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Sihem Ayadi, secrétaire d'état auprès du ministre de la Jeunesse, des Sports et de l'Insertion professionnelle à La Presse : « Il n'est pas normal qu'il n'existe aucun stade homologué »
Connue plutôt comme une figure de l'information sportive, Sihem Ayadi poursuit sa carrière professionnelle en tant que secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Jeunesse, des Sports et de l'Insertion professionnelle. En effet, journaliste de formation, ayant occupé des postes clés à la radio, à la télévision nationale et internationale, elle est aujourd'hui au centre des cercles de prise de décision. Que peut-elle apporter à des secteurs qu'elle connaît parfaitement ? Quelle est sa vision sur les domaines de la jeunesse et des sports ? Saura-t-elle traduire ses idées et visions en réalités dans une conjoncture économique et sociale assez difficile ? Entretien. Comment vivez- vous cette reconversion professionnelle? Passer d'une carrière de journaliste à celle de secrétaire d'Etat est-il difficile ? Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'une belle expérience. En tant que journaliste j'ai fait beaucoup de chemin et puis j'ai organisé des débats dans le cadre des émissions audiovisuelles, ceci m'a permis de faire le diagnostic de plusieurs secteurs sportifs. Je connais bien les problèmes du sport tunisien et nous avons essayé de proposer des solutions en tant que journalistes et médias. Franchement, cette expérience acquise en tant que journaliste m'a beaucoup aidée à entamer certains dossiers dans le cadre du secrétariat d'Etat. Certainement en ayant une connaissance préalable des soucis de ces secteurs, on parviendra mieux à proposer les solutions adéquates. Dix ans après la révolution, les jeunes Tunisiens revendiquent toujours emplois et développement. Que pourrait faire votre département pour cette jeunesse en colère ? La question de l'employabilité et de la création des postes d'emploi demeure, en effet, une principale revendication sociale des jeunes. Personnellement, je pense que nous devons plutôt travailler au niveau des mentalités. Nous devons encourager l'entrepreneuriat et la prise d'initiative, car malheureusement, nous restons toujours dans un esprit de quête de postes d'emploi dans la fonction publique, car cela inspire assurance et sécurité. Maintenant l'Etat connaît une crise profonde et ne peut pas offrir de l'emploi à tout le monde, ce que nous devons faire c'est encourager les initiatives privées, la jeunesse doit avoir cet esprit de défi. Prenons pour exemple le cas des secteurs de la jeunesse et des sports, ces jeunes peuvent libérer l'initiative, mais avec l'aide de l'Etat. Les complexes et maisons de jeunesse constituent un concept plus ou moins ancien, et ne répondent plus aux besoins actuels. Je pense que les jeunes diplômés et chômeurs de l'Institut Supérieur de l'Animation pour la Jeunesse et la Culture, doivent réinventer de nouveaux concepts des maisons de jeunes, c'est une sorte de solution pour offrir de l'emploi à ces jeunes. L'Etat doit céder la gestion de ces espaces aux jeunes notamment en ce qui concerne leur entretien. Ceci permettra de réinventer ces lieux et de garantir des sources de revenus aux jeunes chômeurs, la même solution s'applique aux jeunes diplômés des instituts et écoles de sport, qui doivent également exploiter les différents complexes sportifs et même ceux des lycées et écoles, car notre problème au niveau de ces complexes et terrains de sport porte surtout sur la maintenance. Mais ce qui est le plus important, c'est de concrétiser le partenariat public-privé, car l'Etat ne peut plus se charger de tout. Certainement en acceptant cette mission en tant que secrétaire d'Etat, vous êtes venue avec des idées, des concepts, voire des stratégies à mettre en œuvre au profit du secteur de la jeunesse. Pouvez-vous nous en dire plus ? Il faut dire que la jeunesse est un secteur très important. Les jeunes manquent aujourd'hui d'encadrement et de programmes qui les ciblent directement. Nous devons aussi collaborer avec les médias et les réseaux sociaux pour mener des interventions en coordination avec d'autres secteurs, le département, à lui seul, ne peut rien faire. Car le secteur de la jeunesse est transversal et implique pratiquement tous les ministères. Il faut dire que la jeunesse doit être un projet d'Etat. La situation des maisons et complexes de jeunes est aujourd'hui déplorable et vit beaucoup de problèmes notamment au niveau des infrastructures. Que peut-on faire ? Le problème est que le ministère se charge de la construction de ces espaces et confie leur gestion à d'autres acteurs comme par exemple les municipalités ou les délégations. Le plus gros dilemme étant, en effet, l'entretien de ces infrastructures, si nous restons dans l'ancien modèle de gestion, nous n'irons nulle part. Pour remédier à la situation, nous avons trouvé au ministère un projet de mise en place d'une agence chargée des maisons et complexes de jeunes, mais il nous faut des cadres, des moyens, un siège, des spécialistes, etc. l'Etat est-il actuellement en mesure d'assurer tout cela ? J'en doute vraiment. La solution, c'est le partenariat public-privé. C'est le même problème pour les stades qui sont confiés aux municipalités, or elles ne sont pas capables de les entretenir car cela nécessite des spécialités et de considérables moyens financiers et humains. Par exemple en Tunisie, il n'existe pas de spécialistes de gazon hybride. Nous devons penser à tout cela, il faut mettre en place des sociétés privées spécialistes dans l'entretien des stades, ou encore faut-il impliquer la Fédération tunisienne de football car elle dispose déjà des moyens et des atouts nécessaires. Pour les maisons de jeunes, je pense en effet que le PPP est indispensable, les jeunes doivent eux-mêmes gérer ces espaces et en faire des sources de revenus. Existe-t-il de nouveaux complexes de jeunes qui sont en cours de construction ou qui sont programmés ? Bien sûr, nous travaillons sur plusieurs projets, cependant, je pense que le concept, voire l'expérience des maisons de jeunes doit prendre fin. Ce que nous allons faire, c'est essayer de réformer les complexes déjà existants, nous avons de nouveaux complexes qui sont fermés car nous n'avons pas le personnel nécessaire. Nous devons repenser à un nouveau concept pour ces espaces, à les moderniser pour en faire des projets viables. Parlez-nous des protocoles mis en place dans le domaine sportif pour faire face à la crise sanitaire ? Au fait, nous avons invité un médecin du centre national de la médecine sportive à s'installer chez nous. Elle est devenue notre Covid-19 manager. Nous avons également mis en place une plateforme électronique et un numéro vert destinés aux sportifs pour prendre en charge les cas éventuels et pour assister les associations sportives. Nous avons également aménagé un centre de confinement des sportifs à Radès en plus des différents protocoles et guides sanitaires, pour le moment on gère bien la situation. La situation des infrastructures sportives à haut ou à moyen niveau inquiète tous les intervenants. Que faut-il faire pour améliorer la situation ? Nous avons déjà des stades et des complexes sportifs comme Radès, El Menzah, Sousse, Sfax, Bizerte et autres. Mais ces derniers accusent de gros problèmes, c'est ce qui explique le lancement de plusieurs projets de rénovation. Sauf que ces projets ont été entravés pour diverses raisons, donc nous sommes intervenus pour débloquer la situation, car il n'est pas normal qu'en Tunisie il n'existe aucun terrain homologué. Avec l'héritage, l'histoire et la culture sportifs de la Tunisie, on ne peut se permettre cela. Sousse, Zouiten, El Menzah sont fermés, Radès n'est pas homologué et est exploité sous réserves, nous devons trouver des solutions à toutes ces infrastructures. Pour ce qui est des nouveaux projets, nous devons forcément impliquer le secteur privé, opter pour le naming (nldr : le naming, ou nommage, est une pratique spécifique de parrainage qui consiste à attribuer le nom d'une marque ou d'une société marraine à une enceinte sportive), c'est très important, l'Etat ne peut pas tout gérer. Actuellement, nous travaillons sur ce qui existe déjà. Nous avons aussi de gros problèmes au niveau des piscines, sept piscines sont fermées, nous sommes en train de travailler là-dessus. Rappelons aussi que le ministère est en train de construire une piscine olympique à Sousse, pour une enveloppe de 13 millions de dinars, il faut dire aussi que nous avons trouvé plusieurs projets bloqués. Mais personnellement je pense qu'il faut mettre des stratégies nationales en matière de construction des infrastructures sportives. Nous avons par exemple fait construire une piscine à Sidi Bouzid qui n'est pas exploitée, car dans cette région, il n'existe pas cette culture sportive privilégiant la natation. Il nous faut une cartographie des spécialités sportives en Tunisie, dans le sud par exemple, nous devons encourager les sports mécaniques, au Cap Bon le basketball, à Bizerte la natation, à Kasserine les sports de combat. Chaque région tunisienne a ses propres traditions en sport. Quid du stade d'El Menzah ? Nous avons déjà fait une première réunion technique, nous sommes actuellement en phase d'avant-projet définitif, les concepteurs sont en train de coordonner avec les différents intervenants. El Menzah sera rénové, nous allons y construire aussi des magasins, de nouveaux vestiaires, une nouvelle tribune de presse, une zone mixte, un tunnel, etc. Qu'en est-il du projet des mutuelles sportives ? C'est un projet qui était bloqué. Il s'agit d'une mutuelle destinée à tous les sportifs, nous travaillons actuellement sur la mise en place des bases de données des différents adhérents des fédérations sportives, et nous allons constituer un comité pour débloquer la situation. Votre département œuvre également pour un projet pilote en faveur du sport féminin... Nous sommes en train de préparer la matrice du projet. Au fait, c'est un projet qui s'intéresse à plusieurs questions et non seulement le sport féminin. Nous visons à faire le diagnostic dans les différents secteurs sportifs et de jeunesse. Nous avons pris le gouvernorat de Tataouine comme projet pilote. Les sports individuels semblent marginalisés au profit des sports collectifs. Avez-vous un plan pour remédier à la situation ? Tout le problème réside dans le manque de moyens. Nous avons d'énormes problèmes d'infrastructure au niveau des sports individuels. Le ministère octroie des primes qui ne suffisent pas aux besoins de ces sportifs, les fédérations aussi manquent de moyens. Cela fait trois mois que nous avons pris les choses en main, mais nous sommes en train d'œuvrer à ce niveau. Cela nous amène à évoquer le professionnalisme sportif en Tunisie. Comment peut-on aller dans cette perspective en Tunisie, quels sont les premiers pas à faire ? Tout passe par l'amendement de la loi 95 qui fait fi de tout projet de modernisation ou de professionnalisation des sports en Tunisie. Allez-vous présenter une initiative législative à ce sujet ? Oui certainement. Nous sommes dans la phase finale de la préparation de ce projet de loi qui sera présenté à la présidence du gouvernement pour être ensuite discuté lors d'un conseil ministériel avant d'être soumis au Parlement. Nous évoquons les infrastructures, les sports individuels, le sport féminin… or si on parvient à réformer cette loi, on donnera à nouveau souffle aux fédérations, qui pourront mener des projets viables, on mettrait en place un esprit de sport en tant qu'industrie. Un mot pour la fin. Je demande de la patience. Nous ne pouvons pas tout faire en trois mois. Le sport et la jeunesse tunisiens doivent bénéficier d'un travail de fond. Nous devons également savoir que nous œuvrons dans des situations exceptionnelles compte tenu de la crise sanitaire.