Un documentaire-manifeste contre la guerre et pour une caméra qui prend position. « Premiers Gestes. Jeune cinéma de Méditerranée» (du 3 au 10 février) propose dans sa programmation le documentaire « Le sergent immortel », réalisé par Ziad Kaltoum, et qui a été projeté au cinéma Amilcar le 3 février, et au ciné-théâtre le Rio le lendemain. Le public tunisien a déjà eu une rencontre avec ce film. Ce fut dans le cadre de la section « Nouveaux Territoires» aux Journées cinématographiques de Carthage. On l'aura compris, « Premiers Gestes », « Nouveaux Territoires », et avant cela « Ecrans d'à venir » aux JCC 2012 se croisent dans cette volonté de donner de la visibilité à des approches cinématographiques jeunes, audacieuses, inédites et novatrices. Les rencontres filmiques qui leur sont dédiées se multiplient (« Aflam » à Marseille, « Rencontres cinématographiques de Béjaia », « Rencontres cinématographiques de Bizerte »...), pour le bien d'un cinéma arabe et méditerranéen émergent, et pour le plaisir des cinéphiles où qu'ils soient. Un réseau est donc en train de se constituer, parallèle et essentiel dans le paysage des festivals de cinéma dans la région. Un réseau que l'on souhaite voir se consolider et grandir, dans l'ouverture et la diversité. Ziad Kaltoum fait partie de cette génération de jeunes cinéastes, de la précarité, de la démarche et de la révolte filmique. Son histoire à elle seule est une fable des temps modernes. Elle est d'ailleurs, quelque part, le synopsis de son documentaire « Le sergent immortel ». Le jeune cinéaste a été appelé au service militaire obligatoire en 2010. En 2011, la guerre a éclaté en Syrie et toutes les jeunes recrues de l'armée syrienne ont été gardées parmi les troupes. Son diplôme en cinéma lui a valu un poste fixe, comme responsable d'une salle de cinéma où les soldats ne voyaient que des films de propagande pour le parti de Bachar Al Assad. En 2012, Ziad alternait son travail à l'armée avec le poste d'assistant dans le dernier film de Mohammad Malas « Une échelle pour Damas ». Une double vie, qui, combinée au drame syrien, l'a mis dans l'obligation d'agir, ici et maintenant, et de prendre position dans ce qui se passe. C'est ce qu'il a expliqué pendant le débat qui a suivi la projection de son film jeudi dernier. Un débat où il s'est livré sur sa vision de la situation en Syrie, et a expliqué sa démarche filmique. Dans «Le sergent immortel », celle-ci est née de la réalité, de la nécessité de la montrer, avec un point de vue personnel. Fond et forme puisent donc leurs outils dans cette réalité, dans ce qu'elle offre : peu de moyens et beaucoup d'histoires amères. Un condensé dont on ne sort pas indemne. La guerre de la peur et des images Dans la première partie du documentaire, principalement dans la caserne, c'est un téléphone portable qui filme. Une caméra de fortune qui vole des images de « là où viennent les bombes », comme le décrit Ziad Kaltoum. Toute caméra était interdite, mais il tenait à montrer cet endroit qui fabrique la terreur et la guerre au quotidien. « Ses murs résument et matérialisent ce régime qui détruit le pays », ajoute-t-il. De cet écran qui filme en cachette, ressortent des images avec un souci et un sens du cadre tranchant, au service d'un devoir que s'est assigné le soldat de l'image Ziad Kaltoum : dévoiler et prendre position. Dans la deuxième partie, plus à l'aise mais ne pouvant dépasser avec sa caméra les lieux de tournages du film de Malas, le cinéaste arrive à capter les images du drame sans le montrer, à travers son effet pesant sur l'équipe du film, devenue une micro-société et une Syrie à petite échelle. Certains vivent ce drame dans une conscience aiguisée, d'autres sont dans le déni, ou, plus encore, sombrent dans l'aliénation. Ils ne sont plus que les ombres d'eux-mêmes, des ombres en ruine comme les villes syriennes d'où ils viennent. Ziad Kaltoum a d'ailleurs, dans la caserne, beaucoup filmé son ombre et ses bottes de soldat. Les deux parties de son film ont en commun un élément narratif qui traverse « Le sergent immortel » : les images sont pétries de peur et faites dans la peur, qui règne sur les lieux, les visages et les esprits. C'est ce qui rassemble le réalisateur avec ses compatriotes, quelles que soient leurs opinions politiques et leur appartenance, pour ou contre le régime. Lui, avec sa caméra, a choisi de s'ériger contre la peur et de prendre position. Il le dit dans le film en images et à la fin en mots. Quand le puzzle est achevé, le film s'avère un manifeste. Ziad Kaltoum a décidé de déserter et risque la peine de mort s'il retourne dans son pays. Pour lui, tous ceux qui tiennent les armes sont des tueurs et sont responsables de ce qui arrive en Syrie. La seule arme qu'il tiendra désormais est sa caméra. Aujourd'hui, il vit au Liban et continue de faire des films.