Par Khaled EL MANOUBI (*) Ce papier traite d'un point ayant trait à la question d'actualité de la gestion des deniers publics d'avant la révolution. L'agriculture a un besoin vital de phosphore lequel, dans l'état actuel de la technique, est fourni principalement par le minerai de phosphates. Ces derniers sont produits par cinq pays dont trois dictatures faibles et une dictature puissante: les Etats-Unis (Floride), le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et la Chine. Celle-ci a institué une taxe à l'exportation de ses phosphates si bien que le prix international a flambé avec une hausse qui a culminé à 400%! Mettons que le prix avant la flambée soit de 100: il est passé à, mettons, 350 (ou davantage encore). Le tour de passe-passe de la dictature tunisienne a alors sorti du chapeau une entreprise-écran qui achète le minerai à notre entreprise minière publique toujours à 100 pour le revendre à 350. Ces informations ont été expressément données par un programme germano-français, diffusé par une chaîne française de télévision il y a quelques mois. Les évènements du bassin minier en 2008 font, dès lors, penser à deux choses. Ayant sûrement pris connaissance de la flambée du prix international du phosphate, les mineurs ont simplement voulu avoir leur part de l'aubaine, d'autant plus que bon nombre de Tunisiens de l'élite vantent tous les bienfaits que le régime prodigue aux Tunisiens. La protestation des mineurs trouve là sa justification aussi bien en termes de salaire que même en termes d'emploi. Cette même protestation, en fragilisant la phosphorescence du dictateur, sert objectivement les consommateurs de phosphates des pays à agriculture à forte productivité. En effet, la seule façon de fissurer l'oligopole de fait des dictateurs consiste à affaiblir les maillons les plus faibles, et le plus faible de ces maillons n'est autre que la dictature de Ben Ali. Cette conclusion a, du reste, été logiquement tirée par l'émission télévisée évoquée. Mais si les évènements du bassin minier de 2008 servent la logique des deux précédentes considérations, leur recrudescence d'après la révolution est moins limpide. En effet, les grèves minières et l'entrave faite à l'acheminement ferroviaire du minerai vers les ports diminuent, toutes choses égales, par ailleurs, l'offre et donc desservent les consommateurs sur le marché international. Ça a bien été le cas puisque la valeur ajoutée à prix constants du secteur minier tunisien a décru de 63,1% en 2011 (contre seulement une baisse de 3,8% en 2008) pour (ne) reprendre (que) 61,8% en 2012. Et, s'agissant des intérêts des mineurs et des habitants du bassin minier, on voit mal comment une cessation prolongée de la production et/ou de l'acheminement peut améliorer la condition des parties prenantes locales. De fait, l'effet le plus spectaculaire a été de contribuer à faire plonger la croissance du pays à -1,9% (négative par conséquent) en 2011, diminution dans laquelle le manque à gagner dans les phosphates a joué un rôle notable. Finalement, un tel boulet a tenté d'entraver la marche de la révolution: désordre à l'intérieur, et image pire que celle de la dictature à l'extérieur, le tout au nom des damnés du bassin minier! (*) Ancien doyen et professeur émérite d'économie politique