Il est à craindre qu'il n'existe derrière ces retards réitérés une intention délibérée de dégrader ce service public en vue de préparer sa cession au profit du secteur privé. Déjà, les prémices de cette volonté de privatisation non déclarée, aux contours encore imprécis, apparaissent à travers l'octroi d'autorisations supplémentaires d'exploitation de l'aéroport Tunis-Carthage «Mieux vaut tard que jamais». Tel semble être le slogan de prédilection de notre compagnie aérienne nationale Tunisair, puisque les horaires de ses vols ne sont presque jamais respectés, et les retards sont devenus monnaie courante. En fait, cette attitude de sa part s'inscrit dans une ambiance générale caractérisée par un relâchement des mesures de contrôle et un laisser-aller flagrants. Aucun des gouvernements successifs d'après le 14 Janvier n'est parvenu à réduire l'ampleur de cette anarchie qui s'est installée dans le pays, ce qui a favorisé l'ancrage et la propagation de ce phénomène qui devient une sorte de règle tacite, régissant le secteur public. Mais, pour ce qui est de ce service de transport aérien international, dont l'image est reflétée en dehors des frontières nationales, est-il acceptable que les responsables ne bronchent pas pour soigner cette image flétrie? Est-il logique qu'ils continuent à observer cette attitude résignée et se contenter de constater les dégâts qui s'accumulent de jour en jour? Ce comportement aussi bien inquiétant que suspect ne trahit-il pas d'autres intentions non déclarées? Nos traditions immuables Pour bien illustrer cette situation grave qui sévit dans notre compagnie aérienne nationale, on va se contenter de citer l'exemple de quelques vols à destination et en provenance de la ville italienne du nord, Milan. Le vol matinal de 9h00 de samedi dernier, en direction de cette dernière, a dérogé à cette « tradition de retard» étant donné que l'avion a atterri à 11h25 au lieu de 11h45, heure locale, c'est-à-dire plus tôt que prévu. Devinez pourquoi? Eh bien, ne cherchez pas trop loin, la réponse est à épuiser dans nos traditions immuables tunisiennes que même la révolution ne peut pas estomper. Il s'agit d'un simulacre d'organisation auquel on recourt à chaque fois qu'un officiel se manifeste : ce jour-là, le chef du gouvernement, M. Habib Essid, devait transiter par Milan lors de son voyage aux Etats-Unis. Toutefois, cette diligence s'est relativement diluée vers l'après-midi, vu que le vol Milan-Tunis, prévu à 17h05, a connu un retard de 25mn, ce qui est quasi insignifiant comparé aux retards habituels qui se mesurent en heures. Le commandant de bord a expliqué ce léger retard par celui de l'opération de chargement des bagages. Mais, n'est-il pas engendré par un autre qui l'a précédé et qui n'est pas à imputer au service bagages de l'aéroport de Milan-Malpensa? Les commandants de bord assurant cette ligne aérienne ainsi que tous les autres éprouvent de la gêne envers les passagers qu'ils ont à chaque fois à patienter en usant d'arguments dont ils ne sont, visiblement, pas convaincus eux-mêmes. Cela devient pour eux une deuxième fonction. Et comme c'est dur de faire semblant que tout va bien et que l'incident n'est que passager, alors qu'il est récurrent, voire constant ! Comme c'est écœurant de faire quelque chose à contrecœur ! D'autant plus que le « retard occasionnel » de longue durée peut être compris par des passagers qui empruntent, pour la première fois, les vols de notre compagnie nationale, mais pas par les autres, ceux qui y sont habitués. La même gêne, on l'a décelée chez tout le personnel navigant d'une façon générale. C'est ce qu'on a pu constater, lors de notre voyage à destination de Milan, le 18 du mois en cours, lorsqu'on a essayé de nous renseigner auprès d'une hôtesse de l'air sur les raisons réelles qui se trouvent derrière ces retards à répétition. Sa réponse était évasive : on ne peut faire supporter la responsabilité ni à la direction, dont dépend la programmation des vols, ni à l'Oaca, dont dépend leur organisation. D'ailleurs, c'est la même réponse que nous avons obtenue dans d'autres circonstances similaires. Donc, il est clair que c'est la consigne qui leur est donnée par leurs supérieurs dont ils répètent le même refrain déroutant. Notre personnel navigant se trouve gêné même à la distribution de ces plats de piètre qualité, que l'on essaye vainement d'expliquer par la crise avec le directeur français de la société Tunisie Catering. Pas moins qu'un ministre Concernant ledit vol, qui était prévu à 9h00, il était retardé de deux heures. Devant l'agacement des passagers, qui sont restés à attendre pendant plus d'une heure à la salle d'embarquement sans recevoir la moindre information de la part de la compagnie quant au nouvel horaire du vol, l'hôtesse d'accueil a dû quitter les lieux, car elle était à court de réponse. Plus tard, le chef d'escale s'est manifesté pour annoncer l'horaire du départ décalé. Il va sans dire que nos deux agents, qui étaient très embarrassés, n'en étaient aucunement responsables. Et il est à rappeler que parmi les passagers de ce vol se trouvait une délégation officielle, constitué de représentants des ministères de l'Agriculture, du Commerce, du Tourisme et du Développement et de la Coopération internationale, notamment le chef de cabinet de M. le ministre de l'Agriculture, qui allait signer la «Charte de sauvegarde de la diète méditerranéenne», en marge de l'Expo de Milan 2015. Il en découle que selon nos «traditions immuables», il faut au moins un grade de ministre pour que les horaires de vol soient respectés. Il est à craindre qu'il n'existe derrière ces retards réitérés une intention délibérée de dégrader ce service public en vue de préparer sa cession au profit du secteur privé. Déjà, les prémices de cette volonté de privatisation non déclarée, aux contours encore imprécis, apparaissent à travers l'octroi d'autorisations supplémentaires d'exploitation de l'aéroport Tunis-Carthage aux transporteurs aériens Transavia et Syphax Airlines, une mesure qui était vivement critiquée par les syndicats de base de Tunisair. Ces derniers ont aussi dénoncé le non-respect, par les autorités concernées, de leur engagement de protéger leur compagnie contre la concurrence déloyale que leur livrent les transporteurs sus-cités, ce qui accentue davantage ses difficultés. Cette attitude de la part des autorités ne peut que susciter des inquiétudes, concernant l'avenir de notre compagnie aérienne nationale, fondée en 1948, c'est-à-dire bien avant la fondation de l'Etat tunisien, et qui a généreusement et sans relâche servi le pays pendant de longues décennies. Nous ne pouvons que regretter que nos pilotes et notre personnel navigant ô combien compétents, chaleureux et accueillants soient exposés à une telle menace si elle se vérifie! Espérons que tous ces indices non rassurants soient tout simplement les manifestations de défaillances de parcours et qu'un retour à la normale du trafic sera opéré dans les plus brefs délais afin que notre Tunisair, l'une de nos fiertés nationales, retrouve sa santé d'antan...