La situation financière du régime de retraite devrait inquiéter réellement les décideurs, les partenaires sociaux ainsi que les assurés sociaux eux-mêmes, surtout lorsqu'on sait que la Caisse est confrontée à un problème aigu de liquidité, suite à l'épuisement des réserves du régime de retraite depuis 2013. Le projet de loi relatif à la prolongation, de manière volontaire, de l'âge de départ à la retraite est encore devant l'ARP. Il y a pourtant urgence. De par sa mission, la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale gère les régimes suivants : le Régime de pensions civiles et militaires de retraite (agents de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics administratifs, de certaines entreprises publiques),les Régimes spéciaux pour (membres de gouvernement, membres des chambres de députés et des conseillers et les gouverneurs),le Régime subventionné (Omda,...) financé par le Premier ministère et le Régime du capital décès. Depuis leur création, ces régimes ont évolué en fonction de l'évolution économique et sociale du pays. Confrontés à des difficultés démographiques et financières, les décideurs, responsables dans le domaine de la sécurité sociale, ont essayé, en recourant à des réformes paramétriques, d'assurer la pérennité de ces régimes afin d'honorer leur engagement vis-à-vis des générations futures, mais en vain. Le déficit de ces régimes ne cesse de s'aggraver d'une année à une autre. Plus de retraités mais moins d'actifs Au cours de la période allant de 2010 à 2014, l'effectif des assurés actifs au régime de retraite a évolué à un rythme moins rapide que celui des bénéficiaires. En effet, les cotisants ont enregistrés une augmentation annuelle moyenne de l'ordre de 3,8% en passant de 646.033 en 2010 à 750.514 en 2014, alors que le nombre des pensionnés a connu une augmentation moyenne de l'ordre de 4,7% en passant de 254 698 en 2010 à 306.429 en 2014. La conséquence de cette inadéquation entre lesdites évolutions est la dégradation du rapport démographique qui rapporte l'effectif des cotisants du régime de retraite à celui des retraités. En 2014, le nombre des bénéficiaires (retraités + veuves + invalides + orphelins) est de 306 429 pour 750 514 de cotisants, soit un rapport démographique de 2,7. La tendance générale de ce rapport démographique est celle d'une baisse durant la période en question. En effet, parmi les facteurs qui agissent négativement sur l'évolution des cotisants, celui du ralentissement économique. Parallèlement, il y a lieu de souligner que l'arrivée à l'âge de 60 ans des générations du baby boom et la retraite anticipée depuis les années quatre-vingt sont à l'origine de l'augmentation des bénéficiaires de pension. D'après le graphique ci-dessous, on remarque que ce rapport démographique continue à se dégrader sous l'effet entre autres, de l'augmentation de l'espérance de vie, de l'âge de mise à la retraite et du vieillissement de la population. Le nombre d'actifs qui finance une pension des bénéficiaires a passé de 2,9 en 2010 à 2,7 en 2014, soit une baisse de l'ordre de 1,3%. La focalisation de cette analyse uniquement sur le rapport démographique, s'explique par le fait que ce dernier constitue une composante maîtresse dans l'équation concrétisant l'équilibre du régime. En effet, pour équilibrer le régime de retraite à législation constante avec le même taux de cotisation (20,7%), il aurait fallu avoir un nombre de cotisants supplémentaire qui permet d'estimer le rapport démographique d'équilibre à partir des données de 2014, à environ 3,1. Durant la période 2010-2014, les dépenses des régimes obligatoires gérés par la Cnrps couvrant les travailleurs du secteur public et les affiliés aux régimes spéciaux , ont évolués selon un taux annuel moyen de l'ordre de 12,6% en passant de 1734,6 MD en 2010 à 2 784,2 MD en 2014, soit 3,3 % du PIB. Le régime de retraite des agents de l'Etat est ainsi le premier régime en termes de dépenses totales. Ses dépenses sont passées de 1680,9 MD en 2010 à 2709,2 en 2014 permettant ainsi, aux retraités de bénéficier au titre de l'année 2014 d'un niveau de vie exprimé par un taux de remplacement égal à 71% ( la pension moyenne représente 71% du salaire moyen), ce qui exprime qu'en moyenne le retraité a perdu environ 30% de son pouvoir d'achat. Les ressources du système de sécurité sociale se décomposent en deux types de recettes: les cotisations prélevées sur la masse salariale des assurés actifs et les rendements des placements et des prêts sociaux. Les cotisations payées par les actifs et les employeurs représentent 98% des ressources du système de sécurité sociale. La part patronale des cotisations des salariés représente 12,5%, et celle des salariées est de 8,2%. Ainsi, les ressources des régimes gérés par la Cnrps s'élèvent 2 540,5 MD en 2014 en hausse de 6,6 % par rapport à 2013. Les recettes du système de sécurité sociale ont augmenté de 11,1%, en passant 1667,2 MD en 2010 à 2540,5 MD en 2014. Les recettes du régime de retraite représentent 95,8% en 2010 et 95,7% en 2014 de l'ensemble des recettes du système de sécurité sociale. Dégradation continue de la situation financière L'évolution déséquilibrée des actifs cotisants et des bénéficiaires, mentionnée ci-dessus ainsi que plusieurs autres facteurs économiques, financiers et sociaux ont généré une dégradation de la situation financière du régime de retraite. On peut résumer ces facteurs comme suit : Facteurs conjoncturel: croissance ralentie, chômage, faible niveau d'investissement... Facteurs structurels exogènes et endogènes : Augmentation de l'espérance de vie, âge de mise à la retraite, vieillissement de la population, augmentation du nombre des départs à la retraite, augmentation du coût du travail... L'on constate que le résultat technique exprimé par la différence entre les cotisations et les prestations est déficitaire. Ce déficit a connu une augmentation annuelle moyenne de l'ordre de 34,6% en passant de 84,4 MD en 2010 à 277,2 MD en 2014. Entre 2013 et 2014 ce déficit a augmenté de 41,6%. Ce qui me rend perplexe, c'est, d'une part, la tendance vers la hausse de ce déficit durant la période allant de 2010 à 2014 et, d'autre part, l'absence de toute initiative visant à renverser ladite tendance à la baisse dans l'espoir de renforcer la confiance des assurés sociaux du secteur public dans le régime de retraite et de rétablir, dans une première étape, l'équilibre du régime et, dans une deuxième étape, de déceler les mesures adéquates permettant d'assurer la pérennité de ce régime. Le graphique suivant montre bien que, si rien n'est fait, et que le déficit continue à évoluer selon le taux annuel moyen déterminé ci-dessus ( 34,6%), le résultat technique devrait se creuser et atteindra en 2020 un montant égal à 1 648,4 MD. cette situation génère tout au long de la période allant de 2015 à 2020 un besoin de financement égal à 5 334,2 MD, abstraction faite des frais de gestion Graphique 3 : éventuel résultats techniques du régime de retraite de 2015 à 2020 (en millionds de Dinars). A titre d'exemple, le graphique qui suit illustre bien l'effort déployé par le gouvernement français pour alléger le déficit du régime général et prévoir que d'ici l'année 2025 le «trou de la sécu «sera parfaitement comblé. Ainsi on remarque que le déficit du régime de retraite a connu une baisse annuelle moyenne de l'ordre de 23,2 % en passant de 8,9 milliards d'euros en 2010 à 3,1 milliards d'euros en 2014. Une telle situation montre bien qu'il y a une volonté farouche de la part du gouvernement français de rétablir l'équilibre du régime de retraite en renforçant les ressources de financement du système de sécurité sociale qui proviennent, essentiellement, des cotisations sociales, des impôts et taxes affectés et des contributions publiques de l'Etat et des collectivités locales. Les solutions existent A noter que le financement du système de sécurité sociale en France est concrétisé par l'établissement d'une loi appelée loi de financement de la sécurité sociale : «Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique». Pour redresser la situation financière du régime de retraite, le gouvernement tunisien a opté pour un recul de l'âge de la retraite de 2 ans ou de 5 ans de manière facultative. Actuellement, l'âge légal ouvrant droit à une pension fournie par la Cnrps, est fixé à 60 ans pour les agents de l'Etat et à 55 ans pour les ouvriers qui accomplissent des tâches pénibles et insalubres et pour les agents des cadres actifs. Pour les agents exerçant des fonctions astreignantes, leur départ à la retraite est possible après avoir accompli trente cinq (35) ans de service et atteint l'âge de cinquante cinq (55) ans au moins. Quant aux professeurs de l'enseignement supérieur, des maîtres de conférences de l'enseignement supérieur et des établissements de recherche scientifique civils et militaires, des professeurs hospitalo-universitaires et des maîtres de conférences agrégés hospitalo-universitaires, l'âge de retraite est fixé à 65 ans. . Les évaluations qui ont été faites montrent bien que le recul de l'âge de la retraite a pour effet d'améliorer le rapport démographique et les ressources du régime, de réduire le déficit du régime dans le futur, mais sans rétablir l'équilibre du régime. Le rétablissement de l'équilibre de ce régime n'est possible que lorsque tous les nouveaux retraités, à partir de 2016, opteront pour un recul de l'âge de 5 ans. La situation financière du régime de retraite devrait inquiéter réellement les décideurs, les partenaires sociaux ainsi que les assurés sociaux eux-mêmes, surtout lorsqu'on sait que la caisse est confrontée à un problème aigu de liquidité suite à l'épuisement des réserves du régime de retraite depuis 2013. Il faut savoir que les normes internationales stipulent que tout régime de retraite par répartition à prestations définies en annuités est censé constituer l'équivalent d'un montant de réserve capable de combler 36 mois de prestations. Face à une situation marquée par un régime de retraite qui se porte mal, une détérioration du pouvoir d'achat des assurés sociaux, une faible compétitivité des entreprises exportatrices et un faible taux de croissance, il est clair que la réforme des retraites devient une urgence. Cette réforme à mettre en route, en concertation avec les partenaires sociaux, doit être focalisée, entre autres, sur la recherche d'autres sources de financement, comme par exemple l'intégration progressive du secteur informel dans le secteur formel, l'instauration de la justice sociale à travers une réforme efficace du système fiscal, si non la caisse tombera à moyen terme dans un gouffre financier, duquel il deviendra encore plus difficile de sortir. En tout cas, tout cela exige de l'audace et une prise de risques incontournables.