De retour d'un long congé de 15 jours (une première !), je me retrouve en plein champ de bataille où les coups fleurissent de partout. Sans aucun doute, la campagne électorale bat son plein, la Tunisie vit un agréable, un très agréable, moment démocratique. On n'a plus rien à envier à la crise politique que vit actuellement l'Italie avec la démission du gauchiste populiste Giuseppe Conte, poussé par le « gamin » nationaliste tout aussi populiste Matteo Salvini. Nos plus proches voisins du Nord nous ont toujours influencé et réciproquement. Rome et Carthage ont toujours existé, bien avant l'invasion des arabes et des barbares. Ils ont leurs populistes, nous avons les nôtres. Ils ont leurs gamins (Salvini n'a que 46 ans), nous avons les nôtres. Ils ont leurs mafieux notoires, nous avons les nôtres. Parfois même, leurs gamins sont amis avec les nôtres et leurs mafieux sont associés aux nôtres. De retour de congé, donc, je retrouve une scène de guerre où l'Iznogoud tunisien, Youssef Chahed, ne sait plus quoi faire pour retrouver la place du calife après la mort du calife, Béji Caïd Essebsi. Personnellement, je ne le reconnais plus ! Ou je ne me reconnais plus. « Malade qui doit se soigner », comme m'a confié l'une de ses plus proches amies.
En l'espace d'une semaine, il a cumulé autant de gaffes qu'il en a faites durant les trois ans de son passage à la Kasbah. Dans sa chronique hebdomadaire, Sofiène Ben Hamida a bien exposé ces gaffes et leur étendue. Dans un pays qui se respecte, et en temps normal, chacune d'elle aurait déclenché un séisme politique, voire provoqué « l'impeachment ». La nationalité française cachée, la fouille au corps de Hafedh Caïd Essebsi, l'arrestation spectaculaire de Nabil Karoui, la cérémonie du 40ème jour de Béji Caïd Essebsi interdite à la Cité de la Culture et le passage de témoin à Kamel Morjane ! En l'espace d'une semaine, Youssef Chahed n'a fait que surfer entre l'illégal et l'immoral ! Pourquoi il en est arrivé là, lui qui avait tout pour gagner avec une autoroute dégagée vers Carthage ? La réponse tient en un mot : Youssef Chahed s'énerve. Il n'est plus en mode panique, il s'énerve ! Et quand on s'énerve, on fait n'importe quoi. Plongé dans sa campagne, le nez dans le guidon avec une équipe de campagne totalement hermétique aux critiques, sûr de lui et de son bon droit, Youssef Chahed multiplie les mauvais signaux et déçoit de plus en plus ses plus proches soutiens. Pour tous ceux qui ont soutenu ou cru en Youssef Chahed, « décevant » est le mot qui lui sied le mieux. Sans aucun doute, son acte le plus décevant et le plus répréhensible est le fait de nous avoir caché, trois ans durant, sa nationalité française. Dans sa chronique hebdomadaire, Marouen Achouri a brillamment exposé ce grossier mensonge. Inutile d'en rajouter une couche. Je me suffirai d'une phrase émotive et conclusive : « Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti c'est que désormais je ne pourrais plus te croire ». Ainsi parlait le grand philosophe Friedrich Nietzsche.
Son deuxième acte le plus répréhensible est cette arrestation du favori des sondages, Nabil Karoui. Nabil Karoui est pour la Tunisie ce qu'est Silvio Berlusconi pour l'Italie. Ils sont associés d'ailleurs. Les deux sont des hommes d'affaires, les deux sont des hommes de média, les deux ont commencé la politique sur le tard, les deux sont des hommes à femmes et les deux ont la réputation d'être des mafieux. La réputation de Nabil Karoui n'a rien de nouveau, on l'a toujours laissé faire. Ce n'est que le jour où il est devenu premier dans les sondages qu'on décidât de lui dire « stop ». Sa chaîne Nessma baigne dans l'illégalité depuis des années et le gendarme de l'audiovisuel, la Haica, a décidé son arrêt depuis des années. Ce n'est que le jour où Nabil Karoui est devenu premier dans les sondages que l'on a bien voulu mobiliser les forces de l'ordre afin d'exécuter (en vain) la décision de la Haica. Le blanchiment d'argent dont on l'accuse n'a rien d'exceptionnel, cela fait des années qu'on accuse Ennahdha and co de la même pratique (preuves à l'appui), mais il n'y a que Nabil Karoui qui a fait les frais de ce blanchiment supposé d'argent. L'évasion fiscale dont on l'accuse n'a rien de nouveau ou d'exceptionnel. Nous avons au moins deux autres candidats à la présidentielle qui sont accusés d'évasion fiscale (ils ont avoué eux-mêmes leur redressement de centaines de milliers de dinars), à savoir Abir Moussi et Seifeddine Makhlouf, mais il n'y a que Nabil Karoui qui fut poursuivi et arrêté pour avoir pratiqué ce sport national et uniquement au lendemain de sa montée dans les sondages. Les mafieux, les corrompus et les évadés fiscaux qui font de la politique et se présentent aux élections se comptent par dizaines, mais seul Nabil Karoui a fait l'objet d'une procédure spéciale et d'une mise sous écrou. Les dépassements et tricheries dans le processus électoral sont nombreux et l'Assemblée n'a rien fait, cinq ans durant, pour mettre le holà. Cette même assemblée a cependant réagi au quart de tour pour essayer de pondre (en vain) une législation spéciale pour empêcher Nabil Karoui de se présenter à la présidentielle. Et, pour finir, seul Nabil Karoui a fait l'objet d'une large campagne médiatique de dénigrement de la part d'I Watch, cette ONG financée par George Soros et l'Union européenne qui prétend lutter contre la corruption.
Comme quelques milliers de Tunisiens avisés, et Youssef Chahed à leur tête, je considère Nabil Karoui comme mafieux, il n'y a pas à dire, c'est indéniable. Mais comme quelques milliards de personnes sur cette terre, j'ai la naïveté de croire en un idéal de justice et je considère Nabil Karoui comme innocent tant qu'il n'a pas eu de procès juste en bonne et due forme et condamné par un tribunal par une sentence, tout aussi juste, ferme et définitive. La justice est supérieure à tout et doit rester supérieure à tout. Ce qu'a fait Youssef Chahed est contraire à la justice et contraire à la démocratie. Par son acte de vendredi dernier et l'arrestation de Nabil Karoui, il a trainé dans la boue l'image de la justice et son indépendance. Il y a eu des principes de droit qui ont été bafoués vendredi dernier, comme l'ont confirmé plusieurs magistrats, et ces violations des principes de droit sont plus graves que tout le reste. Regardez où nous en sommes et où en est notre justice ! Toute une procédure lancée pour barrer la route à un candidat à la présidentielle, basée sur une plainte déposée par une ONG financée par une puissance étrangère et un milliardaire odieux. A mes yeux, un mafieux est plus respectable qu'un traitre à la nation caché dans une ONG qui quémande de l'argent étranger pour dénoncer (dommage que le verbe « délater » n'existe pas) ses compatriotes et tirer quelques profits au passage.
Malgré la gravité de tout ce qui précède, Youssef Chahed est coupable de quelque chose d'encore plus grave. Plus grave, car elle est invisible et ne découle pas d'un acte particulier. Youssef Chahed a divisé le peu qui reste du camp progressiste laïc. Observez les commentaires et les réactions haineuses sur les réseaux sociaux, notamment sur les murs de ses aficionados. La page Facebook de notre contributeur régulier, et candidat Tahya Tounes, Karim Baklouti Barketallah, est remplie de réactions haineuses. Hélas, Youssef Chahed nous a divisés. Je connais même une famille divisée parce que ses membres n'étaient pas d'accord autour de son personnage et de sa politique. En dépit d'un bilan mitigé, qui pourrait même être considéré plus ou moins positif, Youssef Chahed s'est énervé un peu trop vite et a ôté son masque un peu trop tôt. Ou plutôt, pour notre chance, il l'a ôté à temps pour qu'on puisse voir son vrai visage avant les élections. Puisqu'il faut le redire, pour tous ceux qui ont soutenu ou cru en Youssef Chahed, « décevant » est le mot qui lui sied le mieux. C'est triste et c'est dommage pour le jeune qu'il est et pour tous ceux qui ont cru en la jeunesse de la nouvelle classe politique !