L'arbitrage est un état d'esprit, une philosophie Décrié, conspué, pointé du doigt et affublé de tous les sobriquets, l'arbitrage tunisien vit des jours difficiles. Raison pour laquelle il serait intéressant de se familiariser un peu plus avec ce «corps de métier» envahi par le doute et entouré d'un climat de suspicion en ce moment. Nous avons ainsi jugé utile de prendre attache avec l'ex-arbitre international Slim Jedidi, le meilleur de sa génération, pour nous apporter un éclairage ou plutôt son témoignage sur le microcosme actuel de ces «spécialistes des lois du jeu», chargés de veiller à l'application des règles, d'assurer la sécurité des joueurs, le bon déroulement et la régularité de la compétition: «Les facettes de notre arbitrage sont multiples. Problèmes de fond, de forme, de trésorerie, de formation, de préparation physique et mentale, ainsi que de volonté propre et de difficultés rencontrées pour se hisser au diapason du métier. Tout d'abord, survolons le côté pratique de l'institution arbitrale appelée à former les arbitres. Soigner le placement, travailler le déplacement sur le terrain, l'anticipation, mieux coordonner sa complicité et sa synchronisation avec les assistants. La lecture du jeu pour un arbitre doit être optimale. Il n'a pas droit à l'erreur car les conséquences sont irréversibles sur la marche d'un club. A mon grand regret, je note qu'en Tunisie on ne prête attention qu'aux lois du jeu seulement. On survole et étudie le côté théorique au détriment du volet pratique. C'est une question de volonté des responsables de notre arbitrage. La décision leur revient à terme de mettre les arbitres face à différentes situations de jeu aux entraînements. Cela s'apprend en répétant les gestes, tout comme en football d'ailleurs. Chez nous, volet formation, l'on se limite à suivre un programme de formation basique véhiculé par la Fifa, adapté aussi grâce à une sorte de «malette de formation» qui est à disposition avec des supports pédagogiques, matériels de communication pour les mieux nantis. Voilà, c'est tout. Et puis, juste après un arbitrage jugé médiocre, «aux grands maux, les grands remèdes» est la solution retenue. On fait dans le curatif et non dans le préventif. On sanctionne, on suspend et on radie point-barre. Ce ne serait pourtant pas de trop si on soignait le mal à la racine et anticipait tout ça. La responsabilité de ceux qui veillent à la formation est ici engagée. Ces messieurs, pour la plupart, ne dressent aucun rapport de stage après un séminaire à l'étranger. Comme si c'était une corvée. Pas de feed-back en retour, voire encore de séances de brainstorming avec les apprentis arbitres. Et après, on en vient à se demander pourquoi notre arbitrage a failli à sa mission. Il n'y a pas de secret du succès vous savez. Ce n'est pas un hobby. Il s'agit d'être, comme l'on dit dans le jargon britannique, «up-to-date». A titre d'exemple, les accompagnateurs des arbitres de la sélection doivent fournir plus au niveau de l'encadrement, de la communication, de la préparation mentale, de la consultation permanente de ses pairs. Je participe personnellement à des stages d'envergure internationale depuis 2011 et je n'ai jamais été consulté sur les agendas en question. Aucune curiosité de la part des instances arbitrales. Aucune envie ni détermination à améliorer les choses en prenant connaissance du vécu, de l'expérience de certains. On se complaît dans l'immobilisme, les pratiques et méthodes d'antan, révolues, obsolètes et dépassées. Si le football moderne va vite, l'arbitrage doit aller encore plus vite. Chapitre cohésion et solidarité arbitrale, c'est le règne de l'anachronisme, de la léthargie et de l'incompréhension. Les arbitres doivent s'entendre sur une approche commune. La commission d'arbitrage doit être soudée dans toutes ses composantes. La notion de solidarité doit voir le jour chez les arbitres car un désaccord intra-muros peut avoir un effet pervers (effet boule de neige) avec une rupture de confiance qui peut faire tache d'huile et déteindre sur les clubs, sur les supporters, sur tout le microcosme de notre sport-roi avec des conséquences fâcheuses. Dynamique olympique : un état d'esprit, une philosophie... Un arbitre, c'est comme un médecin (serment d'Hippocrate). Il est tenu par un serment d'être le plus transparent possible. Si son intégrité est remise en question, c'est fini pour lui. Le doute s'installera et il sera déstabilisé (tombant parfois dans le jeu des compensations). Des responsables de commissions qui n'ont pas participé à des stages d'élite, des missions qui se chevauchent avec les mêmes qui sont un jour commissaire de match et le lendemain arbitre principal, des défaillances au niveau des désignations, des hommes en noir qui ne connaissent même pas le nom d'un joueur faisant partie d'une des équipes du match qu'il va siffler. Mais où va-t-on ? Quand on veut devenir arbitre, il faut être avant tout passionné de football. Connaître le giron au sein duquel on évolue. Un bon arbitre est avant tout un féru de football et non un referee qui participe régulièrement aux stages de recyclage par nécessité. Les notions de plaisir, d'engagement et de motivation sont importantes. Ces donnes sont souvent sacrifiées sur l'autel du formel et du tout théorique. A partir du moment où ce que nous faisons a du sens, y trouver du plaisir et surtout l'entretenir est avant tout une question d'état d'esprit. C'est une leçon d'olympisme au service du plaisir au travail: la préparation mentale pour construire un état d'esprit positif, endurant, apte à rebondir et à aller toujours plus loin. Je n'imagine pas une seconde la performance sportive dissociée de la préparation mentale qui est au moins aussi importante que la préparation physique et certainement plus complexe, pour parvenir à cet état d'esprit dynamique et serein à la fois qui permet de se dépasser, de renverser des montagnes, de s'inscrire dans une évolution constante vers davantage de plaisir dans la performance. Tout cela permet de gérer le stress, la pression, les enjeux et ses émotions. En clair, favoriser le calme intérieur de l'arbitre va nourrir la capacité à agir au mieux. C'est ce que l'on appelle la «Dynamique olympique» : un état d'esprit, une philosophie...