Une balade à Berlin, une ville qui l'a marqué... Puis la découverte du septième art depuis l'adolescence Réalisé en 2015, «Chronique d'un regard» est un documentaire qui nous montre un Edgar Morin passionné et émotif... un sociologue et philosophe qui a été marqué par le cinéma depuis l'adolescence. Coréalisée par Céline Gailleurd, maître de conférences à l'Université Paris 8... cette balade nous montre le premier chercheur du CNRS sous un autre angle... Le documentaire commence par une belle aventure, une virée à travers les rues de Berlin. «Oui j'aime les Allemands, dit-il, je n'ai jamais trahi les Allemands mais j'ai haï les nazis». Ce nonagénaire a vécu les deux guerres mondiales... «Resistant, juif et communiste, j'avais trois raisons pour être tué», dit-il. Mais il a survécu aux deux guerres, bercé par sa passion de toujours, le cinéma... Il lui arrivait de voir quatre films par jour... Berlin, il l'a vu en ruine, détruite par Hitler... «Quand je circule dans cette ville, je suis triste et en même temps heureux», une ville ayant l'air de flotter... Entre 11 et 18 ans il a découvert le 7e art, «sujet bien loin de la vie mais qui me ramène à ma vie»... Edgar Morin possède cette lumière ineffable sur le visage qui dénote une belle tendresse. Cet éminent sociologue est d'une modestie déconcertante. On le voit même danser dans un parc public avec des musiciens de rue au cœur de Berlin... On en oublie la sociologie et la pensée complexe et à travers ce documentaire on se laisse emporter par la magie du son et de l'image comme dans le cinéma... Un bonheur pour les cinéphiles... Un film entrecoupé par la voix off de Mathieu Amelric, éditorialiste à Libération et critique littéraire au Monde. Il lit ses textes en émettant des remarques et en citant des anecdotes d'Edgar Morin, une lecture profonde et intéressante que l'on perçoit comme une sorte de poésie... Edgar Morin nous a même cité quelques vers. Eh oui, il est aussi poète... Cocteau, Orson Welles l'ont marqué... Là, on se voit «je» et quelqu'un d'autre, comme dit Rimbaud, déclare le sociologue et philosophe... Le Berlin d'aujourd'hui, dit-il, est réjouissant, «ce que déteste Hitler est ici: les mélanges des races, des ethnies...» Le cinéma l'a emporté loin. Une salle obscure où l'on se laisse envahir par le film, une sorte d'identification aux personnages, nous les voyons dans toute leur complexité... Le cinéma, dit-il, nous rend meilleur. Chaplin par exemple détient virtuellement le rôle du héros purificateur... Le cinéma est l'art de la rédemption... Amoureux fou de Marlene Dietrich, l'ange bleu... il a découvert le gros plan, les visages dans toute leur splendeur et une belle intensité. Le cinéma, dit-il, porte en lui les contenus latents des films, les maladies du corps social... c'est une sécrétion du corps social et du spectateur qui va à sa rencontre... le cinéma parlant l'a fasciné... En France, Edgar Morin a côtoyé des intellectuels, des hommes de lettres comme Marguerite Duras. Là, il voulait faire un livre «L'homme et la mort», un voyage à travers l'histoire psychanalytique, la littérature et les religions. Je suis parti à Cannes, dit-il, pour voir le premier film japonais et relever les archétypes. Edgar Morin a écrit pour le cinéma pour mettre à nu sa passion de toujours... Puis il s'est lancé dans une expérience télévisée insolite. En avance par rapport à son temps, il crée la téléréalité... Dans la rue, des femmes sans aucune expérience télévisuelle, micros en main, posent une question aux passants: «Es-tu heureux?»... Comment définir le bonheur, il est indicible. Ce film a bouleversé l'histoire du cinéma... Oui, la liberté, dit-il, est la seule façon de se racheter, de développer sa conscience, voire de se développer. A travers le cinéma, Edgar Morin devient une partie de ces images dont il parle... Il s'agit là d'un phénomène de développement... Entre deux guerres, Edgar Morin a été bercé par le septième art. Cinéphile assidu, il s'est rassasié d'images muettes et parlantes... Et il a survécu aux idées noires... à la mort.