Par Abdelhamid GMATI Il faut croire en « l'exception tunisienne », saluée par plusieurs organisations et responsables internationaux. L'organisation américaine, Freedom House, qui étudie l'étendue de la démocratie dans le monde, estime, dans son rapport pour 2015, que « ce pays voisin de l'Algérie est le seul dans la région du Maghreb et dans le monde arabe à atteindre le statut de pays libre en 40 ans, depuis que le Liban est entré en guerre civile». Si certains focalisent sur la recherche de la paix par le dialogue et la recherche de consensus, d'autres s'attachent à d'autres aspects. Ainsi, le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, en visite aux Etats-Unis, vient de déclarer au Washington Post que «la compétition la plus importante à laquelle le monde assiste aujourd'hui est celle qui oppose le modèle proposé par Daech et le modèle tunisien». Qu'est-ce donc ce « modèle tunisien » ? Ghannouchi le précise : «La seule manière de battre vraiment l'Etat islamique est d'offrir aux millions de jeunes musulmans un meilleur produit. C'est ce que nous faisons: nous leur proposons la démocratie islamique, qui est un système politique qui accorde à l'islam et à ses valeurs un certain espace ». On croyait que jusqu'ici le système politique tunisien était basé sur le respect des préceptes de l'islam et de ses valeurs. Mais il semble qu'il y a divergence à ce niveau. On sait que les islamistes rêvent d'instaurer le califat. Ils l'ont dit et répété. Ont-ils changé ou abandonné leur projet initial ? D'aucuns soutiennent que le mouvement islamiste et ses dirigeants tiennent un double discours : l'un, à l'intention de l'extérieur et des progressistes, célébrant la démocratie, l'autre restant attaché aux fondamentaux de base. Rym Mourali, co-fondatrice du Parti de l'indépendance tunisienne, estime que « le projet de société d'Ennahdha progresse en Tunisie ». Comment ? Ennahdha est membre de la coalition au pouvoir et participe au gouvernement mais sans trop s'impliquer, en restant dans l'ombre. Mais le travail, en douce, continue et vise à « islamiser » la société tunisienne, en visant particulièrement les jeunes et les moins jeunes. Najem Gharsalli, ministre de l'Intérieur, a révélé, vendredi dernier, à l'ARP, l'existence de jardins d'enfants qui inculquent, à des enfants de 4 ans, le jihad et le port du niqab. Ces jardins d'enfants pratiquent le terrorisme intellectuel, puisqu'on invite des enfants dont l'âge ne dépasse pas les 4 ans à débattre de questions comme le jihad et le niqab. Ce genre de formation expose ces enfants à des risques d'embrigadement et les transforme en proies faciles pour les terroristes ». La brigade des recherches de la garde nationale à Menzel Témime (gouvernorat de Nabeul) a arrêté dans la nuit de mercredi sept étudiants soupçonnés d'appartenir à une cellule terroriste active au sein de l'Institut supérieur des études technologiques de Kélibia (Iset). « Ce groupe d'étudiants appellent les jeunes à regarder des vidéos présentant l'organisation de l'Etat islamique (Daech) et incitent à se rendre en Syrie pour faire le jihad ». L'autre voie utilisée, outre les réseaux sociaux, est celle des mosquées, où des centaines d'imams, pour la plupart auto-proclamés, proches d'Ennahdha, prônent un discours takfiriste, incitant à la violence et au jihad, et promettant le paradis, à ceux qui les suivent. Le gouvernement a réagi en fermant certaines des mosquées, érigées illégalement et en licenciant nombre de ces imams extrémistes ne respectant pas la loi. Ce qui a déclenché une vague de protestations de la part du mouvement islamiste, privé de son arme d'endoctrinement privilégiée. D'où ces mouvements de rébellion qui ont été organisés, notamment, à Sfax et à Béja, et ont empêché les fidèles de pratiquer la prière du vendredi. On apprend, encore, que l'imam de la mosquée Bouaouaja à Sejnane a refusé ces derniers jours d'accomplir la prière de la mort sur un citoyen tunisien musulman, prétextant qu'il était alcoolique. On apprend, aussi, que le gouvernement va porter plainte contre Hizb Ettahrir pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Ce, en réaction au communiqué publié, mardi, par ce parti où il réagit violemment à la comparution de son porte-parole, Ridha Belhaj, devant le tribunal de première instance de Sousse pour avoir assuré les fonctions d'imam sans autorisation. Il y est écrit que «le fait de traduire en justice l'un des deux porte-parole du parti qui œuvre pour la renaissance de la nation islamique à travers l'instauration du califat en Tunisie et dans tous les pays islamiques doit être considéré comme une déclaration de guerre contre la Oumma qui s'est soulevée contre les régimes laïques. Il faut que les musulmans qui vivent sur la terre de Okba Ibnou Nafaâ soient bien conscients que leur révolution a été volée par les laïques et qu'ils doivent la poursuivre en extirpant le régime laïque et en réclamant l'instauration du califat». On ne peut plus clair. En observant ce qui se passe en Turquie, citée en exemple par les Frères musulmans, et où « le verrouillage des réseaux sociaux, les innombrables emprisonnements et procès pour insulte au président, la fermeture des sites d'information de gauche et kurdes, la répression systématique de toute forme de manifestation depuis plusieurs années, l'assaut de la police pour couper la diffusion de deux télévisions d'opposition », on est édifié sur ce paradis qui relève plutôt de la chimère.