Par Abdelhamid Gmati ça grogne partout. Durant ces cinq dernières années, on en a vu de toutes les couleurs : des revendications, des manifestations, des sit-in, des blocages de routes et de chemins de fer, des attaques contre des bâtiments publics et contre des sièges de gouvernorat, de municipalité, de forces de l'ordre, des casses, des braquages. Tout le monde veut tout, en même temps et maintenant. La liberté d'expression ne connaît pas de limites. L'invective, l'accusation, l'insulte, la diffamation s'invitent en lieu et place des idées, des propositions. Mais si les polémiques accompagnent le débat, elles s'avèrent parfois complètement inutiles, voire négatives, particulièrement lorsqu'elles concernent des décisions gouvernementales. Les plus récentes sont édifiantes. Le récent limogeage du gouverneur de Gafsa a suscité plusieurs réactions. Celle de l'intéressé lui-même qui nie avoir voulu partir pour « raisons de santé », précisant : « Je suis en très bonne santé, mais je respecte les décisions du gouvernement». Celle d'un député du Front populaire, qui a nié que le Front se trouvait derrière cette décision. «Ce limogeage fait partie d'une pratique en vogue qui consiste à chercher des boucs émissaires pour essayer d'apaiser les tensions sans rechercher des solutions réelles et durables aux problèmes posés. La manière avec laquelle a été prise la décision de limogeage du gouverneur n'est pas digne d'un gouvernement qui respecte ses responsabilités». Cette polémique a découlé du silence du gouvernement qui n'a pas daigné donner les raisons du limogeage de ce haut responsable régional. Etait ce sous la pression de la rue, certains manifestants ayant crié « dégage » ? Y avait-il une erreur grave ? De toute façon, les Tunisiens ont le droit de savoir pourquoi on démet un responsable en attendant de connaître les raisons de sa nomination. Une polémique inutile qui porte préjudice à la crédibilité du gouvernement. Le ministère de l'Environnement et du Développement durable a annoncé, à la fin du mois de janvier, son intention de soumettre, en mars prochain, un projet de décret réglementaire au gouvernement puis à l'ARP, pour « interdire l'importation, la fabrication et la distribution des sacs en plastique non biodégradables ». Cette décision a fait plaisir aux écologistes et à bien d'autres soucieux de préserver l'environnement et la qualité de la vie. Le directeur de la division de la qualité de la vie au ministère a précisé que cette interdiction serait progressive. « Un milliard de sacs en plastique sont utilisés chaque année. Il faut à ces sacs des centaines d'années pour se dégrader dans la nature. Ils détériorent la vie dans les villes comme à la campagne et ont un impact négatif sur de nombreuses espèces marines comme les tortues». Mais la Chambre syndicale nationale des fabricants-transformateurs de plastiques à l'Utica conteste cette décision : « L'industrie du plastique en Tunisie contribue à 3% du PIB. Elle compte plus de 100 entreprises employant environ 30.000 personnes en Tunisie, dont la moitié est constituée d'emplois directs. Elle ne peut pas être, du jour au lendemain, rayée du tissu industriel ». Et on ajoute : « Il y a des milliers de familles tunisiennes qui gagnent leur vie de la collecte des plastiques, sans oublier les 90 entreprises qui exercent dans le domaine du recyclage des plastiques et de leur exportation. Cette décision risque d'assécher leurs sources de revenus sans pour autant créer des alternatives». Bref, ce que les entreprises demandent c'est qu'on leur accorde un délai pour pouvoir faire face à leurs obligations (banques, fournisseurs, clients) et à trouver des moyens pour développer d'autres alternatives. Après quelques jours de colère, le ministère déclare accorder une année aux industriels et distributeurs de sacs en plastique. Pourquoi ne l'avoir pas annoncé plus tôt ? Encore une polémique stérile. Selon l'article 40 de la loi de finances 2016, le taux de la taxe sur les boissons alcoolisées de luxe a été modifié de 648% à 50% pour le whisky, la vodka et le cognac, et de 395% à 50%pour le gin. Mais la Chambre syndicale des producteurs de boissons alcoolisées (Cspba) conteste la nouvelle taxation de l'alcool fort et d'autres mesures annoncées dans la loi de finances 2016. Cette réduction des taxes sur les alcools forts a eu un impact négatif sur les marchés du vin et de la bière produits localement. Le président de la Chambre syndicale des producteurs de boissons alcoolisées a qualifié de violentes et mal étudiées ces décisions qui sont entrées en vigueur à partir du mois de décembre 2015. Il a mis en garde contre les retombées de ces décisions sur le secteur qui emploie 25 mille personnes en Tunisie. Le secteur des boissons alcoolisées fait travailler des dizaines de milliers de personnes entre viticulteurs, industriels et autres emplois indirects. La chute de la commercialisation des produits locaux se traduira par une mévente de la production agricole, ce qui conduira à une baisse des prix des matières premières. Déjà on a déploré la baisse des ventes de vin dans le marché local entre 20 et 30% durant les deux derniers mois de décembre 2015 et janvier 2016, ajoutant que la vente de bière a aussi enregistré une baisse entre 25% et 60% durant la même période. Des polémiques dont on aurait pu se passer si leurs causes, à savoir des décisions gouvernementales, avaient été réfléchies. Des décisions à courte vue qui risquent d'aggraver le chômage, alors que le gouvernement cherche des solutions pour la création d'emplois.