De notre envoyé spécial à Milan Soufiane BEN FARHAT L'Europe est en panne. La crise économique sévit encore, malgré quelques frémissements. Çà et là, les citoyens européens croulent sous les effets de l'austérité, du chômage massif et de l'endettement. Les élections du week-end dernier, présidentielle en Pologne, et municipales en Espagne, ont officié comme un coup de semonce. Un candidat eurosceptique l'a remporté en Pologne tandis que les anti-système et anti-austérité ont mis à mal la majorité gouvernementale en Espagne. La victoire du candidat conservateur polonais, Andrzej Duda, n'augure rien de bon pour le gouvernement, qui doit être réélu cette année. Andrzej Duda est affilié au parti d'opposition Droit et Justice. La formation eurosceptique est d'ailleurs partie intégrante du bloc des conservateurs et réformistes européens, dirigé par Jarosław Kaczyński. En Espagne, le parti anti-austérité Podemos et le parti de centre-droit Ciudadanoss ont fait une percée notable lors des élections locales et régionales de dimanche. Ils scellent le déclin on ne peut plus évident du bipartisme qui a marqué la vie politique depuis la fin de la dictature de Franco en 1975. Le Parti populaire et les socialistes du Psoe s'étaient jusque-là succédé à la tête de l'Etat. Federica Motherini, représentante pour les Affaires étrangères européennes, ne s'y est pas trompée. Elle était ces derniers jours à Rome en sa qualité de récipiendaire du prix de l'Institut italien pour les études politiques internationales. Elle a précisément fait valoir que la déclaration Schuman, du 9 mai 1950, a 65 ans et des poussières. A l'entendre, l'Union européenne ne saurait être abandonnée, aujourd'hui, à l'affrontement entre les pro-Europe et les eurosceptiques : «Ce que nous indiquent les résultats des élections en Pologne et en Espagne, bien que très différents, ainsi que l'actualité grecque et britannique, a-t-elle insisté, c'est qu'il existe une nécessité de repenser notre façon d'être européens si nous voulons sauver le projet de nos pères fondateurs». Pour la Mogherini, «la diversité ne nous fait pas peur. Nous sommes la diversité. La diversité est dans notre ADN. Nous ne resterons fidèles au projet de nos pères que si nous acceptons les enfants de pères différents du nôtre. Ce ne sera plus l'Europe si nous la remplissons de nouveaux ghettos, de nouveaux marginaux, si nous la faisons vivre dans la peur de l'Autre. Notre Histoire, l'Histoire européenne, nous a appris que l'Autre, c'est nous». Des propos qui tranchent net avec la réalité croissante de la forteresse Europe en instance perpétuelle de blindage. Un blindage à double tour en fait, intérieur et extérieur. Les rêves de Robert Schuman et des pères fondateurs se brisent sur les remparts rocailleux de la donne économique et sociale. L'Europe vit toujours sous l'emprise des deux chocs pétroliers de 1974 et 1979 qui, au lendemain de décennies de prospérité soutenue, ont donné le coup de grâce aux fameuses Trente glorieuses. Depuis, une nouvelle idéologie libérale a investi la place. Elle se résume en un mot : la rigueur, un mot cache-misère qui signifie l'austérité. C'est la tristement célèbre Pensée unique. Le dico de l'info de Philippe Ravit en a résumé la teneur : «C'est dans les années 80 que la pensée unique a commencé à s'imposer, en Europe surtout, désireuse de se constituer en communauté économique forte. Cette idéologie s'articule autour de quelques grands principes : moins d'intervention de l'Etat et, donc, privatisation des grandes entreprises, lutte contre l'inflation, baisse des taux d'intérêt, réduction des déficits publics, baisse des impôts, allègement des contraintes pour les entreprises afin de faciliter la création d'emplois. Dans la pensée unique, l'économie prime la politique : c'est le marché, la concurrence qui régulent l'économie, et non les Etats. Certains gouvernements ont essayé de sortir de la pensée unique, mais ils se sont heurtés à une réalité incontournable : la création de la monnaie unique européenne, en 1999. Pour y parvenir, chaque pays doit donc combattre l'inflation et s'aligner sur la monnaie la plus forte. Malgré les promesses, cette politique n'a pas réussi.» Federica Mogherini n'a pas tort d'en appeler à l'esprit et à la lettre de Robert Schuman et des pères fondateurs de l'Europe. En Angleterre, au Portugal, en Espagne, Italie et Grèce, le capitalisme en crise impose l'austérité. Et les peuples européens trinquent, tout en désespérant du Grand soir. (Nous y reviendrons)