Il fallait surmonter deux difficultés, et non des moindres, pour assister au récital de Leila Hjaiej, samedi, au Théâtre de la Ville de Tunis. La circulation, d'abord, et l'épreuve «héroïque» du parking, avant de pouvoir accéder à la bonbonnière. Les encombrements de la semaine qui précède l'Aïd sont connus. Il n'empêche, chapeau bas à nos concitoyens, en ces moments particulièrement troubles : rien, décidément, ne peut affecter leur insouciance, ni leur goût légendaire de la sortie. La chaleur, ensuite. Eh oui! pas de climatisation à l'arrivée. Et pour la soirée durant. On a essayé de comprendre pourquoi. Mutisme partout. On n'en a pas fini encore avec les ramadans caniculaires. Emettons le vœu que ce problème de strict confort ne sera pas, à nouveau, négligé. Mais passons, le public était là. En bon nombre. Et il a merveilleusement «fait front». S'éventant comme il pouvait. Portant même «secours» aux musiciens qui suaient des gouttes. En prêtant écoute et en appréciant par-dessus tout, c'était l'essentiel. La bonne musique et le beau chant ne s'embarrassent pas de «climat». Et il faut qu'on le reconnaisse, Leila Hjaiej, autant que ses instrumentistes, ses solistes et ses choristes ont vraiment été à la hauteur de ce que l'on attendait d'eux. Programme «trié au volet», classiques du grand répertoire, solos performants, beau volume d'orchestre, nonobstant l'ensemble relativement réduit. Voire des régals, par moments. Mérite, en premier, à Leila Hjaiej, qui s'est vraiment surpassée dans le dawr, ô combien ardu (et à la fois délicieux et enjoué) de Mohamed Othman, sur le mode «rasd», «assl el gharam». Ce dawr, sachons-le, date du début du siècle dernier, 1900 et alentours. Mais à l'écoute, même moyennement avertis, on l'eût dit d'hier, de la veille ; il précédait son temps de toute une époque, tellement il était empreint de modernité. Ses «ahats» demeurent uniques, structurés, non seulement pour distiller du simple tarab, notre bon vieux tarab, mais encore pour dénoter les aptitudes «lyriques» (en alternance de tonalités, en «quasi polyphonie) de notre chant. Les mots n'expliquent pas tout quand l'art musical tutoie ces cimes. Ajoutons-y qu'à l'image des chefs-d'œuvre du répertoire classique, le dawr «Assl el gharam» de Mohamed Othman compte plusieurs versions interprétées par des sommités du siècle sonore, Salah Abdelhay, Sabah Fakhri, Nour El Houda, la grande Mary Jebrane surtout dont, précisément, Leila Hjaiej semble s'être particulièrement inspirée, ce samedi. Ce qui est la meilleure façon (croyons-nous) de consolider sa propre version. Leila Hjaiej a été, également, très performante, dans Modhnaka Jafahou, que Abdelwahab et son meilleur «repreneur», Abdelhédi Belkhayat, chantent «en basse», mais qu'elle restitue, elle, sur une tonalité féminine, aiguë, agréablement personnalisée. Dans Habibi ya ghali, de Mohamed Ridha (si l'on ne s'abuse)et de la magnifique Naâma, aussi. Quelle mélodie! Et quelle composition! De même que dans Hasnaa Carthage de Fairouz. Bref, dirions-nous, en tout morceau, où la voix était essentiellement une voix d'interprète, c'est-à-dire n'envisageant la reprise que dans l'idée d'y ajouter de soi-même, d'y être innovant et performant. Dans le moindre «calibre», dans la taqtouqa, par exemple, dans la chanson simplifiée, qui «se chante d'elle-même», qui n'a pas forcément besoin de prouesses ou d'ajouts, les grandes voix, celles des interprètes de patrimoine en particulier, paraissent, à la limite, comme «sous-utilisées», ce qui ne produit pas toujours la meilleure impression. Maintenant, il ne s'est agi que de menus «bémols». Le récital, dans sa quasi-totalité, aura placé, la barre haut. Les impros d'instrumentistes étaient brillantissimes, mention particulière au nay de Abdelmoula dans le passage de «modhnaka», quelle pureté de «timbre» nos amis !Le final proposé par la cantatrice, surtout, El atlal, restituée à la micro-nuançe, fut un grand moment d'écoute et d'évocation.