Cette année, la 32e Foire internationale du Livre de Tunis se déroulera du 25 mars au 3 avril 2016 au Palais de la foire du Kram. Un événement populaire important qui consacre le livre et la lecture et attire un très grand nombre de visiteurs. Plus de 300 exposants tunisiens et étrangers seront présents à ce rendez-vous qui verra la participation de la France comme invitée d'honneur ainsi que des auteurs de renommée dont le Tunisien Hédi Kaddour et peut-être le Prix Nobel Patrick Modiano ou Amine Maâlouf. Adel Khedher, directeur de cette 32e édition, nous révèle une grande partie du programme. Vous avez lancé un communiqué dans lequel vous avez appelé les écrivains, éditeurs et libraires désireux de participer à la Foire internationale du livre de Tunis de déposer leur demande avant le 6 janvier. Qu'est-ce qui va changer, cette année, dans la Foire ? Au niveau de l'organisation de l'espace d'exposition rien ne sera changé. Par contre, la manière d'exposer va changer. La Foire n'est pas un souk où on vend des livres, elle a une dimension festive. Côté culturel, je souhaite que les stands offrent un panel de livres sérieux au niveau du contenu. Mais cela, relève de la responsabilité de la commission des exposants à qui revient la sélection des livres et n'accepte que ceux qui répondent aux exigences de la société civile, des objectifs de la révolution et des droits de citoyenneté. Les livres ne répondant pas à ces objectifs seront rejetés et ne participeront pas à cette édition. Quels sont les genres de livres qui seront rejetés ? Ceux au contenu idéologique qui ne correspondent pas aux valeurs de modernité, civisme, citoyenneté ne passent pas. Il y a un certain nombre de critères que nous avons définis dans le règlement intérieur de la Foire. Et on l'a encore renouvelé dans la commission des exposants pour que ne soit pas exposé n'importe quoi. Nous proposerons aux lecteurs tunisiens instruits et cultivés des livres qui correspondent à leur niveau et non des livres occultes de sorcellerie. Nous allons «nettoyer» la Foire des activités étranges et étrangères qui ne sont pas liées au livre. Nous appliquerons, de ce fait, la loi et respecterons le règlement intérieur. Nous allons reconsidérer le côté esthétique des expositions de livres et des activités culturelles. Nous publierons sur le site de la Foire les listes de livres disponibles pour que les éventuels visiteurs puissent se constituer une idée. Qui sont les membres de la Commission chargée de sélectionner les livres et quels critères ont-ils adoptés pour la sélection des ouvrages ? Mourad Khélil, le président du comité des exposants auprès de la Direction du livre au ministère de la Culture, Mohamed Salah Maâlej, président de l'Union des éditeurs, Anass Alouini, membre de l'Union des éditeurs et cinq enseignants universitaires dans diverses disciplines : arabe, histoire, civilisation. En tout, huit membres qui se réunissent une fois par semaine pour étudier les listes des livres. Le contrôle se fait surtout sur les contenus mais le travail de la Commission ne s'arrête pas à l'enregistrement mais continue même durant la Foire en examinant les listes proposées par l'exposant ainsi que les prix, la quantité, etc. Sous quel signe est placée l'édition de la Foire de 2016 ? On n'a pas encore précisé le slogan parce qu'on est en train de définir les orientations générales et la matière fournie qui nous permettront de trouver l'inspiration pour un slogan. D'autre part, nous voulons préserver le cachet international de la Foire. Si les participants étrangers ne prennent pas part à la Foire pour une raison ou une autre comme par exemple en raison de la dégradation du pouvoir d'achat du Tunisien, il y a risque que la Foire devienne nationale. Le problème du timing se pose avec acuité. Avez-vous trouvé des solutions à cela ? On n'a pas encore récupéré les dates d'avant la révolution, à savoir la dernière semaine du mois d'avril en raison de la non-disponibilité du Palais de la Foire du Kram. Cette année, nous avons pu nous rapprocher du mois d'avril. Notre positionnement dans le monde arabe a été déstabilisé. La date du 25 mars-3 avril coïncide avec la Foire du livre de Bahreïn, organisée tous les deux ans, ce qui peut remettre en question la participation des éditeurs et des écrivains à la Foire du livre de Tunis et de s'orienter vers celle de Bahreïn qui est plus avantageuse pour eux. Le pouvoir d'achat du Tunisien est en berne. Selon vous, quel budget consacre-t-il à l'achat de livres ? Selon les statistiques, le Tunisien consacre environ 150 dinars pour l'achat d'ouvrages dont 80 dinars qu'il dépense à la Foire du Livre. Le problème reste complexe. Il y a des visiteurs qui n'achètent pas par manque de moyens mais cela ne veut pas dire qu'ils ne veulent pas lire. Nous pensons mettre en place un projet qui consiste à fournir aux entreprises et sociétés des bons d'achat de livres qu'ils revendront à des prix modiques à leurs employés. Ces coupons, à l'instar des tickets restaurant, leur permettront d'acheter des livres. Nous sollicitons la participation à cette action des ministères de l'Education, de l'Enseignement Supérieur et autres. La validité du bon d'achat est limitée à la période de la tenue de la Foire. Il s'agit d'un moyen pour améliorer le pouvoir d'achat du citoyen et l'inciter à la lecture. On ne naît pas lecteur, on le devient grâce à un bon livre, un bon programme, un pouvoir d'achat et des personnes qui incitent à la lecture. D'une part, il y a baisse de lectorat et, d'autre part, grande affluence à la Foire du Livre, comment expliquez-vous ce paradoxe ? La Foire est un espace où sont concentrés de nombreux titres qui n'existent pas forcément dans les librairies au courant de l'année. La Foire du Livre est une opportunité pour les éditeurs d'exposer leurs nouvelles éditions, c'est aussi une occasion pour les lecteurs de renconter les auteurs. La Foire constitue un grand événement qui a une dimension festive et, durant une dizaine de jours, les gens viennent de tout le pays pour prendre part à ces festivités. A part le fait d'être un marché, la Foire du livre de Tunis est une fête à l'instar des JCC et des JTC. Quelles dispositions allez-vous prendre concernant les libraires ou les éditeurs qui vendent de vieux livres au rabais ? Tous ceux qui portent la casquette de distributeur, d'éditeur ou de libraire, ont le droit de participer à la Foire s'ils obéissent aux critères inscrits dans le règlement intérieur de la Foire. En réalité, il n'y a qu'une personne qui dispose d'un petit stand et vend à petits prix. Les auteurs qui publient à compte d'auteur ont-ils le droit de disposer d'un stand pour les rassembler et leur permettre une visibilité dans la Foire ? Ces auteurs peuvent mettre en dépôt leurs livres chez des éditeurs un distributeur ou un libraire. Les jeunes auteurs ont pu s'organiser pour avoir un stand où ils ont pu exposer leurs ouvrages. Les conditions de participation à la Foire ne sont pas rigides. Qu'avez-vous prévu comme programme d'activités parallèles ? Nous prévoyons un programme culturel très diversifié. La Commission a proposé des thèmes de colloques, des tables rondes, une liste d'invités. Nous avons pris contact avec le club de la nouvelle, l'Union des écrivains, la Maison de la poésie, le Centre arabe du roman, Beit El Hikma, les Clubs littéraires, etc. pour qu'ils contribuent à ce que nous avons appelé « les journées tunisiennes ». Chaque institution aura sa journée. D'autre part, il y aura les traditionnelles rencontres poétiques avec des thématiques spécifiques et des poètes, dont un poète arabe ou d'une autre nationalité, ayant la même sensibilité et le même air de famille. Nous avons également prévu de nombreux panels et un colloque autour du thème : « La culture face à la lutte contre le terrorisme » que nous organisons en partenariat avec l'Université des sciences humaines de La Manouba. Par ailleurs, cette année, c'est la célébration des 400 ans de la mort de l'écrivain espagnol Cervantès, l'Institut qui porte son nom organisera, en collaboration avec la Foire un colloque. L'Association de la calligraphie arabe et l'Alecso organiseront aussi une rencontre. Je tiens à préciser que nous travaillons avec les institutions et non les personnes. Du côté des ateliers, nous avons fait appel à une designer spécialiste dans les livres. Parmi les ateliers : « L'enfant fabrique un livre », « L'enfant fabrique un timbre postal», un concours de la meilleure nouvelle parmi les villes de l'intérieur avec le concours du ministère de l'Education, des ateliers de calligraphie arabe, un atelier de restauration de livres anciens. Tout est centré autour du livre. L'institution de l'Armée nationale apportera son savoir-faire en matière de livre en exposant ses publications et en organisant un atelier. A cette occasion, des étudiants publieront un journal dont les photos seront fournies par l'Armée. L'Institut arabe des Droits de l'homme participera avec un stand. Il y aura des rencontres avec les auteurs et des débats thématiques : « Les chemins de l'encre » proposeront : « Les romans de sciences fiction », « Qui écrit l'histoire ?», «Les prix littéraires », etc. Qui seront les invités de la session ? Pour ce qui est des invités, nous aurons des penseurs, des romanciers, des poètes. L'invité d'honneur de la session est l'écrivain tunisien Hédi Kaddour qui a donné sa confirmation. Tobbi Nathan et d'autres auteurs peut-être avec la présence de Bernard Pivot. Nous souhaitons faire venir le Prix Nobel de Littérature, Patrick Modiano, ou encore Amine Maâlouf, Nacif Nassaf, le penseur libanais, George Tarabichi, des romanciers comme l'Egyptien Sanaâlah Ibrahim, Ali Badr auteur du roman « El Kafra » qui connaît actuellement un immense succès. Ce sont des propositions mais rien n'est encore confirmé. Nous consacrerons une journée au poète tunisien Sghaïer Ouled Ahmed. Enfin, nous sommes ouverts à toutes les propositions et celles qui sont valables nous mettons à leur disposition la logistique nécessaire. Par ailleurs, il y aura 40 représentations de cirque, de marionnettes géantes et mimes, dans les espaces interne et externe de la Foire, et ce, à raison de trois spectacles par jour. Quel est le pays qui sera à l'honneur au cours de cette édition ? Cette année, l'invitée d'honneur est la France. La participation comprendra 7 invités et une programmation qui renforcera le caractère d'ouverture auquel prétend la Foire. Quel est le budget consacré à cette 32e édition ? Je n'ai pas le chiffre exact mais le budget est estimé en fonction de l'importance des activités. Chaque activité nécessite une logistique particulière que nous devons mettre à la disposition des participants. Nous recourons au ministère de la Culture qui est le garant de la manifestation mais si nous trouvons des sponsors, c'est encore mieux. Nous travaillons dans toutes les directions. Comment évaluez-vous le secteur du livre en Tunisie ? Le livre est une industrie complexe. En apparence, elle commence avec l'auteur puis l'éditeur etc. Or, il faut inverser les choses car l'auteur est le dernier maillon de la chaîne. Quand on met en place des institutions fortes avec des éditeurs professionnels qui disposent d'une commission de lecture dont le rôle est de sélectionner les bons manuscrits, des rewriters et des correcteurs, des spécialistes dans la conception, etc. cela garantit une certaine qualité. Actuellement, n'importe qui écrit. Un écrivain ne le devient qu' à partir de son deuxième livre. Mais pour avoir une notoriété, il faut avoir publié une dizaine de livres. Pour renforcer la concurrence avec les autres médias, il faut des maisons d'édition professionnelles capables de réaliser de beaux livres et de leur assurer un marketing et une publicité qui les rendent visibles et donc vendables. Il existe certes une crise du livre mais la responsabilité ne revient pas au lecteur, ni à l'auteur, encore moins à l'éditeur mais à toute la chaîne dont il est temps de changer les mécanismes. Je reste optimiste, il y a de l'espoir et des possibilités pour d'autres formes d'écriture. Nous comptons sur la créativité et l'imagination des professionnels.