Par Samira DAMI La fermeture du Théâtre municipal de la ville de Tunis, depuis le 15 janvier 2016, pour des travaux de réfection et de restauration, pose directement le problème du manque d'espaces culturels sous nos cieux. Car, depuis l'Indépendance, l'Etat n'a pas investi dans la construction et la création de théâtres, de salles de cinéma et de maisons de la culture. Bien au contraire il s'est contenté des espaces existants avant l'Indépendance. Pis, il n'a rien fait pour empêcher la fermeture d'un grand nombre de ces espaces culturels et artistiques et leur transformation en commerces et autres banques, etc. A preuve, après l'Indépendance, un grand nombre de salles de cinéma ont fermé leurs portes. Le pays comptait 120 salles de cinéma, or, il n'en existe plus, aujourd'hui, qu'une quinzaine. Et cela malgré la loi qui interdit la conversion de salles de cinéma en lieux autres que culturels. La législation n'ayant jamais été respectée pour cause de corruption et de laisser-aller, c'est tout un patrimoine prestigieux de salles de cinéma qui a disparu. Et les 85 temples de cinéma disparus dans l'ensemble du pays, le long de cinq décennies, ne sont pas près d'être remplacés malgré l'alléchante promesse électorale du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Promesse consistant à créer en 5 ans 100 salles de cinéma à travers la République, or, jusqu'ici et après plus d'une année de son accession à la présidence, nous n'avons pas vu ne serait-ce que l'ombre d'une pierre inaugurale, prélude à la construction d'au moins une de la centaine de salles de cinéma promises. Mais ne perdons pas espoir car c'est là un dossier que pourrait suivre et prendre en charge la nouvelle ministre de la Culture, Sonia Mbarek. Cela d'abord à travers une politique de conservation des salles de cinéma déjà existantes ainsi que celles des maisons de la culture dans tout le pays. Et, ensuite, en œuvrant afin que chacun des 24 gouvernorats puisse être doté, d'ici 5 ans, d'une nouvelle salle de cinéma. Il suffit de créer des mesures incitatives aux investisseurs privés pour la réouverture des salles fermées et pour l'édification de nouvelles salles. Ainsi, le pays pourrait compter, en 2020, une quarantaine de salles de cinéma au lieu des 15 actuelles. D'autres solutions sont envisageables telle la construction de multiplexes dans les banlieues et les lieux avoisinant les grands centres commerciaux. Pourquoi, par ailleurs, ne pas imposer la construction d'au moins une salle de cinéma à tous grands projets commerciaux ? Quand on sait que notre pays accueille un grand festival de cinéma comme les JCC (Journées cinématographiques de Carthage), il n'est pas normal qu'il y ait ce déficit profond en salles de cinéma. Pis, le rétrécissement du parc des salles touche à l'ensemble de l'industrie cinématographique. Car qui dit production dit impérativement distribution et exploitation. Les films étant produits pour être vus sur les grands écrans, le reste, internet, DVD, télévision et autres supports technologiques, n'est en fait qu'un complément après l'exploitation des films dans leurs lieux naturels : salles de cinéma. Et c'est ainsi que cela se passe dans les pays avancés. Eviter la confusion des genres Maintenant, concernant les théâtres, on constate que depuis l'Indépendance aucun théâtre digne de ce nom n'a été érigé dans nos murs. Et même la cité de la culture, dont on attendait monts et merveilles, entre autres un opéra de 1.800 places, deux salles de cinéma et un théâtre de 400 places, n'est pas près d'ouvrir ses portes malgré les promesses des divers gouvernements et ministres de la Culture qui se sont succédé, depuis le 14 janvier 2011. Le manque de théâtres publics a poussé des hommes de théâtre et autres acteurs culturels à ouvrir des espaces privés, certes polyvalents, mais où le théâtre est roi. Citons-en El Teatro, l'Etoile du Nord, l'Artisto. En outre, certains espaces déjà existants, dont plusieurs cinémas, ont été transformés en salles polyvalentes où se côtoient plusieurs arts, dont le théâtre, tels El Hamra, Mad'Art Carthage, le Centre culturel Dar Ben Abdallah, Ciné Vogue, Majestic - Bizerte, Ciné-Jamil, etc., mais ce sont là plutôt des espaces de quartier à encourager tout en œuvrant à en créer d'autres. Certes, il y a aussi le 4e art, mais cette ancienne salle de cinéma réaménagée en un théâtre de 350 places est consacrée aux (co)productions du théâtre national. Ainsi, la fermeture, pour une année, du Théâtre municipal, espace à même d'accueillir de grandes représentations théâtrales, des concerts de musique et des spectacles de danse, a poussé les producteurs et les artistes à se ruer sur les salles de cinéma du centre-ville : le Rio, l'ABC, le Colisée, le Mondial programment actuellement du théâtre, en alternance, avec le cinéma. Du coup, il n'y a plus de spécificité, puisque nos théâtres programment des films — et on l'a vu durant les festivals de cinéma, dont les JCC— alors que nos salles de cinéma accueillent des pièces de théâtre. C'est la confusion des genres qui est à éviter car cela ne permet pas aux spectateurs de voir les spectacles dans des conditions adéquates. Chaque art ayant ses propres particularités, qui exigent une infrastructure et des techniques spécifiques. Le grand perdant dans tout ça n'est autre que le public qui ne peut jouir des bonnes conditions requises pour chaque art. Ainsi, aussi bien la capitale que les régions souffrent d'un déficit d'espaces culturels, entre théâtres, salles de cinéma, salles de concert, etc. C'est pourquoi il est temps d'agir et de développer l'infrastructure culturelle par l'édification de nouveaux temples de la culture et par la conservation des espaces déjà existants. Pour cela, il est impératif de tracer une politique incitative et de mettre en place une stratégie judicieuse impliquant des investissements financiers publics et/ou privés. Cela ne pourra que développer et booster l'infrastructure culturelle.