Par Soufiane Ben Farhat Au bout d'un mois et demi d'attente, M. Habib Essid a procédé au remaniement de son gouvernement. Et la montagne a accouché d'une souris. On attendait un remaniement d'envergure, on a eu droit à un changement cosmétique. Habib Essid consacre le statu quo. Soit le changement d'apparat dans la continuité réelle de l'échec gouvernemental. Première donne, les quatre partis de la coalition gouvernementale se partagent les portefeuilles ministériels. En d'autres termes, la partitocratie se consolide, alors qu'on s'attendait à l'injection de davantage de compétences et de titulaires d'expertise. Deuxième donne : l'alliance Nida Tounès-Ennahdha demeure de rigueur, moyennant une représentation gouvernementale plus appuyée des deux partis. Troisième donne, le clan Ridha Belhaj-Hafedh Caïd Essebsi est conforté au gouvernement. Quatrième donne, les ingrédients gouvernementaux de la profonde crise économique et sociale demeurent de mise. Habib Essid a subi des pressions concentriques pour aboutir à cette posture contorsionnée. Pourtant, rien ne l'y oblige. Constitutionnellement du moins. Dans les faits, il est prisonnier de la coalition partisane gouvernementale et de l'alliance stratégique Nida Tounès-Ennahdha, désormais on ne peut plus apparente. D'ailleurs, le chef du gouvernement n'a même pas pris la peine d'annoncer solennellement le remaniement ministériel. Il s'est contenté d'envoyer une liste aux médias. Une manière de marquer une distance ou une absence manifeste de conviction ? Peut-être bien les deux à la fois. Il faut se fier à l'évidence. Deux conditionnements fondamentaux interdépendants fondent la politique politicienne sous nos cieux. En premier lieu, et contrairement aux stipulations constitutionnelles, il y a bien un présidentialisme de fait et rampant dans nos institutions. Le chef du gouvernement en est réduit à tenter de jouer convenablement les seconds couteaux. Et il semble même s'y plaire et complaire. Pourvu qu'il reste aux commandes. Même diminué et faisant figure de général de l'armée morte. En second lieu, l'alliance entre le président de la République, Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nida, et Rached Ghannouchi, chef d'Ennahdha, commande le tout. Habib Essid n'y peut guère. Il s'y enrôle lui aussi de plein gré. Le dernier remaniement a renforcé la présence gouvernementale d'Ennahdha. Et consacré l'omniprésence du président de la République dans l'exécutif. Last but not least, Habib Essid semble se soucier davantage de politique politicienne que de choix économiques et sociaux. Les ministères économiques clés n'en finissent pas de végéter dans l'inaction caractérisée. Les grands projets structurants sont lettre morte. Les regroupements des portefeuilles ministériels en vue de booster les investissements, les exportations, le tourisme, se font toujours attendre. Et puis, quoi qu'on dise, aucune figure politique emblématique, porteuse d'un projet de société, ou ne fut-ce que charismatique, n'émerge. C'est, à quelques rares exception près, le bal des illustres inconnus. Le nivellement par le bas de la politique se poursuit. On est davantage soucieux de portefeuilles ministériels que d'actions et de réformes réelles. Davantage obnubilé par la représentativité des partis que soucieux de l'émergence de compétences avec des projets clairs, précis et viables. Au bout du compte, Habib Essid a, encore une fois, administré la preuve par l'absurde qu'il n'est pas un homme d'Etat, quoiqu'étant commis de l'Etat. Pratiquement, il n'est pas le chef du gouvernement, mais seulement le premier des ministres. Le remaniement ministériel annoncé dès novembre et intervenu après un mois et demi d'attente ? On attendait la fumée blanche, c'est la fumée noire qui est sortie.