Depuis quelques jours, l'éventualité d'une intervention militaire occidentale en Libye enflamme les esprits sous nos cieux. Tous les scénarios possibles sont mis sur le tapis et analysés sous différents angles En gros, la sinistrose l'emporte. Toute intervention militaire étrangère en Libye réveille de vieux démons. Le premier pays à en subir les contrecoups pervers sera nécessairement la Tunisie. Contrecoups économiques, sociaux et sécuritaires. On se souvient des millions de réfugiés libyens qui avaient massivement afflué en Tunisie en 2011, dont des centaines de milliers vivent encore dans nos murs. Et l'on craint aussi que les terroristes libyens et étrangers s'infiltrent en Tunisie déguisés en réfugiés. On sait aussi que le terrorisme plus ou moins endémique ou résiduel qui sévit en Tunisie est organiquement lié aux nébuleuses terroristes ayant pignon sur rue en Libye. Les Occidentaux, Otan, Américains, Britanniques et Italiens en tête, avaient renversé le régime de Kadhafi avant de plier brusquement bagage et léguer le pays aux centaines de milices armées d'Al-Qaïda et, depuis quelques mois, de Daech. La Libye n'en finit pas depuis d'officier comme sanctuaire international de terroristes de tout poil. Elle est également le sanctuaire des terroristes agissant en Tunisie depuis 2011. L'escadron de la mort qui s'est installé en Tunisie depuis, plus régulièrement depuis 2013, est en effet organiquement lié aux nébuleuses terroristes, camps d'entraînement et filières de trafic des armes en Libye. Bien pis, aux dernières nouvelles, le nombre de terroristes de Daech en Libye avoisinerait les cinq mille. Ils étaient estimés à près de trente-et-un mille à trente-trois mille en Syrie-Irak, à la veille de l'offensive militaire russe contre Daech. Ils n'y sont plus que vingt-cinq à vingt-huit mille. Et pour cause, des milliers d'entre eux ont rejoint les camps de Daech en Libye. Daech, tout comme Al-Qaïda, a un souci majeur de territorialisation. Après la Syrie et l'Irak, ses terroristes convoitent la Libye, le Mali, la Tunisie et l'Algérie. Pour l'instant, on sait que les terroristes de Daech contrôlent de deux cents à trois cents kilomètres dans le golfe de Syrte et qu'ils progressent vers l'est et le sud de la Libye dans un souci manifeste d'accaparer les prodigieuses richesses pétrolières du pays. Leur concentration dans une zone définie constitue en fait un point majeur de leur vulnérabilité en cas de frappes aériennes suivies d'offensive terrestre. C'est pourquoi, profitant du caractère poreux des frontières libyennes, ils n'auront de cesse de vouloir s'implanter ailleurs. Autre perspective effrayante, les Occidentaux n'ont jamais su gérer le jour d'après de leurs expéditions militaires. Qu'il s'agisse de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Libye de Kadhafi ou de la Syrie, ils ont toujours fini par livrer le pays aux hordes terroristes dans le sillage de leurs corps expéditionnaires. Les Tunisiens, toutes instances confondues, désapprouvent et craignent l'intervention militaire occidentale en Libye. Mais ses ressorts ne dépendent nullement de nous. Nous subissons, dans tous les cas de figure. Et les cas de figure instruisent que l'intervention militaire occidentale en Libye pourrait avoir lieu dans quelques semaines ou quelques mois. Dès lors, la Tunisie a suffisamment de temps pour s'adapter. Pour l'instant, quelques mesures ont été prises. Bien sûr, il y a déjà le mur de sable de plusieurs centaines de km érigé l'année dernière sur un très large tronçon des 459 km de frontières tuniso-libyennes. Il y a également le projet imminent de mise en place d'un système performant de surveillance électronique des frontières moyennant le concours des Allemands. Il y a quelques jours, le président de la République, M. Béji Caïd Essebsi, a déclaré devant un parterre d'ambassadeurs étrangers que la Tunisie désapprouve l'intervention militaire étrangère en Libye et que, le cas échéant, elle tient à être informée au préalable. Le chef de l'Etat compte par ailleurs réunir incessamment le Conseil de sécurité nationale pour passer en revue les préparatifs appropriés. De son côté, le chef du gouvernement, M. Habib Essid, a diligenté des réunions de divers départements ministériels concernés et de services sécuritaires, sanitaires et de secours. Une réunion a eu lieu à ce propos mardi dernier au siège du ministère des Affaires étrangères. Une circulaire a été transmise aux gouverneurs des régions frontalières en vue de peaufiner divers aspects techniques et fonctionnels de la riposte possible. Déploiement diplomatique Côté ministère des Affaires étrangères, M. Khémaïs Jhinaoui s'affaire lui aussi. Il affirme à ses interlocuteurs étrangers que la Tunisie doit être informée à temps de l'éventuelle intervention militaire occidentale en Libye. Il réitère également la nécessité d'associer différentes organisations onusiennes et internationales à la riposte tunisienne. Il s'agit notamment du HCR, du Cicr et de l'OMS. M. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, a été sollicité pour la mise en place d'un plan rapide d'urgence (emergency plan) pour la Tunisie. Ce qu'il a déjà consenti. Par ailleurs, nos ambassadeurs ont été briefés en vue d'actions diplomatiques auprès de divers pays. Les villes internationales multilatérales (New York, Genève, Vienne, Bruxelles et Addis-Abeba) sont particulièrement visées par ce déploiement diplomatique. Les capitales des pays éventuellement belligérants en Libye (Washington, Londres, Paris et Rome) feront l'objet de démarches diplomatiques spécifiques. Le ministre des Affaires étrangères compterait s'y rendre à cet effet. Pour l'instant, on s'affaire à organiser le ban et l'arrière-ban. Mais on n'est jamais assez préparé. Le propre des grands chamboulements est de générer des développements imprévisibles. Et la nébuleuse terroriste (qu'il s'agisse de Daech, d'Al-Qaïda ou d'autres mouvances) semble, elle aussi, fourbir ses armes.