Fin juin 2015, le gouvernement islamiste turc envoie sa police réprimer à coups de matraques et de bombes lacrymogènes une grande manifestation de la Gay Pride organisée par les homosexuels à Istanbul. L'incident n'a pas provoqué de grandes réactions de protestations ni à l'intérieur ni à l'extérieur de la Turquie. L'incident n'a pas étonné grand monde non plus, compte tenu de la nature du pouvoir politique turc dont les attitudes sont dictées dans une large mesure par des considérations religieuses. 17 juillet, un millier de daéchiens se rassemblent dans une place publique du quartier d'Omerli à Istanbul pour la prière de l'Aid. La prière s'est transformée ensuite en meeting politique où l'un des chefs de Daech en Turquie, Halis Bayancuk, dit Abu Hanzala, s'est même permis de galvaniser les pro-daéchiens et d'attiser leur hostilité contre le gouvernement turc, la police se contentant d'observer le manège les bras croisés. Tout comme l'attitude agressive contre la Gay Pride, l'attitude passive de la police vis-à-vis des daéchiens n'a pas étonné grand monde, compte tenu du « faible » que ressentent les responsables islamistes turcs vis-à-vis des égorgeurs de l'«Etat islamique». 20 juillet, les daéchiens ne peuvent plus attendre. Ils doivent remercier coûte que coûte les autorités turques pour l'aide qu'elles leur ont apportée pendant des années dans leurs guerres en Syrie et en Irak. Le remerciement viendra sous forme d'une manifestation de gratitude explosive si l'on peut dire : un attentat-suicide en Turquie même, dans la ville de Suruç, fit une trentaine de morts et une centaine de blessés. Mais l'extraordinaire stupidité de Daech ne s'arrête pas là. Jeudi 23 juillet, les terroristes ouvrent le feu sur un poste frontalier turc tuant un sous-officier et blessant deux soldats. Cette fois s'en était trop, et Erdogan, qui se trouve dans la situation passablement ridicule de l'arroseur arrosé, ne peut plus poursuivre la même politique qui, pendant trois ou quatre ans, a fait de la Turquie le pilier sur lequel repose Daech et le poumon par lequel respirent les hordes terroristes. Vendredi 24 juillet, très tôt le matin, trois chasseurs F16 de l'armée de l'air turque ont bombardé deux quartiers généraux et un point de ralliement des terroristes de Daech avec des missiles avant de regagner leur base de Diyarbakir. Ce changement majeur de la politique turque dans la région risque d'être fatal aux terroristes et bénéfique pour tous ceux qui, de l'Irak au Maroc, combattent le fléau du terrorisme. Mais pourquoi les «stratèges» de l'«Etat islamique» se sont-ils sentis obligés de mordre la main qui les a nourris tout au long de leurs guerres contre les régimes irakien et syrien? En fait, des termes tels que «alliance», «fidélité», «gratitude», «rationalité» n'existent pas dans le lexique de l'islam politique violent. Les Etats-Unis, après avoir armé et financé très généreusement pendant des années l'islamisme violent en Afghanistan, avaient été désastreusement payés de retour le 11 septembre 2001. Quant à l'Arabie Saoudite qui se croit dépositaire de l'unique version valable de l'islam, elle a subi et continue de subir dans sa chair les conséquences de sa politique catastrophique en Afghanistan, au Pakistan et dans bien d'autres pays musulmans. L'histoire retiendra, peut-être, que le 20 juillet 2015, les «stratèges» de Daech, fanatisés jusqu'à la moelle, ont commis l'erreur fatale qui va signer leur fin. L'oxygène par lequel les terroristes daéchiens respirent leur venait de Turquie. De toute évidence, sans le gouvernement islamiste de ce pays, sans la haine irrationnelle que ressent Erdogan pour le régime syrien, Daech n'aurait jamais été ce qu'il est aujourd'hui, n'aurait jamais pu accueillir autant de terroristes qui accouraient des quatre coins du monde pour rejoindre ses rangs, n'aurait jamais été si bien armé et si bien financé, n'aurait jamais pu écouler le pétrole des puits syriens et irakiens tombés sous sa domination. Autant d'avantages qui risquent de s'évaporer suite à la perte de leur précieux soutien : la Turquie. A ce niveau, on peut dire qu'à quelque chose malheur est bon, et que les martyrs tombés dans l'attentat de Suruç auront contribué, honneur posthume, à arrêter le carnage daéchien. Quelles conclusions tirer de ces événements qui s'emballent à une vitesse vertigineuse ? Tout d'abord que le changement radical de la politique turque vis-à-vis de Daech ne s'explique pas par une quelconque prise de conscience de la part des dirigeants islamistes turcs de l'étendue des dégâts provoqués par les terroristes de l'«Etat islamique», mais par l'extraordinaire stupidité de celui-ci, une stupidité à la fois fatale pour Daech et salvatrice pour tous ceux qui s'opposent à son extension. Ensuite, ces événements montrent l'étendue de l'irresponsabilité des dirigeants islamistes turcs qui ne pouvaient pas ne pas être conscients de l'énormité du danger et de l'immensité des dégâts provoqués par les hordes terroristes. Malgré cela, ils ont jugé utile et nécessaire de verser de l'huile sur le feu tant qu'il brûle les autres. Ils ont changé de politique seulement le jour où ce feu a franchi leur frontière et les a brûlés. A ce niveau, on peut dire que la stupidité politique des dirigeants islamistes de Turquie n'a rien à envier à celle de Daech. Rien d'étonnant à cela. Celui-ci et ceux-là ont en commun le même objectif ultime et partagent les mêmes références puisées dans l'islam politique.