Par Azza FILALI Kasserine, délégation d'El Mongar, village de Boulaaba : deux ou trois fois par semaine, les habitants, ouvrant leur robinet, voient couler un liquide trouble et rougeâtre. Plein de rouille. Effet d'un encrassement des valves, ce qui imposerait de les nettoyer, de les changer ou de trouver une quelconque solution définitive au problème. Depuis 2013, la région de Kasserine a déposé plainte contre la Sonede pour cette anomalie. Depuis 2013, les robinets, imperturbables, continuent à déverser, à intervalles réguliers, une eau saumâtre que les habitants sont censés boire et utiliser pour la cuisson de leurs aliments. Une situation intenable et inexcusable. Les autorités de la région sont, bien évidemment, au courant du problème, le délégué d'El Mongar doit évoquer un grand réaménagement des conduites d'eau ; quant au responsable régional de la Sonede, il ouvrira un dossier, indiquant des travaux d'envergure, programmés et imminents. Ce qui se passe dans la région d'El Bratlia illustre l'un des paradoxes de l'action politique, à savoir la résolution immédiate d'anomalies ponctuelles, mais absolument incompatibles avec la santé des citoyens et le minimum de dignité qui leur est dû. Il n'est pas nécessaire que tout fasse l'objet de programmes de vaste envergure, de projets à faire redémarrer; tout n'est pas forcément à envisager à une vaste échelle. Renouveler les canalisations d'eau de la région de Kasserine est certes important, mais régler le problème d'El Bratlia, immédiatement et de façon définitive, est absolument vital. La même comparaison pourrait être faite avec la réforme du système éducatif, grand projet demandant beaucoup de temps et d'énergie, et la mise à niveau des écoles dans les régions pour la rentrée prochaine. Il est inacceptable que certaines écoles primaires restent encore privées d'eau potable, alors que les responsables se penchent sur de vastes dossiers aussi longs qu'hypothétiques. Il est vrai que les deux actions peuvent aller de pair, mais l'expérience prouve qu'il est difficile de batailler sur plusieurs fronts en même temps. Commençons déjà par nettoyer devant nos portes... Certes, le gouvernement doit affronter un nombre infini de «petits problèmes», mais le bon sens veut que parmi eux, certains peuvent et doivent attendre une action d'envergure, tandis que d'autres imposent une solution immédiate et sans délai. Comment reconnaître cette seconde catégorie? Lorsque l'anomalie rejaillit sur la santé physique la plus élémentaire du citoyen, et qu'elle dégrade sa dignité d'être humain, au sens le plus concret et le plus physique du terme. Il est vrai qu'un jeune diplômé chômeur, qui embarque sur un rafiot pour l'Italie, est un être qui considère qu'on ne lui a pas accordé son dû, que sa dignité de citoyen n'a pas pu s'accomplir, mais ce citoyen a tout de même une eau à peu près salubre à boire, il a étudié dans des écoles disposant (a priori) d'eau potable et de toilettes à peu près correctes. Que ces besoins élémentaires ne soient pas satisfaits pour d'autres, après quatre années d'une révolution s'étant fixée pour objectif d'assurer la dignité du citoyen, voilà qui est inacceptable. Il est honteux de constater que le «Smig» de la dignité reste non garanti, même lorsqu'il s'agit d'un village au cœur de la Tunisie. Et dire que ce village n'a eu droit aux «honneurs de la presse» que parce que ses habitants, qui consommaient de l'eau insalubre depuis des années, ont bloqué un carrefour et brûlé quelques pneus! Si cette action n'avait pas été menée, ils auraient continué tranquillement à boire leur eau pleine de rouille (et sans doute d'autres ingrédients) sans que personne ne s'en inquiète... Tout le paradoxe de l'action politique est d'allier les grands projets de vaste envergure avec la résolution, la plus rapide possible, de petits problèmes, incompatibles avec une vie saine. L'importance d'une action n'est pas uniquement liée à son envergure, mais réside aussi dans le résultat auquel elle aboutit; or il est des résultats qui ne peuvent pas attendre. Tous les projets de ce gouvernement (ou d'autres gouvernements, avant et après lui) ne justifient ni n'excusent le fait que des personnes boivent de l'eau rouillée, plusieurs fois par semaine. Une eau distribuée par une société publique et donc avec l'aval de l'Etat... A.F.