Dr Sahbi Ben Nablia On parle avant toi, on répond avant toi, on se fâche avant toi, on paye la facture avant toi et même dans un embouteillage, on passe avant toi. Toi! Même si tu fais partie de ce peuple, tu sauras tout. Toi! Tu n'as point le droit de parler. Toi, tu écoutes! J'écoute et ils parlent? Même si j'ai le même savoir qu'eux? Et mon droit à la liberté d'expression, garanti par la Constitution, j'en fais quoi? Rien. La liberté d'expression dans une société qui sait tout n'a pas sa raison d'être, puisqu'on sait tout. Quelle équation! Les gens qui savent tout n'ont ni pétrole ni ressources naturelles. Le bon Dieu leur a offert le savoir... Ce savoir déborde, ils en ont à revendre. Tellement ils en ont que Ben Ali a créé le Sommet mondial de la société de l'information. Mes amis, oui, c'est la Tunisie qui a lancé l'initiative. Information rime avec communication! Faire de la communication politique avec nous? Les gens qui savent tout... bonne chance! Pour communiquer, ça prend deux : la communication est comme le tango, deux pas en avant, un pas en arrière. Chez nous, c'est toujours en avant, je parle et tu écoutes! Cinq ans après le 14 janvier 2011, nous n'avons pas encore appris à écouter le peuple tunisien ni les revendications sociales. Nous parlons, aucun responsable n'écoute, comme on dit, la caravane passe et les chiens aboient, jusqu'au moment où nous nous arrêtons de parler pour commencer à crier, à hurler et à casser. Là, on nous écoute. La réponse classique : on vous a compris!!! Les gens qui n'écoutent pas, tu ne pourras jamais les persuader ni les convaincre. Ils sont forts. Ils ont convaincu le monde entier qu'ils ont fait une révolution et qu'ils lui ont appris comment en faire une. Ils ont reçu le prix Nobel de la Paix pour leur savoir-faire en matière de dialogue national. Gouvernants et gouvernés, sans exception, ont le savoir dans les gènes. Ils sont forts, ces Tunisiens! Un fossé sépare les gouvernants des gouvernés à cause d'un système politique paralysé parce que fondé sur un paternalisme nauséabond. Le pire est que chaque fois que quelqu'un s'installe au sommet de la pyramide du pouvoir, il sait tout, mais se métamorphose à l'image de ceux qui l'ont précédé. Le système est bien rodé et on n'arrive pas à le démonter, hélas! Tout le monde le sait : le gouvernement a de sérieux problèmes de communication. Oui, c'est évident, nous le savons, car nous avons un savoir aigu. Pour communiquer, vous devez commencer par écouter les gens, le peuple! Nous savons tout, mais nous ne savons pas comment résoudre le problème du chômage. Tout le monde sait qu'il est impossible d'employer des milliers de chômeurs dans la fonction publique. Connaissons-nous les points faibles du marché de l'emploi? Avons-nous défini nos besoins en main-d'œuvre? Saurions-nous comment intéresser les chômeurs au marché de l'emploi? Nous ne savons pas qu'il faut redynamiser le marché de l'emploi et lui faire un lifting. Prenons l'exemple des chômeurs diplômés en sciences humaines et sociales, comment ces diplômés trouveraient-ils leur chance d'intégrer le marché de l'emploi avec un diplôme qui n'offre aucune ouverture sur le marché? Ces chômeurs, comme les chômeurs du monde entier, sont bien instruits, mais devraient se recycler pour être embauchés. Un de nos problèmes est le Brevet de technicien supérieur, BTS, dont le cursus dure 2 ans. Vous savez que les chômeurs ne peuvent plus attendre deux ans pour accéder au marché. Revoir la formule du BTS de deux ans en en faisant un programme alterné études/travail : un an d'études et une année de travail/études. Tout le monde sait très bien qu'il faut une vision globale du marché de l'emploi. Nous savons tous, sans le savoir, qu'il faut mettre le pays en chantier. Il ne s'agit pas de construire uniquement des autoroutes. Un chantier d'infrastructures, de lutte contre la corruption, d'application des lois, de lutte contre la fraude fiscale. Notre argent crée notre richesse. La richesse est en nous. Revoyons ensemble notre façon d'être, de paraître et de communiquer notre savoir. Nous passons à la « révolution tranquille », celle du travail et de la construction. Le chômeur devrait sentir une nouvelle dynamique dans le marché pour trouver «forsati» et y croire vraiment. Revoir les points faibles du marché : le service, la ponctualité, la gestion du temps, la communication et le management. Créer de l'emploi ne peut se faire qu'en révisant les structures dépassées, voire archaïques. Bousculer les mentalités des employeurs avant celles des chômeurs et encourager l'esprit d'initiative et d'entrepreneuriat. Nous savons crier, mentir, blasphémer, saboter, poignarder dans le dos, punir, limiter les ambitions, détruire les espoirs, trahir la parole, voiler la face. Nous savons être égocentriques. Comme disait l'autre : c'est la spécificité tunisienne. Essayer de voir ce que nous ne savons pas : respecter la loi, jeter les ordures dans les poubelles, payer les impôts, etc. La concurrence dans le savoir est féroce. Il faut être à la page, on doit faire en sorte que le savoir des autres soit le nôtre, qu'on l'assimile et qu'on le transmette, le diffuse et le vulgarise. Autrement dit, comment vivre dans un environnement hostile qui impose de nouvelles ignorances face au vrai savoir? Tu sais, pour être citoyen en Tunisie, tu devrais tout savoir!