Par Mounir Kchaou En ces temps où une consultation nationale sur la réforme de l'enseignement supérieur et la recherche scientifique vient d'être engagée par l'autorité de tutelle, sur la base d'un projet élaboré conjointement par le ministère de l'Enseignement supérieur et le syndicat des enseignants chercheurs de l'enseignement supérieur faisant partie de l'Ugtt, il nous semble opportun et même relevant d'une nécessité impérieuse d'insister sur deux conditions qui sont, à notre sens, les préalables à toute réforme. Renforcer l'autorité de la loi La première a trait à l'autorité et à la crédibilité de l'administration, censée piloter le projet, car la réussite de ce dernier dépend de la capacité de celle-là à faire montre de détermination et de vigueur dans la conduite des affaires de l'enseignement supérieur. Or ce qui inquiète est l'absence étonnante de réactivité de la part du ministère face à la multiplication des rumeurs au sujet de probables violations des règlements en vigueur, commises par des enseignants universitaires afin de s'octroyer des faveurs ou de faire profiter leurs proches de certains avantages au mépris de la loi, des principes républicains d'égalité et d'impartialité et des normes de la déontologie et de la bonne pratique universitaire. Soulignons à ce propos, avec regret, qu'aucune enquête n'a été diligentée par l'autorité de tutelle afin de déterminer les responsabilités, de sanctionner les fautifs ou de démentir ces allégations. En 2014, par exemple, les étudiants d'une prestigieuse école d'ingénieurs en informatique ont mené des grèves et ont organisé un sit-in devant le ministère de l'Enseignement supérieur pour protester contre l'admission du fils de la directrice de l'école alors qu'il était loin de répondre aux critères d'intégration établis et au détriment d'étudiants plus méritants. L'autorité de tutelle a reconnu la véracité des faits allégués et a donné raison aux étudiants en faisant pression sur la directrice pour qu'elle présente sa démission. Chose qui fut faite, mais aucune mesure disciplinaire n'a été prise et rendue publique à l'encontre de l'ex-directrice et rien n'assure que de tels manquements à l'éthique professionnelle et transgressions des règlements en vigueur ne se reproduisent pas dans d'autres institutions universitaires. Cette année même, des informations ont circulé sur les réseaux sociaux mettant en doute la fiabilité des notations, des délibérations et des résultats d'examens proclamés par un institut public de commerce sans que les choses soient pour autant tirées au clair. De telles rumeurs colportées de part et d'autre sont de nature à entacher la réputation de l'université tunisienne, à jeter le discrédit sur le système d'enseignement supérieur et à décrédibiliser les parcours universitaires. Face à ces rumeurs devenues de plus en plus insistantes, la tutelle a, le moins que l'on puisse dire, péché par mollesse et indécision. Par ailleurs et fort malheureusement, le comportement de certains enseignants du supérieur et la passivité de l'administration à sévir contre les agissements non conformes à la norme accréditent l'impression de laxisme et de dysfonctionnement. Comme exemples de ces pratiques qui nous semblent miner la crédibilité de l'université est l'exercice par les enseignants-chercheurs à titre informel d'une activité rémunérée autre que l'enseignement et la recherche. Ce phénomène qui était, autrefois, limité et pratiqué dans la discrétion la plus absolue est devenu, ces jours-ci, ostentatoire et a acquis une ampleur alarmante. Des enseignants universitaires de langue et littérature anglaise et américaine passent plus de temps dans les box de traduction simultanée dans les colloques et congrès que dans leurs bureaux à encadrer les étudiants et à mener des recherches ; des enseignants d'économie ou autres sciences sociales consacrent le gros de leur temps à monnayer leurs services d'expertise aux bureaux d'études et aux centres de recherches, tout en faisant valoir leur statut d'enseignants universitaires. Et l'on a même vu d'autres universitaires distribuer des cartes visites où le statut d'enseignant universitaire se trouve accolé à celui d'expert et d'autres présentés sur les plateaux de télévisions comme exerçant, à côté des activités liées à leur statut d'universitaires, d'autres activités professionnelles comme celle d'avocat ou de consultant auprès d'organisations nationales ou internationales, sans que l'administration de tutelle ne réagisse. Le métier d'enseignant et de chercheur universitaire est-il devenu si facile à un point qu'il devient possible de lui adjoindre une autre activité rémunérée exercée de façon informelle? Quelle est l'incidence de l'exercice d'une activité parallèle sur la pratique d'enseigner, d'encadrer les travaux des étudiants et de mener des recherches ? C'est ainsi qu'il nous est impératif, avant toute réforme, de rétablir l'Etat de droit à l'intérieur de l'université et d'interdire à tout enseignant l'exercice d'une activité rémunérée autre que l'enseignement et la recherche dans les établissements auxquels il est affecté pour recrédibiliser l'université et réhabiliter l'autorité scientifique des enseignants universitaires. Réhabiliter l'éthique professionnelle La seconde condition qui est, à notre avis, le préalable à toute réforme sérieuse de l'enseignement supérieur est la réhabilitation de l'éthique professionnelle de l'enseignant- chercheur. Un code de déontologie professionnelle des enseignants-chercheurs est nécessaire, car à défaut de ce code, les libertés académiques, revendiquées avec tant de hargne par les universitaires tunisiens, deviendraient complètement caduques. Rappelons à ce sujet que la liberté implique toujours responsabilisation et que celle-ci ne signifie pas exclusivement ordre et contrainte disciplinaires faisant de la surveillance et du contrôle ses moyens appropriés. Elle signifie également donner un supplément de pouvoir, accorder confiance et libérer l'esprit d'initiative des acteurs et notamment ici des enseignants-chercheurs. Dans cette deuxième acception, elle devient génératrice d'autonomie et d'élargissement de la marge d'action et ce dans le respect de certains principes et obligations qui délimitent un cadre commun à un corps professionnel. L'instauration d'un code de déontologie des enseignants-chercheurs universitaires tunisiens est de nature, à notre avis, à rendre explicite les règles du jeu et à réactiver le sentiment d'appartenance à un corps. Ceci est d'autant plus nécessaire que le statut n'immunise plus, aujourd'hui, contre le soupçon ou le discours réprobateur d'incompétence ou d'immoralité. D'autre part, nous remarquons partout dans le monde, sauf dans nos universités bien malheureusement, une tendance à relever les normes morales des enseignants à contrôler leur moralité, car celle-ci doit être irréprochable et exemplaire et ce pour deux raisons : la première est que les enseignants en général, et du supérieur en particulier, sont investis d'une autorité leur octroyant une influence considérable sur leurs étudiants du point de vue de leur avenir, leur plan de carrière, la qualité de leur formation et aussi du point de vue de leur projet de vie. La deuxième est que les enseignants doivent œuvrer à préserver la confiance du public à l'égard du système d'enseignement supérieur par la garantie de la qualité des diplômes et de la qualité de la formation. Dans le passé, l'université tunisienne pouvait se prévaloir de la légitimité strictement institutionnelle qu'elle tire de la noblesse de ses fonctions et notamment la transmission d'un univers symbolique et la formation du citoyen et des cadres dont l'économie du pays a besoin. Aujourd'hui, l'université ne peut plus faire l'économie d'une réflexion et d'une explication sur les raisons de son existence, sur la nature de sa mission, sur son mode de fonctionnement et aussi sur les dispositifs et les mesures disciplinaires dont elle fait usage pour faire respecter les normes de la bonne pratique universitaire. Elle doit allier les critères de la compétence et de la qualité du savoir transmis et produit à ceux définissant les normes de lisibilité déontologique exigée des enseignants. A la légitimité traditionnelle de l'université qui, aujourd'hui, souffre d'une érosion doit s'adjoindre une autre, qui lui vient en soutien, celle qui met l'accent sur le respect de l'Etat de droit et de la dimension éthique du métier de l'enseignant-chercheur. (Professeur d'enseignement supérieur, Université de Tunis)