Il est clair que la Tunisie n'a pas été associée aux concertations sur une éventuelle intervention militaire occidentale en Libye. Dans son discours devant les chefs de missions diplomatiques en Tunisie, le président de la République a, en effet, exhorté les pays qui envisagent cette intervention à prendre en considération les intérêts des pays voisins, dont en premier lieu la Tunisie. Les dés sont-ils jetés et, dans ce cas, quel serait l'impact d'une telle opération, qui semble imminente, sur la Tunisie ? «Dans un scénario d'intervention non concertée et donc mal préparée, la Tunisie risque de se retrouver devant une véritable catastrophe», estime Hatem Ben Salem, directeur de l'Institut tunisien des études stratégiques. Hatem Ben Salem, directeur de l'Institut tunisien des études stratégiques : «La Tunisie devra bien négocier la défense de ses intérêts» Il est vrai qu'aujourd'hui certaines puissances, notamment les Etats-Unis et l'Italie, estiment qu'une intervention militaire en Libye devient inéluctable, car cet Etat constitue une menace majeure non seulement pour ses voisins, mais aussi pour tout l'espace euroméditerranéen. Toutefois, il faut savoir que l'usage légal de la force dans les relations internationales est soumis aux dispositions pertinentes de la charte des Nations unies. Certes, la résolution 2214 du conseil de sécurité autorise l'utilisation de tous les moyens afin de combattre le terrorisme en Libye, mais cela n'est pas suffisant pour donner une légitimité internationale à une intervention armée. Il sera donc nécessaire à toute puissance ayant l'intention d'attaquer la Libye d'obtenir une résolution claire du conseil de sécurité, ce qui ne sera pas chose aisée, compte tenu de la probable opposition de la Russie qui dispose du droit de veto. En tout état de cause, une pareille décision devra obligatoirement être conditionnée, non seulement par une consultation préalable de la Tunisie mais aussi par son accord explicite, car les conséquences politiques, militaires, économiques et surtout humanitaires toucheront de plein fouet notre pays. Toute intervention étrangère en Libye engage ipso facto les intérêts vitaux de la Tunisie. C'est un fait indiscutable et la Tunisie ne devra jamais accepter que sa sécurité soit mise en danger surtout par ses alliés, n'oublions pas que nous avons un statut spécial avec l'Otan ! Ceci est une position que devra défendre coûte que coûte notre diplomatie. A mon avis, toute concertation diplomatique devra poser comme condition première la préservation de la Tunisie de tout acte qui pourrait nuire à ses intérêts stratégiques et à sa cohésion nationale. Le soutien à fournir à la Tunisie doit être conséquent, afin d'éviter une catastrophe humanitaire conséquence de l'afflux massif des civils vers notre pays. Il faut savoir tout d'abord qu'une intervention militaire va cibler le groupe Etat Islamique qui est la véritable menace, puisqu'au-delà de la Libye, son projet destructeur vise tous les autres Etats de la région. Le ciblage de Daech est l'objet d'un très large consensus y compris auprès des Libyens, d'où l'importance pour les Occidentaux de voir rapidement se constituer un gouvernement d'union nationale qui donnera son aval et légitimera l'intervention. Ce groupe, même détruit, peut malheureusement disposer de capacités de nuisance, surtout qu'un nombre important de terroristes qui le composent sont Tunisiens et peuvent se replier sur notre territoire! Mais dans toutes les hypothèses, les conséquences d'une telle intervention seront terribles pour les populations civiles prises en otage par les terroristes. Les dégâts occasionnés à l'infrastructure seront d'une envergure telle qu'il faudra plusieurs années et des millions de dollars pour reconstruire ce pays. Dans un scénario d'intervention non concertée et donc mal préparée, la Tunisie risque de se retrouver devant une véritable catastrophe car le sud tunisien, déjà fragilisé, devra faire face à une situation sans précédent, étant donné que cette intervention armée va engager d'importants moyens militaires afin de pouvoir vaincre Daech et Aqmi. En fait, les dommages collatéraux auront des conséquences désastreuses, y compris sur l'équilibre même environnemental de la région, et c'est pour cette raison que la Tunisie devra bien négocier la défense de ses intérêts. Le colonel Mohamed Salah Hedri, expert en stratégie militaire et président de l'Association des brigades de défense civile : «Oui à un soutien logistique occidental de l'armée libyenne» Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, parle des répercussions qu'aura l'intervention militaire occidentale en Libye au plan des centaines de milliers, voire de millions de citoyens libyens qui seront obligés de fuir la guerre et de s'installer en Tunisie. Leur présence sur le territoire national aura sûrement ses effets sur la situation économique du pays, déjà fragile. Sur le plan militaire, il est certain que la Tunisie ne participera pas, sous aucune forme, à l'intervention militaire occidentale. Et elle ne peut pas le faire puisque notre armée est déjà mobilisée en vue de combattre les terroristes. La crainte est que les pays occidentaux formant la coalition se préparant à intervenir en Libye demandent à la Tunisie d'ouvrir son espace aérien à leurs avions. On craint aussi qu'ils utilisent notre espace aérien sans notre accord et sans nous en informer, nous mettant ainsi devant le fait accompli. En matière de renseignements sur le terrain, il est aussi possible que les unités occidentales spécialisées renforcent leur présence sur les frontières tuniso-libyennes. Déjà, les «éclaireurs» italiens et britanniques opèrent sur le sol libyen. Leur nombre est susceptible d'augmenter et ils seront obligés de s'installer sur le sol national. Pour résumer, la Tunisie pourrait participer à la guerre contre son gré et sans en être informée. Tout le monde sait que la coalition occidentale attend le feu vert du gouvernement libyen pour entamer ses frappes. Seulement, il existe une autre solution. Nous proposions que les Etats formant cette coalition apportent un appui logistique et militaire à l'armée libyenne sans avoir à intervenir directement. Hassen Zargouni, président de Sigma-Conseil : «Comment gérer les réfugiés ?» L'analyse que propose Hassen Zargouni, en sa qualité de président de Sigma-Conseil et d'observateur politique et social, va au-delà des répercussions à caractère militaire qu'aura l'intervention de la coalition occidentale contre Daech en Libye. Il situe son analyse sur trois niveaux. «D'abord, l'attitude que le gouvernement tunisien va adopter vis-à-vis de l'intervention militaire même si le gouvernement libyen va demander officiellement cette intervention. Ensuite, au niveau social et humanitaire. Comment les autorités tunisiennes vont-elles se comporter avec les centaines de milliers de réfugiés libyens qui vont affluer en Tunisie ? Et parmi ces réfugiés, il y aura des familles et des blessés. La question à poser est la suivante : la Tunisie a-t-elle les moyens de gérer cette situation toute seule comme elle l'a fait en 2011 ? Avec l'expérience précédente, on peut dire qu'on est mieux préparés et qu'il y aura moins de heurts et de dégâts qu'auparavant. Enfin, au niveau économique, la guerre va bloquer les frontières et plusieurs centaines de milliers de Libyens ne pourront pas rejoindre la Tunisie. Ils auront besoin d'être approvisionnés chez eux. Et comme ils sont habitués à être approvisionnés par les entreprises tunisiennes, il va falloir leur trouver une solution. Pour des raisons humanitaires et aussi économiques, il faut que les Libyens qui resteront bloqués chez eux soient approvisionnés en produits de consommation de base».