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Pourquoi devons-nous défendre :les hammams en Tunisie?
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 08 - 2015


Par Dr Hamza ESSADDAM
Sur le plan symbolique, le hammam, pour ses défenseurs, est l'équivalent de la Tour Eiffel pour les Français ou de la tour de Pise pour les Italiens, car comme ces deux ouvrages, il est le témoignage visible et palpable du génie humain. Mais le hammam se singularise par rapport à ces deux monuments, d'une part par son antériorité (plus de 14 siècles), et, d'autre part, par le fait que le but pour lequel il a été conçu dès le départ, à savoir la préservation de la santé du corps, est encore vivace et d'actualité. Cette fonction est rappelée encore aujourd'hui comme hier par le nom donné aux ouvriers et aux ouvrières (harez et harza) des hammams. Ces deux noms dérivent du mot hirz qui veut dire en arabe prévention « el ouikaya » (1).
Dans la civilisation arabo-islamique, l'hygiène du corps a fait l'objet d'une surabondance de publications (2). Elle est considérée comme une des conditions nécessaires pour la préservation de la liberté de l'esprit, comme l'écrit Tubiana : « Il y a dans l'œuvre d'Avicenne (Ibnou Sina) des phrases d'une modernité impressionnante ; par exemple : la santé de l'homme repose sur l'équilibre entre le corps et l'esprit » (3). Ce dogme de la civilisation arabo-musulmane est tellement bien ancré en Tunisie, qu'il était affiché, dans nos salles des écoles primaires : « l'esprit sain est dans le corps sain».
L'institution du hammam, constitue l'une des deux institutions phares sur laquelle a été bâtie la civilisation arabo-musulmane, l'autre institution étant l'Université. Chaque ville du vaste empire musulman, qui s'étendait sur trois continents, avait ses hammams et son ou ses universités, « Bagdad dont la population atteignait 3 millions d'habitants possédait près de 60.000 hammams » (4), « au 10ème siècle il y avait un hammam dans chaque rue de Bagdad. A la même époque, on trouvait à Cordoue plus de 6.000 hammams, et Kairouan comptait un hammam pour 80 habitants». (5) Tunis comptait au 11e siècle 15 bains, et au 17e siècle 40 établissements (6) Le hammam était synonyme de la perfection d'une ville comme le dit Shéhérazade à sa 494e nuit de ses contes des mille et une nuits : « ...et ta ville ne sera une ville vraiment parfaite que le jour où elle aura un hammam » (7). Cette institution était régentée par des règles médicales et hygiéniques, auxquelles tous les utilisateurs du hammam se pliaient naturellement (8). Ce « code civil de l'hygiène », un des plus vieux codes civils qui veille sur le bien-être des hommes, était jusqu'à une date récente respecté. Son efficacité est attestée par le fait que pendant 14 siècles les hammams n'ont jamais été accusés de développer ou de diffuser les épidémies, mais, mieux encore, comme nous le verrons plus loin, ils ont constitué même un barrage à celles-ci.
Dans le hammam on était lavé avec de l'eau et du savon, massé et parfumé. Si l'emploi du savon pour le nettoyage remonte aux époques sumérienne et pharaonique, les Arabes en amélioreront ses caractéristiques physiques par l'emploi de la soude dans sa fabrication (savon plus ferme et moins rapidement soluble dans l'eau). Ces améliorations, qui le rapprochent de notre savon d'aujourd'hui, ont amené certains à le classer parmi les inventions arabes : « Le savon sec fut une réalisation arabe connue plus tard en Europe. Des villes de Syrie (Naplouse, Damas, Alep...) étaient célèbres au Moyen Age pour leurs savons. De grands chimistes, Arrazi (Averroes) par exemple, s'en sont préoccupés. Des connaissances supplémentaires en ont d'ailleurs parfois dérivé. Arrrazi (Averroes), en particulier, a découvert un procédé permettant de fabriquer de la glycérine à partir de l'huile d'olive » (5). Le choix des parfums employés, était aussi codifié en fonction de nombreux paramètres dont l'âge. Nous retrouvons ces indications détaillées dans le traité sur les parfums d'ibn al-Jazzar (9). Quand aux massages, ils sont aujourd'hui unanimement reconnus et appréciés en Occident, comme moyens modernes de relaxation et de lutte contre le stress. Ces vertus médicales redécouvertes au 21e siècle expliquent actuellement l'expansion fulgurante des hammams en Europe.
Le concept du hammam dans la civilisation arabo-islamique s'appuie sur un corpus de sciences différentes mais complémentaires : sciences physiques des fluides (10), sciences chimiques des essences, des parfums, des teintures... (5, 9), sciences architecturales des bâtiments pour maintenir et moduler l'eau chaude et la chaleur qui ont joué un rôle bien plus important dans les hammams que dans les thermes antiques. (11) et sciences médicales associant des connaissances physiologiques sur la sueur, sur la peau et sur le choix de la nature de l'eau à employer en fonction des pathologies à traiter. Ces différents facteurs expliquent l'existence à cette époque de deux types de hammams, ceux destinés à l'entretien des corps sains, et ils étaient de loin les plus nombreux, et ceux réservés aux traitements de certaines pathologies, cutanées, et psychiques comme la mélancolie. Ishâq Ibn Imran recommandait au 9e siècle à Kairouan aux malades souffrant de mélancolie, de prendre quotidiennement des bains chauds d'eau douce et d'eau fraîche en plein été (12). Ces deux fonctions préventive et curative du hammam, expliquent son surnom de « médecin muet ». Une grande partie de ses connaissances est rapportée dans le récent manuscrit du 16e siècle publiée par le spécialiste des manuscrits tunisiens, Si Abdelhafidh Mansour (8).
En Tunisie, le hammam, arrivé avec la civilisation arabo-islamique, il y a 14 siècles, présente trois singularités :
1- La première est son adoption rapide par la société tunisienne de l'époque, mais aussi par celle d'aujourd'hui. Cette intégration rapide, n'est pas pour nous étonner, puisqu'elle s'inscrit de plain pied dans la philosophie tunisienne de l'hygiène. Cette philosophie échafaudée depuis plusieurs millénaires, comme en témoignent les vestiges des différentes époques qui ont précédé la naissance de Kairouan : époque punique (salles de bains de kerkouane), époque Carthaginoise (les thermes et les écrits d'Apulée sur l'hygiène) (13). Chez Apulée, l'hygiène à Carthage ne se limitait pas à la peau seulement, mais s'intéressait aussi à la bouche et aux dents, qui étaient nettoyées avec du dentifrice (dentifricio). (13) La qualité de cette hygiène nous la trouvons louée sans discontinuité du 5e siècle avant J.C. au 20e siècle. Les médecins français arrivés chez nous en 1881 seront comme Salluste (1er siècle av. J.C.) étonnés et agréablement surpris de constater la qualité et l'efficacité de cette hygiène (14, 18).
2- La deuxième singularité, c'est le choix de l'eau, non seulement comme facteur de préservation de la santé, mais aussi comme facteur de développement économique. Pourquoi ce choix est-il singulier ? Au moins deux raisons à cela : la première c'est la clairvoyance amenant les Tunisiens à identifier très tôt, l'importance vitale de l'eau, au point de lui élever le premier monument de dévotion au monde à El Guettar (Gafsa), il y a 40 siècles : « Hermaîon ». (15) La deuxième est le génie avec lequel des hommes vont avec le peu de ressources hydriques que ce pays leur offre (pas de fleuves, pas de montagnes avec des glaciers, pas de nappes phréatiques, comparés aux autres pays du continent), développer une agriculture florissante (jalousée par Rome), multiplier les cultures en étage dans les oasis, et surtout nous permettre aujourd'hui d'être presque le seul pays de la méditerranée à ne pas rationner l'eau en été. Ces penseurs de l'eau sont nombreux (Magon 3e s. av. J.C....Ibn el Chabbat 9e s. ap. J.C.... Lassaâd Ben Osman 20e s. ap. J.C....)
3- La troisième singularité est que le hammam en Tunisie sera à l'origine de la naissance du Prix Nobel de médecine de 1928. Charles Nicolle constatera par un pur hasard, (16) que le passage par le hammam des malades atteints de typhus les sauvait de la mort, et non par la voie pasteurienne de la vaccination, qu'il expérimentait à l'Institut Pasteur de Tunis (institution administrativement et scientifiquement tunisienne) (17), ni par l'hygiène par l'air, théorie en vogue en Occident à cette époque. (18, 19, 20) Dans ce travail, Charles Nicolle, aidé par de nombreux T,unisiens dont une femme madame Kalthoum Zarrouk, découvrira le vecteur de cette maladie. Mais ni Charles Nicolle, ni les Tunisiens qui l'aidaient ne se sont souciés de comprendre la part prise par l'institution du hammam dans cette découverte. Institution mentionnée dans l'article 8 du statut de l'hôpital Sadiki (21). Sans cette législation tunisienne du hammam, que serait-il advenu du traitement du typhus et du prix Nobel de 1928 ?
Cette institution du hammam, détentrice d'un grand pan de la mémoire arabo-musulmane, bienfaitrice de surcroît de l'humanité, et que les pays du nord de la Méditerranée sont en train de découvrir pour ses vertues antistress et hygiéniques, après l'avoir longtemps dénigrée et combattue (18), subit l'affront de l'oubli et de l'abandon, voire des démolitions sur ses terres d'origine, dans les pays qui l'ont vue naître (Egypte, Tunisie...). (22)
La disparition, hier, de la recherche appliquée de nos universités, et aujourd'hui de nos hammams (23) sonne-t-elle le glas de la civilisation arabo-islamique et de la civilisation tunisienne ?
A l'échelle de la Tunisie, par son apport dans l'écriture de l'histoire de notre pays, le hammam ne mérite-t-il pas qu'on lui réserve une journée nationale « la journée du Hammam », à l'instar de la journée nationale de l'habit traditionnel ?
A l'échelle du monde, et par son rôle dans la prévention du typhus, le hammam ne doit-il pas être inscrit au patrimoine de l'humanité ?
H.E.
Bibliographie
1- Lissan el Arab Tome 4 pp30 Dar Al-Kotob Al-Ilmiyah Beyrouth 2005
2- Manfred Ullmann : La médecine islamique Ed. PUF Paris 1995
3- Tubiana Maurice : Histoire de la pensée médicale Ed. Flammarion Paris 1986.
4- Halioua B. : Histoire de la médecine Ed. Masson Paris 2001
5- Djebbar Ahmed : Une histoire de la science arabe Ed. Le Seuil Paris 2001
6- Sebag Paul : Tunis au 17e siècle Ed L'harmattan Paris 1989
7- Ben Abderrazak Lotfi Hammam in le Hammam de lotfi Khadraoui Ed. Cerès Tunis 1992
8- Al-Qusuni Mohamed ibn Mohamed : Propos sur les thermes, avantages, modes d'emploi et précautions d'usage Texte établi et annoté par Abdelhafidh Mansour Ed. Imprimeries Tunis Carthage 2014
9- Abou Jaâfar Ahmed Ibn Al-Jazzar : Traité des parfums et des essences commenté par Dr Radhi Jazy et Dr Farouk Asli Beit al Hikma Tunis Carthage 2007
10- Abd al-Rahman al-Khazini : Kitab Mizan Al-Hikma Ed. Commentée par F.L. Bancel Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beit, al-Hikma Carthage 2008
11- Barrucand Marianne et Bednorz Achim : L'architecture maure PLM Ed. Cologne 1995
12- Ishâq Ibn Imran : Traité de la mélancolie. Présentation pour le Dr. Adel Omrani Beit al-Hikma Tunis-Carthage 2009
13- Apulée : Apologie Ed. Les belles lettres Paris 2001
14- Gaumer Benoit : Regard d'observateurs médicaux sur l'état sanitaire de la Tunisie sous le protectorat français (1881-1956) CBMH/BCHM vol 22 :1/p. 83-102
15- Slim H ; et Fauqué N. La Tunisie antique de Hannibal à saint Augustin Ed. Mengès Paris 2001
16- Huet M. Le pommier et l'olivier Ed. Sauramps Paris 1995
17- Note sur l'Institut Pasteur de Tunis Wathatha'iq n°20-21 Université de Tunis 1 Institut Supérieur du Mouvement National pp. 173-176
18- Csergo Julia : Liberté, égalité propreté. La morale de l'hygiène au 19e siècle Ed. Albin Michel Paris 1988
19- Daremberg G. En Orient et en Occident Ed. Masson 1893
20- Pavy A. Histoire de la Tunisie 1900 Ed. Bouslama Tunis
21- Statut de l'hôpital Sadiki Er-Raid Er- Rasmi Ettounsi 1879 Bibliothèque nationale de Tunis
22- Journal La Presse Magazine N°1448, 26 juillet 2015
23- Journal La Presse Magazine N°1363, 1er décembre 2013
Chirurgien - orthopédiste
24- Pr. émérite de Médecine à l'Université de Tunis El-Manar
25- Ancien Président de la Société Tunisienne d'Histoire de la Médecine et de la Pharmacie


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