Par Ilia TAKTAK KALLEL: Enseignante-chercheure à l'ESC Tunis (Université de La Manouba) «Celui qui n'a pas de passé n'a pas d'avenir». Cette affirmation qui, de prime abord, peut sembler une lapalissade, un élan conservatiste ou un adage chéri par les plus nostalgiques, est pourtant pleine de bon sens en ce qui concerne les groupes humains et l'Humanité dans son intégralité. L'Histoire, discipline délaissée par beaucoup de jeunes qui se veulent résolument tournés vers l'avenir et volontiers laissée aux «fossiles» et aux «dinosaures», recèle indéniablement tous les enseignements —ou presque — que les Hommes peuvent tirer sur la vie et sur eux-mêmes, leurs forces et leurs faiblesses, leur grandeur et leur décadence, ce qui fait leur supériorité d'humains, mais également ce qui cause souvent leur perte : passions et recherche de plaisirs et d'assouvissements, ambitions, volonté de comprendre, de découvrir et de se surpasser, quête d'immortalité, course au pouvoir et à la puissance, stratégies, manipulations et intrigues, fanatismes, pulsions sanguinaires et guerres annihilatrices au nom d'idéologies et de défense d'intérêts… Aussi, n'y a-t-il rien de nouveau sous le soleil : l'Humanité est fondamentalement la même et il n'est alors pas surprenant que les livres sacrés aient fait le tour —depuis l'ère des temps et de façon parfois étonnamment détaillée et actuelle — des principales questions humaines. On peut également comprendre l'intérêt, voire le caractère captivant que certains trouvent dans des écrits, des documentaires et des films historiques retraçant des époques vieilles de milliers d'années. Comprendre et revisiter l'Histoire est source d'enseignements et de sagesse : on y trouve les mobiles et les fondements des principales activités humaines, y compris les crises et les guerres (et leur cyclicité), mais également les grandes avancées et ce qui a fait la gloire et le déclin des grandes civilisations, les logiques et modalités de survie de l'être humain, la grandeur de ses ambitions (causant parfois sa perte), mais également les déterminismes de la sélection naturelle des individus et des populations. Mais voilà, les hommes sont tellement vaniteux qu'ils ont tendance à faire peu de cas de cette Histoire et à penser qu'ils sont supérieurs à leurs prédécesseurs (en intelligence, en ressources, en apprentissage…). Chaque civilisation a tendance à vouloir affirmer sa supériorité par rapport aux civilisations précédentes et il s'agit là de l'une des mystifications les plus récurrentes de l'Histoire. En outre, l'être humain a cette extraordinaire faculté qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse : la faculté de l'oubli. Cette capacité lui permet d'avancer et de se dépasser, d'alimenter et de maintenir son optimisme en la vie, l'avenir et les autres, mais elle entrave sa lucidité et son humilité, ses facultés de tirer parti des leçons de l'Histoire, surtout lorsqu'il s'agit des misères et horreurs humaines que les hommes ont parfois occasionnées au nom de causes épousées aveuglément (religions, justice, progrès…). Certes, notre civilisation actuelle, avec les énormes avancées scientifiques et technologiques qui la caractérisent, peut se targuer de sa supériorité par rapport à toutes les civilisations antérieures : ne sommes-nous pas en train de nous rapprocher des rêves humains les plus fous et de dépasser nos limites ? D'accomplir, voire d'aller encore plus loin que les anticipations des films de science-fiction les plus créatifs, téméraires et avant-gardistes ? Ne sommes-nous pas en train de défier notre propre finitude avec les énormes progrès de la science (manipulations génétiques ; médecines, chirurgies et thérapies diverses, associées aux technologies les plus pointues) ? Et pourtant, nous restons si peu de chose puisque nous ne sommes pas à l'abri d'une canicule, d'un déchaînement de la nature, de l'accident domestique le plus «anodin»… ou d'une simple «grippette».