Mourad Zerai expose depuis 2003 et sa peinture est souvent éclectique parce que le peintre a horreur de s'enfermer dans une seule trouvaille. Mais c'est sa maîtrise de l'art de l'aquarelle qui fait de lui un artiste à suivre. Les aquarelles de Zerai ne sont pas sans nous rappeler cette citation de Céline «La beauté est un danger qui réussit». Entretien avec un peintre passionné de mathématiques et qui se frotte aux «dangers» de l'aquarelle. Vous êtes ingénieur de formation... Comment êtes-vous venu aux arts plastiques ? Peut-être que je suis venu des arts plastiques à l'ingénierie dans le sens où je prétends que la peinture et l'art sont ma vocation innée, n'ayons pas peur des mots .Je me considère plutôt peintre qu'ingénieur... Je fais le métier d'ingénieur pour l'alimentaire... Si j'avais d'autres moyens de subsistance, j'abandonnerais l'ingénierie et tout ce qui lui est lié ! J'enseigne également dans une école d'ingénieur c'est ce côté peut-être qui me permet de m'éclater un peu car lorsqu'on est artiste on l'est aussi dans la vie... Vous êtes un peintre qui a beaucoup d'humour avec un caractère plutôt jovial... Vous n'êtes pas dans le cliché de l'artiste qui vit dans la douleur de la création... Je pense que tout ce qu'on ressent pendant la création c'est quelque chose de très personnel... Il n'est pas à afficher... cela dit, il y a des gens qui font un fonds de commerce de leur douleur mais je crois que chacun a ses douleurs... Mais comme vous le savez ce n'est pas parce qu'on a de l'humour et qu'on est jovial qu'on n'a pas de douleurs ou de tragédies... Alors d'où est-ce que vous tirez votre inspiration ? Sincèrement... Je ne sais pas. Mais je crois que je carbure d'amour... Mon état naturel c'est d'être amoureux et même si ce n'est pas le cas je m'invente un amour. Je parle de l'amour de la vie, de mes proches, de ma famille... ...Vous êtes un peintre qui a lu beaucoup de livres littéraires... C'est rare de nos jours... Je suis vraiment amoureux de la littérature et je ne suis pas le seul peintre à lire des livres; mes amis aussi lisent des livres. Mais je ne prétends pas être un grand connaisseur en littérature. Pour vous est-ce vraiment important qu'un peintre ait un background littéraire ? Pour moi il n'y a pas de cloisonnement. Je crois que lorsqu'on est dans la chose artistique il y a un principe unificateur qui fait fi de tout le reste. Tout ce qui compte c'est l'expression... Un peintre doit-il être nécessairement cultivé ? Je n'aime pas l'expression «doit». S'il est cultivé c'est tant mieux... Mais je dis que si un peintre n'a pas un regard sur les autres formes d'art il lui manque quelque chose. Au début de votre carrière vous avez opté pour l'acrylique, vous disiez que ça vous modérait dans votre course... C'est vrai que c'est lié à mon tempérament ce choix de l'acrylique. Quand je peins avec l'acrylique sur de grands formats avec des touches énergiques et des pinceaux larges je me sens bien .Je peins également d'un seul jet sans reprendre, à la prima «comme disent les Italiens. Même si parfois c'est inachevé cela reste une œuvre artistique. Ma peinture est à l'image de ce que je suis et je prétends que l'art est une grande épreuve. Chaque exposition est pour moi une mise à nu. De toute façon je fais partie de ceux qui croient que «exposer c'est s'exposer» Votre peinture est également éclectique. Pourquoi refusez-vous d'avoir un seul style ? Ce n'est pas un choix mais un tempérament! J'essaie d'explorer tout ce qu'un médium (acrylique, huile, aquarelle... ) peut m'offrir. Je pousse ces médiums jusqu'au bout de l'expérimentation et parfois j'ai de belles trouvailles mais, la plupart du temps, ce n'est pas le cas. Les gens ne voient que les toiles exposées mais au fond on a beaucoup de ratages. Et quand je trouve une expression qui me satisfait je la laisse de côté et je pars explorer d'autres horizons. Certains peintres font de leurs trouvailles un fonds de commerce et ils passent trente ou quarante ans à refaire le même tableau. Libre à eux, je ne veux porter aucun jugement. Je dis que ce n'est pas mon style. Aujourd'hui c'est l'aquarelle qui vous séduit et pourtant c'est un style qui ne correspond pas à votre caractère car c'est un art du risque qui demande de la patience et vous êtes un homme pressé... Mes aquarelles sont un travail que j'ai longtemps mûri dans la tête parce que la peinture est un acte cérébral. Je suis comme un athlète qui fait du saut à la perche et qui vit mentalement ce saut avant qu'on lui donne la perche. Je visionne avant les touches que je vais réaliser et je les exécute ensuite dans le style énergique. L'aquarelle requiert beaucoup de rigueur et de discipline mais elle a beaucoup de gratitude quand on l'exécute avec sincérité. Est-ce que le passionné de mathématiques que vous êtes vous aide à supporter cette rigueur dans l'aquarelle ? Je dirai que la discipline la plus poétique sont les mathématiques. La pratique des mathématiques scolaires ces dernières années ont fait que l'on ne peut penser qu'à l'intérieur de certaines limites. Mais quand on revient à l'histoire on se rend compte que ceux qui faisaient dans les mathématiques sont des poètes et des philosophes. De plus, les mathématiques nous apprennent l'humilité. Dans les articles que je publie autour des mathématiques, j'essaie d'établir un pont entre deux champs de pensées différents. Dans les techniques calculatoires quand je réfléchis à des sujets j'essaie d'établir des liens. C'est de ces liens-là que la beauté jaillit à mon sens. J'insiste sur la beauté des mathématiques car il y a toujours ce souci de simplicité et d'élégance qui change tout ! Beaucoup de recherches mathématiques se sont faites autour de l'œuvre de Van Gogh, surtout autour de son tableau «la nuit étoilée». Vos premières aquarelles ont été exposées au café journal en 2003 et 2004... J'aime exposer dans des lieux fréquentés constamment par tout le monde que d'exposer dans des lieux où les gens ne viennent que le jour du vernissage et après ça il n'y a plus personne. L'espace Bouabana où j'ai également exposé offre aussi cette proximité avec les gens. Quel est le rapport des Tunisiens avec l'aquarelle d'après votre expérience ? L'aquarelle est d'abord faite sur un papier qui n'est pas un matériau aussi noble que la toile et comme on a souvent cette tendance à donner de la valeur plutôt à l'objet physique qu'à la valeur artistique c'est l'aquarelle qui en pâtit. D'ailleurs, les gens dépensent beaucoup d'argent pour l'encadrement et font beaucoup de marchandage avec l'artiste .De toute façon je n'ai aucun jugement de valeur! Le plus important c'est que les gens achètent de l'art pour paraître ou pas paraître en accord ou pas avec les rideaux de leur salon; pour moi c'est un détail. L'essentiel c'est qu'ils soient en contact avec les arts plastiques. Pour revenir à l'aquarelle je dirai que cela nécessite une appréciation beaucoup plus élitiste parce que c'est l'art du risque, parce qu'on ne maîtrise rien du début à la fin. Vos dernières aquarelles ont pour sujet la Ville de Tunis et elles sont presque prêtes pour une exposition... Je trouve que jusque-là la peinture est souvent nostalgique.Personnellement je veux faire une peinture qui sublime ce qu'on est en train de voir au quotidien autour de nous et qui constitue autant d'éléments plastiques. J'aimerais bien reproduire tout cela dans mes aquarelles.