Emile Zola se prouve singulièrement actuel dans ce roman captivant, entre le ‘'livre de plage'' et l'incursion socio-psychologique poussée en profondeur, là où la nature humaine transparaît dans toute sa crudité (et toute sa splendeur), parfois ange, parfois démon ! Si vous hésitez dans le choix du roman que vous lirez à l'ombre de votre parasol alors que vous voudriez un ouvrage qui vous transporte et vous subjugue, ‘'L'argent'' est fait pour vous. De la haute littérature savamment conduite en vrai thriller qui vous laisse vissé aux péripéties de Saccard, le personnage-pivot, qui monte une énorme entreprise financière (La Banque Universelle) dont l'intention avouée est d'apporter une dynamique d'industrie, de commerce et de services au Moyen-Orient, mais dont le but caché est de terrasser Gundermann, l'ennemi juré, le banquier omnipotent qui vaut le chiffre titanesque, imbattable, de un milliard et qui est le roi incontesté dans les méandres de la Bourse de Paris. ‘'Jouer'', comme dans un Casino Il y a avait chez ce personnage central, comme chez tous les hommes, du pire et du meilleurs, selon Mme Caroline (confidente de Saccard et sœur de l'ingénieur Hamelin qui est le premier inspirateur des investissements). Armé d'abord uniquement de son désir de revanche, il trouve immédiatement un levier intellectuel titanesque dans les idées de Hamelin, collectées de ses années de travail dans cet Orient sur lequel Zola pose un regard sévère et décrit comme ‘'des enfants idiots arrêtés dans leur croissance''. Une compagnie de paquebots, une mine d'argent, des chemins de fer alimentent ainsi la crédibilité de La Banque Universelle mais pas seulement. Car il joue à sa manière de vieux loup, ne rechignant pas sur l'en-dehors des sentiers de la régularité. Et c'est une ‘'information exclusive'' (aujourd'hui, on parlerait de délit d'initié) qui lui fait tout rafler à la Bourse. La Banque Universelle de Saccard prend de l'ampleur, double son capital, triomphe encore en Bourse, puis double encore de capital. De 25 à 50 millions de francs puis de 50 à 100 millions... Pourtant, Zola distille lentement une sourde inquiétude à l'égard de son avenir. La réussite éclatante de Saccard, ses ambitions, semblent comme un bûcher prêt à l'engloutir. De 500 francs, l'action passe à 750 puis 1000 mais quand elle atteint les 1500, Gundermann, l'homme au milliard, prend immédiatement position à la baisse. Il mobilise d'immenses ressources pour hâter la chute de l'Universelle, dont quelques lézardes apparaissent déjà sur les murs, et il use de son prestige pour entraîner lentement tous les autres derrière lui à faire de même, jusqu'à la dévalorisation finale du titre. Pour spéculer, Zola dit ‘'jouer'', comme dans un Casino et ces ‘'joueurs'' finissent presque invariablement mal. Seuls ceux qui ont un vrai savoir, un vrai entrain, poursuivent car on a partout besoin de ces entreprenants, ce que Zola appelle ‘'l'utilité de l'effort''. La fiction exagérée du triomphe Zola n'est pas tendre pour les gens d'argent. ‘'Toute une vie de vols effroyables, non plus à main armée mais en correct bandit moderne, au clair soleil de la Bourse, dans la poche du pauvre monde crédule...''. L'ouvrage est jalonné de cette prose composée dans le seul but de ‘'démasquer'' le capital sauvage. ‘'Une fièvre intense du jeu se déclarait, tout un éclat de plaisir et de luxe... Ce qui l'angoissait, c'était le terrible train, ce galop continu avec lequel on menait l'Universelle, pareille à une machine, bourrée de charbon (il n'y avait pas encore le pétrole), lancée sur des rails diaboliques, jusqu'à ce que tout crevât et sautât, sous un dernier choc...'' Pourtant, il reconnaît quelque valeur à la puissance financière brute : ‘'L'argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale, servait de terreau nécessaire aux grands travaux dont l'exécution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre...'' Jusqu'au dénouement final qui se faisait quand même annoncer de toutes les manières possible au fil du roman. Le ‘'jeu'' lui-même mais aussi la trahison des plus proches, la création d'inimitiés personnelles justement à cause de ce tempérament aventurier, la démesure, la précipitation, même la réussite... ‘'Saccard ne vivait plus que dans la fiction exagérée de son triomphe, entouré comme d'une gloire par cette averse d'or qu'il faisait pleuvoir sur Paris, assez fin cependant pour avoir la sensation du sol miné, crevassé, qui menaçait de s'effondrer sous lui.'' L'ouvrage ‘'L'argent'', 538p., mouture française, par Emile Zola - Editions Le Livre de Poche