Premier jour d'un déconfinement qui ne dit pas son nom. Mais il est de notre devoir patriotique de ne pas inciter les honnêtes gens à sortir dans la rue comme des déchaînés. En vrai, ils n'ont pas attendu notre feu vert pour le faire. L'homoconfinus aura déjà tenu 6 longues et pénibles semaines. Il ne faut pas lui en demander davantage. Plusieurs citoyens n'ont que très peu supporté l'isolement, l'arrêt net et abusif de toutes leurs petites habitudes, et l'interruption de leurs activités économiques. La ruée vers l'or a débuté de pied ferme aujourd'hui. Plusieurs entreprises, commerces et bureaux ont réouvert ce matin. Cela va des services financiers, aux boutiques de parfums, maquillage et décoration de fêtes. Difficile de s'y retrouver. Qui a le droit de sortir et qui reste confiné ?
Pour le savoir, il faudra vérifier si le numéro de votre carte d'identité est pair ou impair, si votre autorisation de circulation est dûment signée, si vous êtes dans votre périmètre de circulation, si vous êtes âgé de moins de 65 ans, si vous n'êtes pas handicapé et que vous ne souffrez d'aucune maladie chronique… Certains agents de police zélés n'hésiteront pas, d'ailleurs, à vous demander un extrait de naissance pour vérifier votre âge, un bilan sanguin détaillé et même un test d'urine. Port de masque, distanciation sociale, distance à respecter dans les transports, dans les files d'attente. Pas plus de 50% dans le bus, pas plus de 5 personnes dans les agences bancaires, pas plus de 10 personnes dans les grandes surfaces. Une équation polynomiale complexe impossible à déchiffrer pour le commun des mortels. Certains ont arrêté d'essayer.
L'homoconfinus a freiné ses ardeurs pendant des semaines, s'est comporté en gentil petit citoyen, a fait son propre pain au lieu d'alourdir les queues devant les boulangeries, il s'est approvisionné en pâtes et farines afin de ne pas sortir faire ses courses tous les jours et a recouru au télétravail pour pallier le manque de transports. Les rues étaient désertes et la conscience vive.
Mais l'homoconfinus n'aura pas tenu longtemps. Tel l'enfant prodigue qui s'est égaré du droit chemin, il a fini par retrouver la raison. Les bus et métros engorgés, les souks encombrés et les embouteillages dans nos rues le prouvent bien. Aujourd'hui aura été une journée comme les autres. Les Tunisiens ont même pu avoir droit à leurs zlabiyas ramadanesques et à leurs mille-feuilles de la soirée. Mais demain est un autre jour et il se pourrait bien que l'on nous confine de nouveau car nous n'avons pas été assez sages…