L'EI frappe partout, au Maghreb, dans le Golfe, au Moyen-Orient et ailleurs. Sans stratégie commune et globale, aucune chance d'en venir à bout Ben Laden et sa Qaïda sont la création des Américains. Une affirmation élémentaire. Ils ont été puissamment et généreusement soutenus, formés et équipés par ces derniers et par leurs amis, notamment parmi les monarchies pétrolières. Une entreprise que nous qualifierons de logique, dans la mesure où il s'agissait de chasser les Soviétiques de l'Afghanistan et de mettre à bas leur influence dans la région, sans avoir à s'engager dans une guerre classique, au coût et surtout aux conséquences incalculables. Un argument peu mobilisateur pour les masses combattantes, notamment celles qui restaient à attirer des autres terres arabo-musulmanes, à qui il fallait un stimulant différent... Le jihad, tiens... Le jihad contre les communistes, pas seulement en tant que colonisateurs, mais en tant qu'athées, qu'impies. Lutter contre eux devenait ainsi une guerre sainte, un idéal qui méritait le martyre. Cela a réussi, du point de vue américain du moins, et l'Etoile rouge a été renvoyée dans son espace originel qu'il fallait encore réduire, dans les desseins US. Cela aussi allait être, avec la bénédiction complice de Gorbatchev et de sa perestroïka. Et tant pis si l'Afghanistan a immédiatement sombré dans le chaos, la guerre civile, l'ignorance et l'inculture, rétrogradant de plusieurs siècles en quelques années. Prévisions tronquées Seulement, si l'objectif des Américains et de leurs alliés a été atteint, il n'en était pas de même pour la machine qu'ils ont montée, huilée, gonflée à bloc et mise en branle. En effet, mobilisés et instrumentalisés à travers le jihad au nom de Dieu et de l'Islam, combattants afghans et — particulièrement — les autres, venus de tout le monde arabo-musulman, voulaient désormais continuer leur «mission» et libérer le monde des mécréants, à commencer par leurs propres pays où les régimes, souvent soutenus par le satan étoilé et sa sphère, n'appliquent ni «charia» ni califat. Aussi sont-ils devenus des bombes à retardement, disséminés ici et là, aussi dangereux et efficients que leurs compères restés en Afghanistan — et au Pakistan — qui ont vite fait de retourner leurs armes contre les intérêts de leurs «géniteurs» occidentaux. Le retentissant attentat des tours jumelles de New York est le témoin type de la faillite américaine dans la prévision des suites d'une entreprises qu'on a mis des années à monter et d'une nébuleuse où on s'est investi à fond. Et quand on a voulu tuer le monstre, on a découvert qu'il avait fait des petits, beaucoup trop de petits, pour en venir à bout. Et l'histoire se répéta Ce qui est étonnant, c'est que la même erreur s'est répétée en un laps temps très court, mais cette fois-ci avec Daech, une copie quasi conforme d'Al Qaïda. Cette organisation, conçue et formée par les Américains, avec l'approbation de monarchies du Golfe et de la Turquie, dans le dessein de reconfigurer le paysage géostratégique du Moyen-Orient, a tôt fait d'échapper à tout contrôle, se décrétant «Etat islamique» à régime de califat, avec l'ambition de conquérir l'ensemble du monde arabo-musulman. Ses prétentions n'épargnent pas les pays par la volonté desquels elle a existé et où elle s'est infiltrée, endoctrinant et enrôlant des adeptes et des candidats au «martyre». Une fois encore, la machine qu'on croyait maîtriser s'est rebellée et a frappé — elle frappera encore — autant les cibles auxquelles elle était destinée, que ceux qui l'ont montée ou approuvé, en fermant les yeux et...la bouche, son existence. Au-delà de la Syrie et de l'Irak, où elle s'est enracinée, de la Libye et du Yémen où elle prend de l'ampleur, de l'Egypte où elle fait des ravages, de la Tunisie et de l'Algérie où sa menace est réelle, ce sont les monarchies du Golfe et la Turquie — qui a longtemps constitué le point de passage des jihadistes vers la Syrie — qu'elle frappe aujourd'hui...pour faire mal, très mal, souvent aidée par les frictions et les fractions qui ne manquent pas dans la région. Les stratèges de Daech savent qu'ils ne mènent pas une guerre traditionnelle où il est communément connu qu'il faut à tout prix éviter de se mettre tout à dos. Au contraire, la survie de leur organisation dépend de sa dissémination, de telle sorte qu'on ne peut la contenir dans une même aire, convertissant la limite de ses effectifs en atout stratégique, difficile à cerner. Une stratégie commune Aussi combattre cette organisation avec efficience ne peut s'effectuer d'une manière séparée et chaque pays à sa guise. En plus de l'assèchement des sources de financement, du travail de renseignement concerté indispensable, il s'agit de mettre en œuvre une stratégie commune entre tous les pays où ce mal s'est déclaré ou menace de se déclarer, mettre les moyens adéquats qui ne sont pas que sécuritaires ou militaires, afin que la riposte ne laisse aucune chance à ce cancer de se reproduire. D'autant qu'il a démontré que ce n'est pas en étant repoussé au-delà des frontières d'une région qu'on s'en prémunit. Lui faire face au Maghreb, en Syrie ou en Egypte, doit être considéré autant le combat de ces pays que ceux du Golfe et vice-versa. Tout le monde est sur la même barque, tout le monde court le même risque et tout le monde n'a plus le loisir de faire des calculs de bouts de chandelle ou d'humeur, y compris le Qatar qui, avec Israël, est le seul des pays actifs sur la scène internationale à être épargné par Daech dans la région.