Selon le dernier rapport d'Amnesty International, les violeurs échappent à toute sanction et les victimes finissent par être considérées comme fautives Bien que la Tunisie soit le premier pays des droits de la femme dans le monde arabe, des failles subsistent dans la réglementation actuelle qui ne protège pas les femmes contre certaines formes de violence, dont la violence sexuelle. Amnesty International a recueilli des témoignages auprès de dizaines de femmes et de jeunes filles ayant soit fait l'objet de harcèlement sexuel ou subi une agression sexuelle au sein de leur entourage. Bien qu'elles aient porté plainte, la plupart des agresseurs n'ont pas été poursuivis par la justice. Les conclusions du rapport qui a été rédigé sur les lacunes de la législation tunisienne et qui a été intitulé «Les victimes accusées. Violences sexuelles et violences liées au genre en Tunisie» ont été rendues publique à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Il s'avère, en effet, que les préjugés et les stéréotypes sont tenaces, allant jusqu'à empêcher une éventuelle et nécessaire réforme de la loi qui reste «rétrograde» à l'égard des femmes victimes de violence ainsi que des hommes et des femmes dont l'orientation sexuelle est jugée «contre-nature». «Dans le monde arabe, la Tunisie a montré la voie à suivre pour briser les tabous et promouvoir les droits des femmes. Or, malgré des réformes positives adoptées au fil des ans, dans la Tunisie actuelle, ceux qui violent et qui kidnappent des adolescentes peuvent toujours échapper aux poursuites s'ils se marient avec leur victime. Les femmes qui signalent un viol conjugal ou des violences familiales sont amenées à retirer leur plainte pour des raisons morales. Les gays et les lesbiennes qui signalent des violences risquent d'être eux-mêmes poursuivis en justice plutôt que leurs agresseurs», a relevé, à ce propos, Saïd Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord. Plaintes sans suite Bien que 47% des femmes en Tunisie aient été victimes au moins une fois dans leur vie de violence physique, selon la dernière enquête nationale sur la violence à l'égard des femmes qui a été réalisée en 2010, les plaintes déposées par les victimes restent souvent sans suite. Plus que conciliante sur les formes de violence exercées au sein de l'entourage familial, la législation tunisienne ne protège pas suffisamment les femmes qui en sont victimes. En effet, le viol conjugal, qui n'est pas défini clairement dans le cadre de la réglementation, ne fait pas l'objet de poursuites judiciaires, sauf si la victime a été victime de violence physique. Or, en l'absence de traces de coups, il est difficile pour cette dernière de prouver qu'elle a fait l'objet d'un acte contre son gré et sans son consentement. Et il ne s'agit pas de la seule lacune dans la réglementation tunisienne. La loi ne prévoit pas non plus de protection pour les femmes victimes de violence et qui font l'objet de pression de la part de leur agresseur et de leur famille. Elles ne peuvent pas, en effet, solliciter une ordonnance de protection qui empêche leurs agresseurs de prendre contact avec elles. D'autres défaillances ouvrent la porte aux abus, banalisant ainsi les différentes formes de violence physique et sexuelle à l'encontre d'hommes et de femmes vulnérables qui y sont exposés fréquemment. Elle permet à un violeur d'échapper aux poursuites s'il épouse sa victime âgée de moins de 20 ans. Outre le fait qu'elle ne reconnaît pas le viol conjugal, elle criminalise les rapports physiques entre adultes consentants du même sexe, bafouant, ainsi, leur droit de porter plainte en cas d'agression physique. Au cours d'une conférence de presse tenue hier à Tunis, Lotfi Azzouz, directeur du bureau d'Amnesty International, a affirmé qu'une pétition sera adressée au chef du gouvernement ainsi qu'aux ministères de l'Intérieur, de la Justice, et des Affaires de la femme, de la Famille et de l'Enfance afin de les exhorter à engager une réflexion sur la possibilité de réformer la loi en vue de reconnaître juridiquement la violence conjugale et de dépénaliser les relations physiques entre personnes de même sexe. «Les lacunes de la législation tunisienne permettent aux auteurs de viol, d'agression sexuelle et de violence physique d'échapper aux poursuites, alors que les victimes sont souvent sanctionnées et culpabilisées quand elles osent signaler les crimes commis contre elles. Il faut réformer la loi en l'alignant sur les législations internationales en vigueur», a-t-il affirmé à ce propos. Il y a lieu de signaler qu'Amnesty International prévoit de lancer bientôt une campagne internationale qui aura pour slogan «Mon corps, mes droits».