Par Salah HAMDI Le pays est de nouveau confronté à la contestation populaire avec un niveau de violence mettant à feu, voire à sang, certaines zones dans plusieurs villes et allant jusqu'à cibler des centres de souveraineté et des postes de sécurité et de douane. L'effervescence ayant gagné la ville de Kasserine sur fond de revendications sociales, accentuées par la mort d'un jeune au chômage, s'est rapidement propagée dans d'autres régions, y compris dans la ceinture populaire de la capitale. La situation n'est pas sans rappeler celle déclenchée un 17 décembre 2010, à cette différence près qu'aujourd'hui le pays est en phase de transition politique, suite à des élections démocratiques et, donc, avec un Président et un Parlement élus au suffrage universel et un gouvernement de coalition bénéficiant d'une large majorité, sous couvert d'une nouvelle Constitution adoptée par un très large consensus. C'est ce qui explique le caractère paisible du mouvement purement social (excepté des débordements destructifs prévisibles) et le traitement sécuritaire à sang-froid, même si les forces de sécurité n'ont pas été épargnées par la violence ayant fait deux morts et de nombreux blessés. Un indicateur positif est relevé : la bonne gestion de la «crise» surtout au niveau sécuritaire, mais aussi au niveau du comportement des manifestants et de la société civile. Au niveau de la communication, le gouvernement aurait pu mieux faire. Cela dit, la situation n'est pas sans danger pour la sécurité, la stabilité et la cohésion sociale du pays, confronté en même temps au fléau du terrorisme. Il ne faut surtout pas sous-estimer la gravité des derniers événements comme c'était le cas en décembre 2010. Il faut tout mobiliser et tout faire pour maîtriser de manière structurelle et durable la situation, en vue de consolider le front intérieur et conforter l'unité nationale, à travers le dialogue élargi à toutes les forces vives et à toutes les bonnes volontés, sans exclusion, afin d'aboutir aux compromis et consensus souhaitables pour rétablir la confiance et la cohésion au sein de la société. La paix sociale est de rigueur. Cinq ans après la révolution, la Tunisie a certes gagné le pari de la transition démocratique. Elle a même été primée pour cela du prix Nobel de la paix, à travers le Quartette de la société civile. La commémoration du 5e anniversaire de la révolution a, cependant, été marquée par des signes indicatifs d'essoufflement au niveau de l'élan de mobilisation et de cohésion habituellement observé à cette échéance. Les derniers événements ont confirmé cette constatation et révélé la précarité des acquis de la révolution. Plus grave encore, le pays, après un an de transition démocratique, et pour des facteurs endogènes et exogènes défavorables, demeure confronté à de grands défis économiques et sociaux, mais aussi sécuritaires, qui se dressent en faisceaux «solidaires» sur le chemin de la relance économique et du progrès social pour sortir de la récession. Loin de toute dramatisation de la situation, et de l'avis de nombre d'observateurs et d'experts avisés, on n'est certes pas en naufrage, mais les vents du nord-ouest, du centre-ouest et du sud, qui soufflent ces derniers temps sur le pays, risquent de pousser le «bateau tunisien» vers les zones de turbulences et de naufrage en haute mer en l'absence d'un plan de sauvetage adapté à la situation, engageant tous les moyens confondus en comptant, en premier lieu sur les potentialités nationales et, en second lieu, sur la solidarité et la coopération des pays frères et amis, et permettant de lever les défis auxquels est confronté le pays, en particulier au niveau économique et social et au niveau de la guerre contre le terrorisme. Le chef du gouvernement fait bien d'engager un dialogue avec les partis politiques et les organisations nationales. Une telle initiative semble s'inscrire dans le cadre d'une approche globale de traitement de la situation en cours, couvrant la problématique du développement économique et social, dans toutes ses dimensions, selon les orientations du prochain plan. Outre l'examen de la situation actuelle, cette démarche semble porter sur le traitement de tous les problèmes structurels à l'échelle du pays, y compris le rétablissement de la confiance et l'amélioration du climat des affaires, réformes structurelles, infrastructures, décentralisation/déconcentration, relance de l'investissement, emploi, développement régional, restructuration des circuits de distribution... C'est la démarche normale en temps normal et c'est louable. Force est de faire remarquer cependant, que suite aux derniers événements, le pays connaît une situation exceptionnelle jugée grave. Or, à des situations exceptionnelles, il faut des traitements exceptionnels ! Dans ce contexte, il serait, à mon avis, indiqué d'envisager l'opportunité d'adopter un plan de sauvetage «Inkadh» en faveur des zones de discrimination positive, porteur d'espoir et de considération pour les populations concernées qui n'acceptent plus de vivre dans la pauvreté, le chômage, la précarité et l'exclusion sociale. C'est une sorte de plan «Marshall» à la tunisienne spécifique aux régions défavorisées, parallèlement au prochain plan national. Il sera axé sur l'emploi et le développement régional et local, à travers les projets PME-PMI et les microprojets créateurs d'emplois, favorisant le développement humain, l'inclusion sociale et l'amélioration des conditions de vie. Il sera financé par des dotations budgétaires du titre II et par des ressources extrabudgétaires (contributions volontaires, emprunt national à taux réduit, dons étrangers) dans le cadre d'un fonds de souveraineté extrabudgétaire. Un comité ad hoc de pilotage veillera à la formalisation du plan et du fonds d'investissement et en supervisera la mise en œuvre. Une action ponctuelle immédiate de création d'emplois dans les entreprises existantes pourrait être convenue avec les chambres sectorielles de l'Utica, moyennant une prise en charge des cotisations sociales par l'Etat. Une procédure accélérée d'arbitrage et de réconciliation avec les hommes d'affaires ayant des dossiers litigieux avec l'Etat, en contrepartie de la création de projets sociaux et/ou de projets créateurs d'emplois, pourrait être envisagée. L'incitation des banques soutenir financièrement les entreprises fermées ou en difficulté pour reprendre ou relancer leurs activités est également nécessaire. En outre, des mesures d'accompagnement conforteront la concrétisation du plan : allégements ciblés des régimes d'imposition et de taxation et des charges sociales, relance des pépinières de projets pour l'identification des opportunités d'investissements avec des profils sommaires de projets à proposer aux jeunes diplômés, parrainage bancaire des zones concernées pour accompagner les jeunes promoteurs.... En somme, une démarche ciblée et intégrée, outre les mesures ponctuelles urgentes, l'approche pourrait se traduire par l'élaboration de programmes régionaux spécifiques adaptés à chaque région à discuter, à faire adopter au niveau régional et à faire suivre grâce à des mécanismes d'encadrement et de suivi à l'échelle des régions. Une démarche non bureaucratique qui suppose des actions appropriées au niveau de l'élaboration, de la mise en œuvre et du suivi, impliquant la mobilisation des compétences nationales actives et non actives pour bénéficier de leur expertise et de leur savoir-faire. Evidemment, les actions à entreprendre en faveur des zones de discrimination positive dans les régions de l'intérieur ne devraient pas ignorer les poches de pauvreté autour des grandes villes côtières, dont la capitale, pour ne pas ouvrir un nouveau front de contestation et une nouvelle brèche dans la cohésion sociale et la solidarité nationale. La Tunisie a fondamentalement changé à la faveur du climat de démocratie et de liberté d'opinion, d'expression et de presse qui a gagné le pays au cours des dernières années. Le Tunisien devient de plus en plus difficile à convaincre lorsqu'il s'agit de discuter de ses revendications. Sans tomber dans la complaisance, il faut lui tenir un discours ouvert et porteur d'espoir, lui tenir le langage de la transparence et de la vérité dans la sérénité et le respect. Il a besoin de confiance, de quiétude et de sécurité pour se remettre au travail. La solution réside dans la relance du développement et de la croissance pour lui garantir la stabilité de sa situation sociale dans le cadre d'une économie prospère préservant son pouvoir d'achat, réduisant le chômage et les disparités sociales, assurant sa sécurité et sa protection dans la lutte contre le terrorisme. Les manifestations et les sit-in semblent se poursuivre de manière paisible mais avec détermination dans ces régions défavorisées où l'indice du développement humain est proche de zéro et où l'indice de pauvreté et le taux de chômage sont supérieurs à 20% et qui plus est sont exposées de front au fléau du terrorisme. Un plan d'urgence ou un plan de sauvetage — peu importe la forme — l'essentiel c'est le contenu, le concret et le caractère opérationnel à court terme. Il y va de la stabilisation de la situation dans les zones en effervescence, de la sécurité du pays et du retour au climat social serein, surtout après la clôture positive des négociations sociales sur les augmentations de salaires. Il y va de notre crédibilité intérieure et de l'image de marque de notre pays pour se remettre au travail, reprendre le processus de développement et renouer avec la croissance et la création de la richesse, seule voie de salut national pour notre chère patrie. En même temps, le dialogue économique et social devrait apporter une solution structurelle globale à cette équation à plusieurs variables qui semble toujours marquer notre société à travers des signes persistants d'injustice et d'inégalités sociales que seul un nouveau pacte économique et social librement consenti et consacrant une paix sociale durable favorisant la relance du développement et de la croissance peut résoudre.