Il y a plusieurs interlocuteurs et non une autorité unie et souveraine en Libye. La Tunisie aborde la situation avec beaucoup de réalisme. Les préparatifs sont avancés et les étapes sont définies L'intervention militaire en Libye se précise. Ce bruit diffus qu'on entend de loin en loin depuis Tunis semble être le vrombissement des moteurs d'avion. Les forces de l'Otan n'envisagent plus d'envoyer des troupes au sol. Ni bottes ni blindés, les puissances étrangères, pragmatiques et magnanimes, préservent la vie de leurs soldats. Si intervention militaire il y a, elle sera par les airs ou ne sera pas. C'est ce qui a été annoncé, du moins. Quelles seront les répercussions de cette guerre sur la Tunisie ? d'autant que du côté de la frontière algérienne, sur les 520 km, une véritable stratégie de défense est déployée par les autorités algériennes avec les équipements les plus sophistiqués : des miradors en béton, des drones de reconnaissance et des troupes spéciales déployées en renfort. Qu'en est-il de la Tunisie ? Séparée par deux frontières terrestre et maritime avec la Libye, unie avec elle par des liens historiques et sociaux qui outrepassent la géographie, le pire scénario est que la guerre prenne de court tout le monde. Les Libyens doivent s'y préparer, les Tunisiens aussi. D'abord, le volet humanitaire « D'autant que l'afflux ne sera pas seulement libyen, précise l'ancien diplomate joint par La Presse, Ahmed Ounaies, mais cosmopolite. Une préparation d'arrière-frontière doit être mise en place pour l'accueil, l'alimentation, l'hygiène et le transport ». La Tunisie, à titre de membre permanent du Comité exécutif du Haut commissariat aux réfugiés depuis 1958, ne s'est jamais dérobée de ses devoirs, la crise des réfugiés libyens en 2011 en témoigne. Cinq ans après, celle-ci risque de se reproduire à l'identique. Le pays est-il prêt à accueillir des centaines de milliers de réfugiés ? « Nous n'avons pas le choix, tranche l'ex-ministre des Affaires étrangères, il est indispensable que le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés et tous les spectres des humanitaires qui gravitent autour se mobilisent en conséquence, afin de limiter les dommages causés sur le terrain et de sauver les civils. Nous sommes, nous Tunisiens, membres des Nations unies et avons souscrit aux conventions internationales. Il y a un responsable des Nations unies pour la Libye que nous connaissons bien, renchérit M. Ounaies, Martin Kobler, qui doit à son tour orchestrer un système global qui prenne en charge la situation au lendemain des bombardements. Pour le reste, rappelle-t-il encore, nous ne nous sommes jamais dérobés à nos obligations et en particulier avec la Libye. En 2011, les volontaires tunisiens et les organisations internationales ont joué un rôle admirable en plus de certains pays européens qui ont mis des moyens importants à titre bilatéral». Le concept de l'intervention militaire Mais d'abord, quelle est la nature de cette intervention miliaire visant la Libye et quel est son objectif ? « Est-ce une intervention aérienne ou bien une intervention totale, y compris terrestre. Quel est le concept de l'intervention ? Nous ne le savons pas. S'agit-il d'envoyer dans les quatre coins de la Libye des combattants aguerris prêts à mourir ? Veulent-ils occuper les champs pétrolifères ? Envisagent-ils d'aider à établir un gouvernement d‘union nationale doté des pouvoirs nécessaires pour assurer d'une manière efficace la sécurité du territoire ? Il faut comprendre l'envergure de cette intervention. Et normalement, on devrait nous la communiquer », lance professeur Ounaies à qui de droit. Si on ne connaît pas la carte de ce projet d'intervention, que doit faire la Tunisie en tant que premier pays exposé ? Autre question posée par La Presse. « A mon sens, il faudra organiser les consultations avec les autorités libyennes locales qui gouvernent les zones territoriales de la Libye, quelles qu'elles soient ». Nous sommes préparés Risque majeur pour la Tunisie de voir s'infiltrer dans le flot des réfugiés de dangereux intrus qui n'attendaient que cette occasion pour accéder au territoire tunisien avec le moins de risques possibles. «C'est à nous de monter un dispositif, soutient Ahmed Ounaies, qui préserve les droits des victimes, et en même temps retient les éventuels intrus parmi les criminels. Ces combattants n'attendent que cette occasion pour pénétrer en Tunisie, c‘est évident. Nous devons prendre nos dispositions en conséquence ». Supposons alors que le pire soit arrivé, comment s'annonce l'après-guerre pour la Tunisie ? « Il faut voir avec les autorités politiques libyennes, les présidents des parlements, les députés, les autorités qui sont en relation avec les tribus sur place et les organisations locales. La Libye n'est pas prête à accueillir n'importe quel dirigeant venu du monde dans un avion international. Nous devons essayer de coordonner les grandes lignes de la situation post-militaire avec un réseau local. Il faut qu'il y ait des relais nationaux politiques libyens. Et à mon avis, la question est loin d'être improvisée mais parfaitement structurée», fait observer notre interlocuteur. Pour ce qui est de la Tunisie, a-t-elle été impliquée dans le processus de planification de l'intervention militaire et de son après ? « Les concertations se sont faites avec notre pays mais d'une manière insuffisante, estime-t-il, dans les conditions présentes, on peut être certain que nous avons déjà établi les contacts avec un certain nombre de personnes et d'institutions pour organiser les préparatifs en vue de faire face à la situation humanitaire, sécuritaire, civile et militaire. Il n'y a aucun doute que nous sommes des gens méthodiques. Il y a plusieurs interlocuteurs et non une autorité unie et souveraine en Libye. Nous sommes dispersés, certes, mais nous abordons avec beaucoup de réalisme la situation. Les préparatifs sont avancés et les étapes sont définies ». C'est en ces termes qui se veulent à la fois réalistes et rassurants que l'ancien diplomate décrit la position tunisienne. Il ne reste plus qu'à attendre et prier.