Le bureau de l'ARP réuni hier a décidé de soumettre la question de la formation ou non d'une commission d'enquête parlementaire à la séance plénière, conformément à l'article 97 du règlement intérieur. Le Réseau tunisien pour la justice transitionnelle (Reseautjt) a estimé que les victimes et leurs familles sont les plus grands perdants dans cette affaire Depuis sa création, jamais une instance chargée de la mise en œuvre de la justice transitionnelle n'aura fait l'objet d'autant de controverses que l'Instance vérité et dignité (IVD) présidée par Sihem Ben Sedrine. Il n'aura fallu que quelques mois d'existence pour une institution fondée pour éplucher 50 années de bafouage des droits de l'homme, pour que commence une vague de démissions entamée par celle de Khmaies Chammari et clôturée (ou pas) par Mohamed Ayedi qui a annoncé le 25 août qu'il quittait l'IVD. Si Khmaies Chammari a invoqué des «raisons personnelles» avant de quitter le navire, Mohamd Ayadi et Noura Boursali ont préféré, eux, parler de «climat peu propice», et spécialement avec le capitaine du bateau Sihem Ben Sedrine. Amputée du quorum nécessaire à la prise de décision auquel s'ajoute la guerre ouverte entre la présidente et le vice-président limogé Zouhaier Makhlouf, l'IVD doit encore répondre à une suspicion de «faits de corruption» soulevée par une soixantaine de députés qui ont signé une pétition dans ce sens. Mohamed Troudi (Nida Tounès), l'un des signataires de la pétition, explique à La Presse que c'est bien la lettre adressée par le vice-président de l'instance Zouhaier Makhlouf qui a alerté les élus sur la nécessité d'ouvrir une enquête (parlementaire pour le moment), pour vérifier la véracité des accusations. «Zouhair Makhlouf n'est pas n'importe qui, dit-il. En tant que vice-président de l'IVD, ses accusations de corruption administratives et financières doivent être prises au sérieux». Mohamed Troudi rappelle que malgré l'indépendance dont jouit l'IVD, l'instance reste sujette, de par la loi, au contrôle parlementaire. Levée d'immunité En conflit depuis plusieurs mois avec la présidente de l'IVD, Zouhaier Makhlouf accuse cette dernière de communiquer de fausses information au public en ce qui concerne le nombre de demandes de réconciliations. Selon lui, l'IVD n'aurait reçu que deux dossiers de la part d'hommes d'affaires, alors que Sihem Ben Sedrine avait avancé le nombre de 250. Plus grave, Zouhaier Makhlouf a indiqué que la présidente de l'IVD a «entamé une opération de mobilisation non conventionnelle contre l'Etat et l'ARP pour faire tomber le projet de loi sur la réconciliation économique, peu importe la méthode». Le «plaignant» reproche également à Siheme Ben Sedrine «le monopole sur les décisions d'ordre financier», qui, parfois, sont contraires à la loi et aux procédures. «Si ces allégations sont avérées, il ne s'agira plus de demander la démission de Sihem Ben Sedrine, il faudra que son immunité soit levée et qu'elle réponde de ses actes devant la justice», a déclaré Mohamed Troudi. Le député tempère cependant ses propos : «Je sais que ce genre d'affaire est aussi sujet aux équilibres politiques». Manœuvre politicienne Dans le rang des opposants, on dénonce une «mascarade» orchestrée par le parti majoritaire auteur du projet de loi, lui aussi controversé, dit de «réconciliation». C'est l'avis de Ghazi Chaouachi du Courant démocratique qui estime que le but de la «manœuvre» est simplement de faire pression sur l'Instance, de la détruire de l'Intérieur et, enfin, avoir le champ libre pour faire passer le projet de loi sur la réconciliation économique et financière. «L'IVD est soumise au contrôle de la Cour des comptes, et au contrôle a posteriori du Parlement uniquement sur le déroulement de ses activités, précise Ghazi Chaouachi. Celui qui soupçonne l'Instance de quoi que ce soit n'a qu'à s'adresser directement à la justice». Le député, dont le parti a d'ores et déjà annoncé qu'il voterait contre la formation d'une commission parlementaire spéciale, a notamment accusé Zouheir Makhlouf de «travailler à la solde du pouvoir en place». «Ce sont des pratiques anciennes connues sous la dictature : harceler de l'intérieur l'instance que l'on veut détruire, déclare-t-il à La Presse. Cela me rappelle les tentatives de déstabilisation de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme sous Ben Ali». Dans un communiqué publié le 2 septembre, le Réseau tunisien pour la justice transitionnelle (Reseautjt) a estimé que les plus grands perdants dans cette affaire sont les victimes et leurs familles. En tout cas, le bureau de l'Assemblée réuni hier a décidé de soumettre la question de la formation ou non d'une commission d'enquête parlementaire à la séance plénière, conformément à l'article 97 du règlement intérieur.