Par Azza Filali En politique, comme dans d'autres champs d'activité, l'ambition est de bonne guerre, considérée comme une valeur positive, préjugeant d'êtres énergiques, disposés à donner de leur temps et de leurs capacités pour parvenir à leurs objectifs. Mais l'ambition est une arme à double tranchant : lorsque plus rien ne compte sauf la carrière personnelle, que l'individu est prêt à balancer toutes ses valeurs par-dessus bord pour parvenir à ses fins, lorsque seuls importent la promotion de soi, les bénéfices (moraux ou autres) réalisés par soi, le succès remporté par soi. Le soi est conjugué à tous les temps, de préférence au présent et au futur. Tout cela est, évidemment, habillé de nobles prétextes : le bien des autres, du pays (évidemment), la réussite d'un projet qui fera avancer les choses. On dit souvent « tous les prétextes sont bons », ce n'est pas l'ambitieux qui contredirait cela, pour lui il n'y a que de bons prétextes, et si jamais ces prétextes s'obstinent à demeurer équivoques, rien de tel qu'un peu de bagout pour leur rendre une dimension militante qui était restée obscure et que seul l'ambitieux a eu la chance de voir. C'est que les ambitieux ont généralement la parlote aisée ; leur langue de velours vous renverse une situation en un tour de main, et à défaut de tirer sur tout ce qui bouge, ils persuadent tous ceux qui leur tombent sous la main. La récente visite de Nicolas Sarkozy est, dans ce sens, très illustrative de la trajectoire d'un ambitieux professionnel. Laissons dans une ombre confortable les raisons de cette visite, son intérêt, ce qu'elle a rapporté à la Tunisie (ou au parti Nida Tounès) et focalisons-nous sur l'homme, un ambitieux de haute volée. C'est qu'il donnerait des leçons à nos apprentis-ambitieux, si ceux-ci venaient à en manquer, mais il semble qu'en matière d'ambition, ils soient, eux aussi, pourvus d'un haut degré de professionnalisme. Mais l'ambition et la politique ne font pas bon ménage. La première a l'inconvénient d'être pressée. L'ambitieux est pressé d'arriver, de dominer, de commander, « devenir calife à la place du calife » ? Oui, mais de préférence, le plus tôt sera le mieux ! D'autres ambitieux, de moindre acabit, se contentent de tenir de toutes leurs forces au poste qu'ils ont décroché, conscients que sans eux, les réformes essentielles que le pays a engagées (et dont les citoyens ignorent tout ou presque) deviendraient lettre morte. A ceux-là, il est inutile de rappeler que les cimetières sont pleins d'ex-ambitieux qui se croyaient indispensables. Pour revenir au lien ambition-politique, il est bon que l'homme politique ait de l'ambition, mais il est impératif qu'il prenne le temps de faire mûrir le projet auquel il s'est attelé. Il est surtout indispensable qu'il sache qu'avec ou sans lui, les choses continueront leur marche, et que sa présence ne saurait ni accélérer les bonnes choses, ni éviter les mauvaises. Le destin d'un pays est certes écrit par des hommes, mais, par-delà les hommes, il y a tant d'impondérables, de hasards, tantôt heureux, tantôt fâcheux, que les meilleures volontés du monde peuvent venir se briser sur un attentat comme celui de Sousse, lorsqu'un jeune illuminé, bourré de drogues, a, en une demi-heure, démoli la saison touristique du pays, pour au moins une année. Ceci devrait conférer un peu d'humilité aux ambitieux qui s'imaginent qu'ils font tourner la planète dans le sens de leurs intérêts. La planète tourne, comme elle l'a toujours fait, indifférente aux calculs étroits et aux savantes manigances. Pour revenir à la visite de Monsieur l'ex-président Sarkozy, il va de soi que cette visite a été un immense succès !