Nous avons rencontré le chef du gouvernement avant-hier, vendredi, une semaine exactement après l'attentat de Sousse. Il se préparait à se rendre sur le lieu même du drame, l'hôtel Impérial au Port El-Kantaoui, afin d'observer une minute de silence à la mémoire des 38 victimes tombées sous les balles de l'assaillant, le terroriste Seïfeddine Rezgui. Retour avec M. Habib Essid sur les circonstances de l'attaque terroriste et sur les décisions prises par le gouvernement au lendemain du carnage du 26 juin dernier. «L'auteur de l'attentat terroriste de Sousse s'est entraîné dans un camp en Libye à la fin de l'année 2014» Pourquoi le gouvernement a-t-il attendu qu'une autre «catastrophe touristique» ait lieu pour déployer 1.000 policiers sur les plages et dans les hôtels ? L'attentat du Bardo en mars dernier n'était-il pas un signe ? Après le Bardo, nous avons pris plusieurs décisions pour protéger les établissements touristiques. Un problème s'est posé alors : les policiers qui circulent dans les hôtels et à leurs abords doivent-ils être armés ? Certains hôteliers avaient trouvé inadmissible l'idée d'armer les agents de sécurité. Dans la stratégie que nous avons tracée à l'époque, nous avons donné un rôle primordial aux hôteliers pour prendre en charge la protection de leurs établissements. Par la suite, nous avons fait une inspection dans toutes les stations touristiques pour évaluer les plans de protection des uns et des autres. Par exemple, l'hôtel Radisson à Djerba, auquel nous avons rendu visite dernièrement, a investi 400 millions pour assurer sa sécurité. Il a mis en place 170 caméras de surveillance et doublé le nombre de ses gardiens. Il a même installé une salle d'opération dans ses locaux. Une autre décision semble aujourd'hui incompréhensible : la fermeture après l'attaque de Sousse des 80 mosquées fonctionnant hors du contrôle de l'Etat. Par quoi expliquez-vous ce retard dans une telle prise de décision ? Lorsque le nouveau gouvernement a pris le pouvoir, nous avons enregistré la présence de 160 mosquées fonctionnant en dehors du contrôle de l'Etat, qui, soit ne disposent pas d'autorisation ou dont l'imam n'est pas désigné officiellement par le ministère des Affaires religieuses. C'est vrai qu'à ce niveau, les chiffres sont très évolutifs et dynamiques, pace que la guerre se situe également sur ce terrain. Cela ressemble beaucoup à des attaques et des contre-attaques : nous changeons un jour l'imam au discours radical d'une mosquée, le lendemain, il est débouté et remplacé par un autre aussi extrémiste. Mais nous ne cédons pas. C'est un combat de longue haleine, qui se situe sur le territoire de nos 5.000 mosquées, tout comme la lutte contre le terrorisme. La preuve, il a fallu attendre trois ans pour limoger l'imam de la mosquée Zitouna, Houcine Laâbidi. Aujourd'hui, nous avons commencé avec les endroits les plus difficiles, Béchir Ben Hassan, imam de la mosquée de Msaken, et Ridha Belhaj, imam de la mosquée Sidi Abdelhamid à Sousse ont tous deux reçu des avertissements et ont été interdits de prêche et de conduire la prière. Quelle stratégie préconisez-vous contre Hizb Ettahrir et toutes les associations qui prônent un discours et un référentiel proches de l'islam radical et en contradiction avec plusieurs articles de la Constitution ? Nous appliquerons la loi ! Le processus à ce sujet est clair : envoyer en premier lieu des avertissements aux partis et aux associations, puis passer aux procédures d'interdiction, si des révisions dans les statuts et les discours ne sont pas élaborées dans les délais impartis par la loi. Beaucoup de critiques ont fusé contre cette décision. Or, nous serons fermes pour l'appliquer. L'adoption de la Loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent nous aidera beaucoup à combattre tous ceux qui prônent un discours et un référentiel proches de l'islam radical. Comment expliquez-vous que les forces de l'ordre aient mis plus de 30 mn pour arriver sur les lieux de l'attentat et neutraliser l'assaillant de l'hôtel Impérial ? Où se situe le dysfonctionnement au niveau de la contre-attaque ? Tout d'abord, il faut le dire, des agents de la Garde nationale à bord de leur zodiac, qui contrôlent régulièrement la ligne maritime, sont intervenus très tôt. Ils ont tiré contre l'assaillant, mais ne l'ont pas atteint. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, leur fusil s'est enrayé ! Chose qui peut arriver à tout moment et dans n'importe quel pays. On compare souvent l'arrivée des forces de l'ordre à Sousse avec la rapidité de l'intervention lors des attentats du Bardo : la situation est différente. Ce n'est point pour justifier le retard accusé à Sousse, mais au Bardo la caserne se trouve juste à proximité du musée, par contre, pour parvenir à la station du Port El-Kantaoui, il a fallu traverser toute la ville de Sousse un vendredi, à midi. Aujourd'hui, une enquête est en cours pour définir les responsabilités de ce retard. Des responsables sécuritaires ont été limogés à Sousse, mais aussi à Siliana et à Kairouan, où des défaillances ont été enregistrées dans l'interception de la cellule dormante du terroriste Seifeddine Rezgui, auteur du massacre de Sousse. Cette défaillance sécuritaire serait-elle due, comme l'affirment certains observateurs de la scène politique, à l'infiltration du ministère de l'Intérieur par des agents à la sensibilité proche de Daech, ceux-là mêmes qui ont harcelé les non-jeûneurs quelques jours avant l'attentat ? Il n'y a aucune relation entre les deux affaires. Ce qui s'est passé à Sousse est dû à un dysfonctionnement de la machine sécuritaire. Non, le ministère de l'Intérieur n'est pas infiltré. Quant aux deux agents qui ont harcelé les non-jeûneurs à Monastir et à Gammarth, ils ont été suspendus de leurs fonctions. Ce sont des chefs de district. Ils ne sont pas supposés intervenir directement mais plutôt donner des instructions à leurs agents pour mener diverses actions. Ce qui prouve qu'il s'agit bien d'initiatives personnelles et non structurées ! Que sait-on aujourd'hui sur le parcours de Seifeddine Rezgui, le tueur de Sousse ? Nous savons qu'il était membre d'un club de danse et qu'il connaît bien le secteur touristique pour y avoir travaillé en tant qu'animateur. Selon les premiers éléments de l'enquête, il est parti d'une manière clandestine pour s'entraîner dans un camp en Libye, probablement à la fin de l'année 2014 dans la région de Sabrata, dans l'ouest du pays. Comment sécuriser les frontières avec la Libye pour mettre en échec, entre autres, la filière de départ vers les camps d'entraînement jihadistes, qui ont fabriqué les tueurs du Bardo et de Sousse ? Nous sommes en train de construire sur nos frontières avec la Libye une digue de protection sur 168 km, qui va de Ras Jedir à Dhéhiba. En attendant la mise en place d'une digue électronique, beaucoup plus coûteuse, celle en cours d'édification sera parsemée de points de contrôle. Il faut dire qu'après l'attentat du Bardo, nous avons accompli plusieurs opérations de lutte contre le terrorisme : actuellement plus de 1.000 terroristes sont en état d'arrestation. Nous avons par ailleurs effectué plus de 7.000 descentes. Ce travail a évité au pays beaucoup de catastrophes. D'autres attaques terroristes sont-elles prévisibles pendant le mois de Ramadan ? Certains sites parlent d'attaques contre les banques. Avez-vous reçu des informations dans ce sens ? Nous ne disposons pas de renseignements sur l'attaque du secteur bancaire. Mais tout peut arriver en Tunisie ou ailleurs, la France malgré ses énormes moyens a connu un attentat terroriste la semaine passée où la victime a été décapitée. Le risque zéro n'existe pas en matière de terrorisme. Il faut rester vigilant, notamment pendant la seconde quinzaine de Ramadan, considérée par les terroristes comme la plus propice pour exécuter les opérations les plus sanglantes, leur assurant, selon leurs croyances, un passeport vers le Paradis. Des voix parmi celles des hommes politiques se sont élevées, ces derniers jours, pour réclamer un remaniement ministériel, notamment à l'Intérieur et dans l'administration sécuritaire. Qu'en pensez-vous ? Non, un remaniement ministériel n'est pas envisageable pour le moment. Le terrorisme est un enjeu transversal qui a un rapport direct avec l'économie, l'équité régionale, la culture, l'éducation et l'enseignement. Avez-vous commencé à réfléchir à des réformes profondes de tous ces domaines pour lutter contre ce fléau ? En effet, il y a des réformes à engager dans tous ces domaines. Car nous savons aujourd'hui que ce qui entraîne les individus dans les courants extrémistes sont soit les difficultés financières ou certaines idéologies religieuses. D'où le travail de fond qu'il faudra faire sur la culture et l'enseignement. Nous étudions également les méthodes de « déradicalisation » des jeunes de retour de Syrie. La France affronte actuellement ce même problème et nous collaborons ensemble pour trouver les moyens de réhabiliter les jeunes jihadistes.