au vote à l'ARP, elles passeraient avec ou sans le soutien d'Ennahdha, dont ce dernier « libère les initiatives » de sympathisants dans la rue. L'auteur précise également que les mosquées dont sortiront ces marches de contestation sont les mêmes qui avaient été à l'origine de marches demandant l'application de la chariâa ou qui avaient d'étroites relations avec l'organisation terroriste Ansar Chariâa. Hedi Yahemd clôt son statut par une invective au président de la République, Béji Caïd Essebsi en disant : « Béji Caïd Essebsi peut souligner son nom d'or s'il se range du côté des principes d'égalité entre hommes et femmes et des libertés individuelles en faisant passer le projet au parlement. Et il sortira par la petite porte de l'Histoire de Carthage s'il se soumet aux barbes ».
Hedi Yahmed a également mentionné un autre protagoniste dans cette cabale menée contre la Colibe et ses travaux : Hechmi Hamdi. Le leader du désormais défunt courant Al Mahabba ne lésine pas sur les moyens et frôle l'illégalité avec des propos incendiaires contre le rapport, Bochra Belhaj Hmida et Béji Caïd Essebsi. Le chantre londonien de la chariâa, habitué à donner des leçons d'outre mer, était l'invité, ce matin du 2 août 2018, de Chaker Besbes sur les ondes de Shems FM. Dans une théâtralisation ridicule, il est arrivé muni d'un exemplaire du Coran pour tenter de démontrer que le contenu du rapport est contraire aux préceptes du livre saint. Inutile de préciser qu'il s'est répandu en insultes, accusations infondées et jugements de valeur puisqu'il est manifestement incapable d'argumenter autrement que par l'insulte.
Ainsi, le leader populiste a d'abord invité les auditeurs à participer massivement à la manifestation qu'il organise demain devant le théâtre municipal pour exprimer son indignation quant à ce rapport. Une manifestation qui a pour but de « mettre fin aux agissements de Béji Caïd Essebsi et de Bochra Belhaj Hmida ». Hachmi Hamdi estime que « le rapport et ses auteurs doivent être jetés à la poubelle ». Hachmi Hamdi a essayé de jouer sur la fibre religieuse de ses auditeurs en soutenant mordicus que le rapport est en contradiction avec le Coran et qu'il fallait aujourd'hui choisir entre « BCE et le livre d'Allah ». Il s'est également essayé à la diatribe identitaire en disant que « même la colonisation française n'a pas osé faire ce que font Béji Caïd Essebsi et Bochra Belhaj Hmida ». maitrisant à la perfection l'argumentaire identitaire, Hachmi Hamdi ajoute que les auteurs du rapport et le président « veulent changer l'identité de la Tunisie et enlever le mot Islam de toutes les législations […] ils veulent faire de la majorité une minorité ! ».
Et l'Etat dans tout ça ? Mystère et boule de gomme ! C'est le 13 août 2018 que le président de la République doit se prononcer sur l'issue qu'il va donner à ce rapport et l'on saura à ce moment là s'il compte le transmettre à l'ARP ou s'il va rejoindre les tiroirs, déjà bien remplis, des initiatives qui n'aboutissent pas. Pour ce qui est de l'Etat, la politique envers ce rapport se caractérise par un certain laxisme, sur au moins deux plans. Le premier c'est qu'il n'y a pas eu d'effort particulier pour soutenir ce rapport et ses propositions. Les rares ministres qui se sont exprimés sur le sujet donnaient l'impression d'exprimer des convictions personnelles et non une position officielle, collective et assumée. Sur le deuxième plan, on parle des imams payés par l'Etat tunisien et ont certains n'ont cessé d'insulter les membres de la Colibe et de dénigrer le rapport. La présidente de la commission, Bochra Belhaj Hmida, s'en était émue publiquement. Elle avait déclaré : « Certains imams adoptent un discours takfiriste et me traitent de « ennemie de l'Islam ». Ce genre de discours appelle à la haine, vise à semer la discorde et représente un danger sur la sécurité du pays. Je n'interviens pas dans le contenu du discours et je m'oppose à l'ingérence de l'Etat dans cela. Cependant, je réitère que la Constitution s'applique aussi aux Imams et je ne me tairai pas cette fois-ci car ce discours se répète tous les vendredis».
Au-delà du contenu du rapport de la Colibe, certes extrêmement important, la question des libertés individuelles a montré une certaine incapacité dans nos contrées au dialogue apaisé, dépassionné et constructif. Bochra Belhaj Hmida a été vilipendée, insultée, diffamée et jusqu'aujourd'hui, personne n'est venu avec un argumentaire construit pour critiquer le rapport de la Colibe. Toutefois, malgré tout, l'exercice reste essentiel.