Jeudi dernier, la deuxième édition du festival ramadanesque de la Rachidia «Tarnimet» nous a gratifiés d'un monologue de Samir Agrebi, intitulé «Hakaoui wa ghanaoui». Ce fut un spectacle de grande classe, une communion totale, un éblouissant «dialogue musical» donné par un Samir Agrebi en grande forme. Le concert de Samir Agrebi (chant et violon) accompagné par Ali Ben Kaddour aux percussions (Bendir et Tar) a pris la forme d'un monologue chanté. Le concept, très original, consiste à alterner chansons, témoignages, anecdotes et histoires. Mais quand c'est Samir Agrebi qui le fait, il le fait avec cette pleine conviction que, pour tout homme qui aime véritablement la musique, qui l'aime comme on aime sa bien-aimée, le souvenir de ses œuvres, ses traces mêmes, pour peu visibles qu'elles soient, lui sont chères et suffisent pour lui donner des rêveries sans fin. Samir Agrebi ouvre la soirée par le fameux morceau «Zarzis» de feu le prince du violon Ridha Kalaï. Il enchaîne avec des chansons dont les paroles sont d'Abderramane El Abnoudi à l'instar de «Sallah Koulouaak Ya Raïess». Bien qu'il ait évoqué les hauts faits du grand parolier récemment disparu, Ridha Khouini, et le grand poète Sghaïer Ouled Ahmed, il a dédié la soirée en hommage au grand poète égyptien Abderrahamen El Abnoudi. «C'est Oulaya qui, en 1985 à Dubaï, m'a présenté à Abderrahmen El Abnoudi, qui m'a recommandé d'ailleurs de m'intéresser au patrimoine musical populaire.», se remémore-t-il. C'est ce qui l'encouragea à s'engager dans cette forme de recherche musicale. A cet égard, il a rendu hommage à Abdelahmid Sassi qui est l'élève de Am Aroussi Ben Khemis, qui lui a prêté main-forte dans la conception de la Hadhra. Grandes œuvres méconnues Samir Agrebi préfère révéler au public des compositions peu connues mais qui ont quand même trouvé bon écho à l'instar de «Négui El Ali» écrite par El Abnoudi après l'assassinat du poète engagé palestinien. Sans soutien d'orchestre, avec sa seule voix et l'âme de son violon, le public a apprécié la qualité intrinsèque de Samir Agrebi. Car c'est un artiste qui ne retient que les chansons dont il «sent» l'interprétation, raison majeure de ses longues hésitations avant de fixer son choix. Minutieux et exigeant envers lui-même, il a interprété avec brio des titres de sa composition ainsi que des mélodies empruntées aux plus grands compositeurs comme «Zaama Yassafi Eddaher» écrite par Mahmoud Bourguiba et composée par Mohamed Triki. Résultat : un voyage dans l'excellence des chants populaires de la Tunisie. «Mohamed Triki n'a composé que pour des femmes. Le seul chanteur auquel il a composé, c'est Hédi Habbouba» a-t-il précisé. Mais bien que cette soirée fût dédiée à El Abnoudi, Samir Agrebi n'a pas manqué de reprendre des chansons qu'il a composées à partir des textes de Jelidi Louini tels que «Khallouhouli». Avec Jelidi Louini, Samir Agrebi a composé des chefs-d'œuvre tels que «Soltane Hobbek» et «Ana Acheq». Avec son sourire enjôleur, ses coups de gosier, sa main tendue vers le public, Samir Agrebi n'a pas dédaigné partager son micro lorsqu'il s'agit de reprendre les refrains ou les chœurs de tous ces grands classiques. Tout au long de cette soirée, l'artiste a voulu rappeler au public la magnificence passée de la chanson, pour faire voir plus clairement, plus fortement encore sa misère d'aujourd'hui et sa désespérante pauvreté. «Oui, je veux parler de son brillant passé en relevant autant qu'il m'est possible un pan du voile de l'oubli qui le couvre. La chanson est un service public. Qui compose les hymnes nationaux, les chansons matinales?» s'interroge -t-il. Malgré les ravages du temps qui ronge et efface tout, malgré le joug des nouvelles musiques commerciales qui mène à l'abrutissement, notre virtuose a réussi en exhumant à travers les siècles le souvenir de cet art, toujours assez puissant pour lever les doutes, au moins, quant à sa beauté d'autrefois, et donner une idée suffisante pour le faire estimer. Mais en parlant de la vraie musique et de son rôle dans la société, Samir Agrebi a tenu à rappeler, au cours de ce monologue, la vie de ceux qui l'ont cultivée sans pour autant tomber dans le piège des notices biographiques. C'est pourquoi il a donné au public un avant-goût de quelques nouvelles compositions à l'instar de «El Waqt Bidhaa» (Le temps est une marchandise) de Sghaier Ouled Ahmed.