Les ventes des produits de l'artisanat à Sidi Bou Saïd auraient baissé de 90% Le paysage paradisiaque du célèbre village de Sidi Bou Saïd, qui a toujours inspiré les artistes et les écrivains, n'a pas changé. Mais, l'activité touristique n'y est pas de la même densité depuis que les croisiéristes ont boudé la Tunisie, découragés par la situation sécuritaire et les attentats du Bardo (18 mars 2015) et de Sousse (26 juin 2015). Aujourd'hui, même si le village de Sidi Bou Saïd conserve son charme, les artisans, qui y sont installés et gagnent leur vie grâce aux petits métiers liés au tourisme, sont en détresse. Ils disent que tout a empiré. Dans ce site classé patrimoine mondial par l'UNESCO et 13e village le plus charmant au monde par le magazine de voyages «When Onearth», environ 125 artisans sont installés sur le chemin qui mène au sommet de la colline, surplombant le magnifique port de plaisance de Sidi Bou Saïd. Ceux-ci ne se présentent plus comme des «privilégiés» occupant la principale ruelle du village où le va-et-vient ne s'arrête jamais. Ils ne sont plus les bénéficiaires de l'affluence des passagers dans ce célèbre site qui accueillait environ 100.000 visiteurs par jour pendant les week-ends de la haute saison. Leurs visages sont plutôt sombres car leurs commerces ne sont plus prospères. En cette période de l'automne, les touristes se comptent sur les doigts des deux mains. Ben Aïssa Jalloul, artisan quinquagénaire qui occupe le même local de commerce d'artisanat depuis 18 ans, affirme que, depuis la révolution, ses ventes sont en déclin. Changer de métier n'est, pourtant, pas envisageable pour lui. «C'est notre vie, nous ne savons ni ne pouvons faire autre chose», dit-il, résolu. Et de tempérer : «nous attendons que les choses s'améliorent. L'été dernier, la saison touristique a été sauvée par les russes. Nous voulons, aussi, que la sécurité soit renforcée dans tous les sites touristiques. Il faut protéger les touristes... Il faut les rassurer pour qu'ils viennent nombreux». Seuls, quelques locaux regorgeant de divers produits artisanaux, (djebbas, accessoires en argent..) et de «souvenirs de Tunisie» sont encore ouverts. Certains de leurs propriétaires ont refusé de parler, ils se disent «frustrés et déçus de tout». Même les célèbres cafés de Sidi Bou Saïd sont presque désertés en cette matinée ensoleillée. «Nous ne pouvons plus payer nos impôts» Tous disent que rien ne va plus, depuis les attentats du Bardo et de Sousse qui ont ciblé les touristes et mené à une grave crise touchant de plein fouet le tourisme et son corollaire, l'artisanat. Noureddine Midouni, qui compte 30 ans de métier, déclare, lui, que les affaires marchaient bien auparavant. «On travaillait bien et on payait les impôts... Aujourd'hui, nous ne pouvons plus payer nos crédits envers la CNSS et la Municipalité». Certains artisans du village mythique considèrent que la crise du tourisme tunisien remonte à plusieurs année, à l'époque où le clan Trabelsi faisait la loi. «Les touristes que des bus transportaient dans le temps, jusqu'au parking, espace dédié aux véhicules mais aussi place entourée par les commerces de l'artisanat, n'atteignaient plus nos locaux, sur instructions de Belhassen Trabelsi, gendre du président déchu». Selon ses dires, des dizaines de commerçants ont abandonné leurs locaux et leurs affaires. «Les attentats du Bardo et de Sousse nous ont réduits à néant», se lamente le jeune homme, relevant que certains de ses collègues ont vendu leurs meubles pour subvenir aux besoins de leurs familles. «Nous voulons que les autorités pensent à nous, effacent nos dettes ou trouvent des solutions à notre malheur, n'étions-nous pas des générateurs de devises?», s'interroge-t-il. Elles doivent aussi renforcer la sécurité dans toutes les régions à vocation touristique. Dans ce village chargé d'histoire et qui conserve le nom d'Abou Saïd Khalaf Ibn Yahya El-Tamimi El-Béji, alias Sidi Bou Saïd, l'attentisme est devenu le maître-mot. La renommée du site méditerranéen n'a pas sauvé les artisans. Belhassen Dridi, assis devant son commerce, l'air révolté, ne mâche pas ses mots. «Personne ne pense à nous. Ils cherchent tous leurs propres intérêts et ne pensent qu'à conserver leurs postes», accuse-t-il, en faisant allusion aux hauts responsables du secteur touristique. Les ventes de l'artisanat à Sidi Bou saïd ont baissé de 90%, d'après lui. C'est toute la chaîne qui est en panne, depuis le port de La Goulette qu'il qualifie de «vitrine de la Tunisie». «Si nous travaillons, tout le monde en profite, les taxis, les cafés, les banques, car nous générons des devises», s'efforce d'expliquer l'artisan. «Les artisans sont marginalisés... Le tourisme même est marginalisé. Les déchets partout. Où sont les responsables? Où est la ministre du Tourisme, nous ne l'avons pas vue», s'est-t-il révolté. Sillonnant les ruelles du village bleu et blanc, son couffin sur l'épaule, Omar Bahri, vendeur depuis 37 ans de «Machmoum» (bouquet traditionnel de fleurs odorantes de jasmin et de muguet, se montre moins pessimiste. Pour lui, les «machmoums» se vendent toujours au même rythme. «Les Tunisiens aiment ces bouquets plus que les touristes. Je n'ai pas de problèmes, je travaille ici à Sidi Bou saïd, jusqu'au mois de janvier, puis je retourne à mon travail de tailleur». Bahri assure que les touristes maghrébins (algériens, libyens et marocains) ont sauvé le tourisme en Tunisie pendant l'été. «La mue de Sidi Bou Saïd ne plaît pas à ses habitants» Des habitants et des commerçants de ce village racontent des histoires diverses du tournant qu'a pris le village après la révolution. Ils disent que ses monuments phares du village, dont le célèbre café «El Alia», ne sont plus gérés comme avant. Ils ont perdu de leur attractivité, certains pour les tarifs exagérés appliqués après la révolution et d'autres parce qu'ils ont de nouveaux gérants désintéressés de l'art et de l'histoire. Pourtant, le village qui présente un parfait mariage du bleu et du blanc avait, depuis des siècles, séduit d'éminentes personnalités. L'histoire de l'un de ses plus célèbres hôtes, le Baron Rodolphe d'Erlanger, banquier britannique d'origine allemande, féru de musique et de peintre, est fortement liée à la destinée du village. Saisi par la beauté du site, le banquier fit construire son palais qu'il nomma «Nejma Ezzahra», d'une architecture essentiellement orientaliste». Il était à l'origine du décret beylical du 6 août 1915, sauvegardant le village et c'est lui qui poussa à instaurer le blanc et le bleu dans tout Sidi Bou Saïd.