Dans un geste de solidarité avec la Tunisie, François Bayrou, actuel maire de la ville de Pau et président du parti Mouvement Démocrate (Modem), a tenu à accompagner lui-même le célèbre orchestre de Pau pour sa tournée en Tunisie. Cette décision a été prise après que certaines voix se sont élevées en France pour annuler les représentations soutenues par l'Institut français de Tunisie et prévues au festival de Carthage, ce soir, et à El Jem, le 30 juillet. Vous accompagnez l'orchestre de Pau pour prouver que la musique est plus forte que le terrorisme et que la Tunisie est encore une destination sans risques. C'est un geste courageux de votre part... Non, c'est un geste de solidarité élémentaire. L'orchestre de Pau est un orchestre de renommée internationale. Il rentre d'une tournée au Brésil qui a été un très grand succès. Sa participation au festival de Carthage et d'El Jem avec deux concerts était confirmée. Mais quand le triste attentat de Sousse a eu lieu, beaucoup de voix se sont élevées pour l'annulation de cette tournée en Tunisie. J'ai alors décidé, avec Fayçal Karoui, le chef d'orchestre, que cette tournée serait maintenue parce que ce que les terroristes cherchent est justement cela : l'effondrement du pays. L'annulation de beaucoup de voyages touristiques pour que l'économie s'effrite fait partie des plans de ces terroristes pour déstabiliser un peu plus la société tunisienne. Tous ceux qui voient avec inquiétude ce risque ont le devoir, chacun de sa place, de résister à la peur, de refuser la terreur. Pour moi, c'était donc une évidence que l'orchestre de Pau maintienne sa tournée et son déplacement en Tunisie, d'autant plus que la musique et la culture, en général, sont un langage de paix universel. Et pour nous, ce langage de paix, c'est précisément pendant les moments difficiles qu'il doit se faire entendre. Vous auriez pu autoriser l'orchestre à venir et rester en France ... Oui, mais je voulais montrer que cette solidarité se manifeste aussi par le fait d'accompagner l'orchestre et pas seulement de lui demander de venir... Quelle était la réaction française par rapport à cette décision ? Beaucoup de Français sont sensibles à des gestes comme ceux-là. Entre la Tunisie et la France, il y a des liens profonds d'amitié et de respect mutuels et les Français sont bien conscients de l'orage par lequel passe la Tunisie. Ils connaissent l'extrême difficulté de l'environnement régional et les traumatismes au sein de la société tunisienne. C'est le genre de geste qui est reçu avec sympathie de la part de la majorité des Français. Excusez- nous d'insister, mais quelle a été à ce propos la réaction de Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur ? Bernard Cazeneuve a soutenu cette initiative et il souhaitait même assister au spectacle, n'eût été la réunion du conseil des ministres de demain. Il m'a confirmé à quel point il était sensible à ce geste et je crois que c'est un sentiment largement partagé en France que de manifester de la solidarité avec l'ensemble de la société et des responsables tunisiens. Beaucoup de Tunisiens considèrent que la France et l'Europe prennent de la distance et hésitent à venir économiquement en aide à la Tunisie, comme cela a été le cas avec la Grèce. Pour moi, il n'y a pas de distance ! Je veux rappeler que la Grande-Bretagne a demandé à ses ressortissants de quitter le pays, alors que —heureusement— la France ne l'a pas fait. Au contraire, les gestes de la France sont positifs. Cependant la Grèce appartient à l'Union européenne qui a des devoirs envers ses pays membres. Cela ne veut pas dire que nous n'ayons pas des liens et des devoirs envers la Tunisie et j'ai voulu personnellement montrer la portée de cet engagement d'amitié et de compréhension. Je vois très bien ce que les Tunisiens vivent ; ils passent par un moment très difficile de leur histoire et ils sont courageux mais cela n'empêche pas l'inquiétude et le souci. Je veux être à côté d'eux pendant ce moment. Pensez-vous que la Tunisie soit victime aujourd'hui de l'intervention française en Libye en 2011 ? Ce qui s'est passé en Libye a déstabilisé toute la région et le rôle de la France y a été déterminant. Il y a un lien de cause à effet, bien sûr. C'est pourquoi je plaide la modération et la prudence quand on prend des décisions risquées sans en avoir mesuré toutes les conséquences. Autant je pensais qu'il était légitime de défendre la population de Benghazi, en disant que c'était juste, autant la suite et le fait qu'il n'y a pas eu de vigilance ni de bonne gestion sur l'issue de ce conflit a été pour moi une erreur et même une faute. Certains politiciens étrangers sont pessimistes quand ils parlent de terrorisme en Tunisie ... Moi, je ne peux pas l'être ! Je suis inquiet mais je ne peux pas être pessimiste. Les autorités tunisiennes font tout ce qu'elles peuvent pour endiguer cette menace et ce n'est pas sans difficulté. Un pays de 11 millions d'habitants ne se surveille pas aisément. Est-ce que la France peut participer à la volonté tunisienne d'assurer la sécurité sur ses frontières ? Ma réponse est oui! C'est dans ce sens qu'il faut aller ! Et un jour, il faudra qu'il y ait une démarche internationale pour mettre de l'ordre dans les pays où le désordre, le chaos et l'anarchie perdurent. C'est un travail de longue haleine, selon vous ? Celui qui dirait que c'est là une tâche facile ne peut pas être traité de sérieux ! Récemment en visite en Tunisie, Nicolas Sarkozy a préconisé que les pays amis se réunissent pour venir en aide à la Tunisie. Qu'en pensez-vous ? Tout le monde sait que mes relations avec Nicolas Sarkozy ne sont pas très faciles et que nos avis s'opposent fréquemment. Il était président de la République au moment de l'affaire libyenne en 2011 et notre analyse n'a pas été la même. Même si je l'avais formulé différemment, l'appel à la solidarité, s'il est sincère, devrait être relayé.