Ils seront des milliers de prévenus à comparaître devant la justice pour implication dans le terrorisme On attend toujours de former les magistrats spécialisés en la matière Maintenant que la loi organique sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent a été adoptée à l'Assemblée des représentants du peuple en attendant qu'elle entre en vigueur après sa promulgation par le président de la République (il faut attendre qu'expire le délai de dix jours accordé à ceux qui pourraient attaquer la loi pour non-conformité à la constitution par-devant l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi), l'on se pose la question: qu'a-t-on fait, au niveau de la logistique (infrastructures et magistrats spécialisés) afin de pouvoir juger, dans le respect des normes internationales, les milliers de jeunes accusés de terrorisme et incarcérés actuellement dans les prisons tunisiennes, en particulier la prison d'El Mornaguia ? Autrement dit, le gouvernement Essid a-t-il pris les dispositions nécessaires pour que les présumés terroristes puissent être jugés par des magistrats spécialisés ayant l'expérience de ce genre de procès et par-devant des juridictions qui ont traité elles aussi auparavant ce genre de dossiers. La question s'impose d'autant plus que l'exclusivité prévue dans la loi antiterroriste de 2003 faisant en sorte que seul le Tribunal de première instance de Tunis est compétent pour examiner les affaires de terrorisme a été préservée dans la loi votée le 24 juillet 2015. Ainsi, les milliers de prévenus (dont le nombre ira en augmentant au vu des arrestations révélées quotidiennement par les services de sécurité intérieure) seront jugés au Tribunal de première instance de Tunis situé à Bab Benat et compétent dans toutes les autres affaires (excepté celles relatives à la malversation confiées au pôle judiciaire élisant domicile à l'avenue Mohamed-V où avait siégé l'Isie à l'époque où elle était dirigée par Kamel Jendoubi). Combien existe-t-il de magistrats-instructeurs spécialisés dans les affaires terroristes ? Est-il possible que le siège du Tribunal de première instance de Tunis puisse accueillir, dans son état actuel, notamment en matière de conditions de sécurité, les milliers d'audiences quand on va commencer à juger les terroristes déjà emprisonnés ? La loi de finances complémentaire muette Depuis l'émergence du phénomène terroriste fin 2012 et depuis que les premières victimes ont commencé à tomber sous les balles des jihadistes terroristes, les gouvernements de la Troïka et de Mehdi Jomâa ont annoncé «que les magistrats seront formés en matière d'instruction dans les affaires terroristes. Malheureusement jusqu'au jour d'aujourd'hui, à ma connaissance, aucun magistrat n'a reçu de formation spécialisée ni en Tunisie ni à l'étranger», relève Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim). Il ajoute : «A l'époque du gouvernement Mehdi Jomâa, on a annoncé la création d'un pôle spécialisé dans les affaires relatives au terrorisme. Sur le terrain, rien n'a été fait concrètement. On invoquait à l'époque le marque de moyens. Mais avec le gouvernement Habib Essid, les choses n'ont guère changé et même le projet de loi de finances complémentaire que le Parlement se prépare à examiner, jeudi 30 juillet, ne prévoit aucun crédit consacré aux juridictions spécialisées dans les affaires relatives à la justice transitionnelle ou celles concernant le terrorisme. Ce qui revient à dire que d'ici la fin de l'année 2015, rien ne changera et qu'il n'y aura pas de magistrats qui se spécialiseront exclusivement dans l'instruction des affaires liées au terrorisme. Et pour que l'opinion publique soit réellement au fait, ayons le courage de lui révéler que les deux affaires terroristes de Sousse et du Bardo sont actuellement confiées à un même magistrat qui est chargé aussi d'autres dossiers. Actuellement, il n'existe aucun magistrat spécialisé dans le terrorisme. La seule spécialisation est bien celle relative au pôle financier qui se consacre aux affaires de malversation et de corruption. Et même au sein de ce pôle, les magistrats sont submergés par le nombre des affaires qu'ils instruisent, d'où la lenteur que les gens dénoncent, craignant que ces affaires ne soient enterrées». Quant à l'exclusivité accordée au Tribunal de première instance de Tunis en matière de traitement des affaires terroristes, le président de l'Otim évoque la possibilité de créer des tribunaux spécialisés à Sousse ou à Sfax, à titre d'exemple. Il insiste, d'autre part, sur la nécessité «de déterminer le nombre de magistrats qui seront spécialisés dans les affaires liées au terrorisme et de commencer, dès à présent, à former les magistrats auxquels seront confiées ces affaires». Des menaces sérieuses Raoudha Karafi, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), insiste, pour sa part, sur le côté sécuritaire, estimant que le siège actuel du Tribunal de première instance de Tunis «n'offre plus les conditions de sécurité requises afin que les magistrats accomplissent leurs missions dans les meilleures conditions». Lundi 27 juillet, le bureau de l'AMT a rencontré le président de la République Béji Caïd Essebsi et lui a fait part de son approche quant à la sécurisation du siège du Tribunal sis à Bab Bnet où il existe «de réelles menaces puisque le pôle judiciaire spécialisé dans les affaires terroristes y a été installé sans prendre en considération le caractère spécifique de ces affaires». On apprend, d'après un communiqué publié par l'Association, que le chef de l'Etat a promis de «réserver un nouveau siège au Tribunal de première instance de Tunis». En attendant, la présidente de l'association des magistrats a martelé, hier, sur les ondes de Radio Mosaïque : «La question de la justice, plus particulièrement au niveau des conditions matérielles et des ressources humaines, n'est pas encore au cœur des préoccupations du gouvernement».