Le président de la République savait de quoi il parlait quand il a évoqué la possibilité de voir l'Etat s'effondrer au cas où se produirait un autre attentat terroriste similaire à celui de Sousse. Il s'agissait, paraît-il, de créer un choc psychologique auprès des Tunisiens. Malheureusement, certaines voix continuent à semer la discorde. Quatre jours après son annonce, l'instauration de l'état d'urgence par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, continue à faire couler beaucoup d'encre et de salive. Et comme l'on s'y attendait malheureusement, il est affligeant de le reconnaître, la classe politique et le tissu associatif se sont divisés en deux clans. Le premier se range derrière le chef de l'Etat et considère qu'il a pris la décision idoine et qu'il a assumé sa mission de président de la République garant de la constitution, qu'il a agi en sa qualité de chef suprême des forces armées et que dans les moments de crise ou de guerre menaçant la pérennité de l'Etat, tout le monde a le devoir impérieux de se comporter en soldat qui applique les ordres et assume son devoir de protecteur de la sécurité intérieure et extérieure du pays. Le deuxième clan adopte une autre attitude et se pose les questions du genre : Essebsi a-t-il consulté ses partenaires avant de décider la proclamation de l'état d'urgence; son discours a-t-il assuré les Tunisiens ou ébranlé plutôt leur confiance en leur capacité à éradiquer le terrorisme, et enfin pourquoi s'est-il référé au décret-loi du 26 janvier 1978 relatif à l'organisation de l'état de siège ? Ces questions s'ajoutent à une interrogation ayant dominé les débats depuis samedi dernier, jour de la proclamation de l'état d'urgence : pourquoi Béji Caïd Essebsi a-t-il affirmé : «Un autre attentat terroriste de l'ampleur de celui survenu à Sousse et l'Etat s'effondrera. Que savait réellement le chef de l'Etat pour avancer une telle affirmation et prévenir ainsi crûment les Tunisiens et les Tunisiennes ? On cherche le choc psychologique Autant d'interrogations qui vont au-delà des débats juridiques ou constitutionnels et aussi politiques, économiques et sociaux (voir l'article de La Presse du lundi : «Une nécessité, gare aux dérapages !») pour relancer le débat qu'on cherche à éluder : Faut-il tout dire aux Tunisiens en de pareilles circonstances ? Est relancé également le débat : est-il logique ou acceptable de continuer à semer la méfiance à l'égard du discours officiel et de discréditer l'institution de la présidence de la République en soulignant que le chef de l'Etat a commis son lapsus traditionnel en parlant de l'effondrement de l'Etat. Ce qui revient à dire que le discours d'Essebsi a plutôt semé la zizanie parmi l'opinion publique au lieu de rassurer les Tunisiens. Pour l'analyste militaire Fayçal Cherif, «il est évident que le président de la République disposait de données hautement sécuritaires qu'il ne pouvait dévoiler dans son discours de samedi dernier. Et il n'est pas tenu de révéler les détails du calendrier des opérations préparé par les terroristes pour célébrer, à leur façon, le mois saint de Ramadan, le mois qu'ils considèrent comme le mois de la moisson». Et Fayçal Chérif d'ajouter : «Il est clair maintenant que les forces de sécurité ont réussi à mettre la main sur ce calendrier ou sur une grande partie des opérations programmées d'ici fin Ramadan, et ce, en arrêtant les membres de plusieurs cellules dormantes ou des «loups solitaires» chargés de commettre ces opérations (voir l'article de Karim Ben Saïd rapportant le débat tenu hier au sein de l'ARP où les députés ont auditionné les représentants de la commission nationale de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme). Toutefois, nous devons avoir le courage de reconnaître les failles sécuritaires relevées dans les interventions de nos forces de l'ordre lors des attentats du Bardo et de Sousse. D'ailleurs, on apprend que les experts britanniques dépêchés pour participer à l'enquête suite au cauchemar survenu à Sousse n'ont pas mâché leurs mots et ont dévoilé ces failles qu'ils considèrent comme inacceptables. Maintenant, que faut-il faire face à ceux qui fouillent dans les archives pour découvrir que le décret de 1978 n'est plus valable? Pour moi, il est temps que la machine sécuritaire fonctionne de nouveau dans le sens militaire. Aujourd'hui, tout le monde doit exécuter les ordres et que les discussions superflues cessent». De son côté, Moëz Sinaoui, responsable de la communication à la présidence de la République, s'est invité au débat général et s'est trouvé obligé d'expliquer la fameuse phrase d'Essebsi sur l'effondrement de l'Etat. Il souligne : «Cette phrase avait pour objectif de créer un choc psychologique auprès des Tunisiens car on a découvert que la mobilisation citoyenne et l'implication des partis politiques et de la société civile dans la guerre contre le terrorisme ne sont pas aussi évidentes qu'on le pense. Et puis, Béji Caïd Essebsi sait très bien que l'Etat ne s'effondrera jamais et notre pays a remporté d'autres combats qui l'ont opposé auparavant à des adversaires plus durs et plus coriaces que les semeurs de mort à Sousse ou au Bardo». Quand le chef ordonne, il faut appliquer les ordres Le même discours est repris par Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nida Tounès, qui affirme : «L'heure est aujourd'hui à l'unité et à l'alignement total sur les décisions du chef de l'Etat. Quand Churchill conduisait la guerre contre les nazis, tous les Britanniques, même ceux qui le haïssaient comme la peste, s'alignaient sur ses plans et ils ont fini par vaincre le nazisme. Il est inadmissible de voir qu'une grande partie de notre classe politique n'a pas réussi à comprendre que l'étape actuelle leur impose de laisser de côté les ambitions personnelles pour sauver la Tunisie face au péril terroriste». Sauf que ce discours ne convainc pas Mohamed El Hamdi, secrétaire général de l'Alliance démocratique (représenté au Parlement par le député Mehdi Ben Gharbia qui soutient le gouvernement Essid et a annoncé son adhésion à la proclamation de l'état d'urgence). Hier, Mohamed El Hamdi a fait remarquer que «l'état d'urgence ne s'imposait pas et qu'il ne fallait pas se référer au décret du 26 janvier 1978 pour prendre une telle décision. La lecture du SG de l'Alliance démocratique rejoint, dans une large partie, celle faite par l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature. Dans une déclaration de quatre pages dont une copie est parvenue à La Presse, on lit notamment: «Il est nécessaire de suspendre l'état d'urgence et les mesures exceptionnelles dans les plus brefs délais dans la mesure où ils sont contraires à la Constitution».