Alors qu'elle se cantonnait au Grand Tunis, la consommation des substances illicites s'est répandue dans les régions, ce qui révèle l'échec de la politique de lutte contre la consommation de stupéfiants. L'incarcération des fumeurs de joints coûte à l'Etat 38 MD La loi 52 entre cette année dans sa vingt-cinquième année. Adoptée en 1992 pour la condamnation de délits liés à l'usage et à la possession de stupéfiants, cette loi a été contre-productive à plus d'un titre. Alors qu'elle a été élaborée pour mettre un frein à la vente et à la consommation de stupéfiants, elle n'a fait que stigmatiser davantage les jeunes entrés dans l'univers de la drogue pour échapper à un quotidien devenu invivable et insupportable. Marginalisation, chômage, humiliation, violation des droits de l'homme... Autant de répercussions ont découlé de cette loi stérile et répressive à souhait et qui a transformé en cauchemar la vie de milliers de jeunes qui se sont retrouvés derrière les barreaux pour avoir fumé un joint ou consommé des substances illicites. Cette loi n'aura en fin de compte servi à rien. Bien au contraire. Les chiffresqui ont été établis révèlent aujourd'hui qu'au lieu d'être dissuasive, cette loi n'a pu empêcher la hausse de la vente et de la consommation des stupéfiants au cours de ces dernières années. Selon le rapport établi par l'Organisation internationale Human Rights Watch (HRW) sur les applications policière et judiciaire de la loi, 7.451 personnes ont été emprisonnées en 2015 pour usage et consommation de substances illicites. 70% d'entre elles ont été reconnues coupables pour délit d'utilisation et de consommation de cannabis (communément appelée zatla). Sur les 26.000 qui vivent aujourd'hui derrière les barreaux, 5.200 ont été emprisonnés parce qu'ils avaient soit vendu ou consommé des stupéfiants, ce qui représente au total 28% de cette population carcérale. «Plus de 70% de ces personnes qui ont été emprisonnées pour des infractions liées à l'usage et à la consommation de substances illicites sont des jeunes qui ont moins de trente ans et qui sont entrés en prison pour avoir seulement fumé un joint», a relevé M. Antonio Manganella, chef de mission de l'Organisation internationale avocats sans frontières, au cours de la conférence de presse organisée par Human Rights Watch, Avocats sans frontières, Réseau d'observation de la justice et International Alert. Cette loi nous amène à nous interroger si elle doit s'inscrire dans une logique de répression plutôt que de réhabilitation ou le contraire. Quand finalement faut-il emprisonner les gens et pour quels cas de figure doit-on recourir à des peines privatives de liberté?, s'est interrogé le participant. Abus et humiliation Toujours selon le même rapport, en criminalisant notamment la consommation des drogues douces, la loi 52 qui a, selon le chef de mission, ouvert la porte aux abus et à la violation des droits de l'homme, a non seulement renforcé la marginalisation des jeunes provenant des cités défavorisées mais elle a, par ailleurs, nettement réduit leurs chances de trouver un travail après la sortie, favorisant, ainsi, les récidives et les comportements à risque chez ces derniers, notamment chez les jeunes consommateurs qui sont emprisonnés pour la première fois et qui se retrouvent parfois dans la même cellule que des criminels dangereux. «L'application de cette loi s'est traduite par une violation des droits de l'homme, vu les conditions dégradantes dans les prisons, a observé M. Manganella. De simples consommateurs de drogue douce sont emprisonnés sans distinction avec de dangereux criminels, ce qui peut les conduire un jour à adopter à leur tour des comportement à risque», a noté le chef de mission d'Avocats sans frontières. En outre, les 47 entretiens effectués avec de jeunes étudiants, artistes et blogueurs qui ont été emprisonnés pour avoir fumé un joint et consommé des drogues douces ont révélé les graves violations des droits humains observées lors de l'arrestation de ces jeunes qui ont été humiliés et soumis de force à des tests d'urine, outre les perquisitions à domicile effectuées sans mandat judiciaire, selon le rapport de HRW. Un autre rapport réalisé par le Réseau d'observation de la justice (ROJ) (ASF, Ltdh, Ordre national des avocats de Tunisie) a également mis en exergue les dépassements qui ont été relevés, à travers le déroulement de 116 audiences. Les avantages du nouveau projet de loi Chargée du programme «Réforme de la justice» et coordinatrice du réseau ROJ, Me Hela Ben Salem a souligné que dans 5,9% des procès intentés à l'encontre d'usagers de substances illicites, ces derniers n'ont pas bénéficié du service d'un avocat, ce qui représente une violation du droit constitutionnel. Dans 26 cas, la Cour a refusé la demande de l'inculpé d'avoir droit à un avocat, dans 6 cas, la Cour a été partiale avec l'inculpé et dans 4 cas, le juge a toléré des infractions, a relevé l'avocate. «Nous avons observé au cours de 58 procès que le greffier n'a pas consigné par écrit les informations relatives à ces procès», a-t-elle, par ailleurs, ajouté. De son côté, Mehdi Barhoumi, membre de l'International Alert, a présenté des chiffres effarants sur l'usage de la drogue dans les cités populaires. L'enquête conduite par l'organisation auprès de jeunes de la Cité Ettadhamen, de Douar Hicher dans le Grand Tunis et des cités Ennour et Ezzouhour à Kasserine a montré que 88,1% des questionnés ont consommé de la drogue au sein des établissements éducatifs et 27,7% ont goûté pour la première fois à des substances illicites à l'école primaire. «38,7% des jeunes que nous avons interrogés s'opposent à la loi 52. Ils jugent qu'elle est inefficace dans la mesure où la consommation de drogue se poursuit au sein du milieu carcéral, alors que le nombre des récidivistes est en hausse. Alors qu'elle se cantonnait jusque là au Grand Tunis, la consommation des substances illicites s'est répandue dans les régions, ce qui révèle l'échec de la politique de lutte contre la consommation de stupéfiants», a affirmé le représentant d'International Alert. S'il comporte de nombreux avantages, le nouveau projet de loi sur les stupéfiants qui sera prochainement soumis à l'ARP présente également des lacunes, selon Me Mahmoud Daoud Yaakoub, avocat et consultant chargé de l'étude ROJ. Selon ce dernier, une personne qui consomme des stupéfiants peut se présenter de son plein gré et demander à suivre une cure de désintoxication. Si cela échoue, l'usager ne sera pas poursuivi en justice. Il n'y aura plus de peine d'emprisonnement pour les personnes qui consomment pour la première fois des substances illicites. Elles devront, selon ce nouveau projet de loi, payer une amende comprise entre 1.000 et 2.000 dinars. Si le consommateur récidive, l'amende sera doublée. «Toutefois, la réforme proposée par le gouvernement maintient la peine de prison pour les récidivistes, a indiqué Emna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie. Pour tous les consommateurs ou personnes qui consomment de la drogue ou sont interpellées en possession de substances illicites, il n'est pas nécessaire de sanctionner avec des peines privatives de libertés. Il faut réfléchir à d'autres alternatives d'autant plus que chaque prisonnier coûte à l'Etat 21 dinars par jour. Le coût total s'élève à 38 millions de dinars. Cet argent pourrait être investi dans des projets», a-t-elle conclu.