Le manque d'indépendance des organes de contrôle constitue un handicap essentiel de la lutte, selon le président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption. La corruption ne cesse d'anéantir l'économie tunisienne, avec une cadence de plus en plus élevée depuis 2011. Actuellement, la corruption coûte à la Tunisie 2% de son PIB. Et, selon Chawki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption, ce fléau risque de transformer la Tunisie en un Etat mafieux, si rien n'est fait. Un cri d'alarme qu'il a lancé lors d'une rencontre-débat, organisée le 18 février 2016 par Sigma Conseil, en collaboration avec la Fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung. Une déclaration qui dénote une certaine urgence s'agissant du traitement de ce fléau à travers la mise en place de mécanismes efficaces de lutte et de prévention, mais aussi de renforcement de l'indépendence des institutions. Mais que pensent les Tunisiens de la corruption? Sont-ils conscients de son impact socioéconomique? Des questions auxquelles un sondage récent de Sigma Conseil a tenté de répondre. Il a été réalisé du 11 au 15 février 2016 auprès d'un échantillon de 1.005 Tunisiens, et dont les résultats ont été présentés lors de la rencontre-débat. Manque de confiance Il ressort du sondage que 90% des interviewés associent la corruption aux pots-de-vin, pratique bien courante dans notre société. Le favoritisme suit avec 71%, le népotisme avec 67%, les cadeaux avec 61% et l'échange de services avec 46%. Concernant le degré de propagation de la corruption dans certains domaines, 63% des interviewés classent la Douane en première place, suivie des partis politiques (60%), les agents de sécurité (56%), les collectivités locales (56%) et les administrations publiques (51%). D'un autre côté, 78% d'entre eux estiment que la corruption a augmenté après la révolution. Pour l'année 2015, 27% affirment qu'ils ont été touchés au moins trois fois par la corruption. Ce taux s'élève à 43% pour les interviewés dont les proches ont été touchés. Mais si les interviewés indiquent qu'ils sont aussi touchés par la corruption, ils hésitent à dénoncer ce fléau à hauteur de 91%. "Je ne pense pas que ma voix sera entendue par les institutions concernées et qu'elles vont réagir en conséquence", estiment 53% d'entre eux. Une attitude qui reflète un manque de confiance flagrant dans les institutions publiques censées protéger les citoyens contre les abus. Pourtant, 92% des interviewés affirment que la corruption provoque une injustice sociale, d'où la conscience de ses conséquences socioéconomiques. Le manque de contrôle est considéré comme le premier facteur de corruption dans les administrations publiques. Selon les interviewés, les deux principales raisons de la propagation de ce fléau dans ces administrations sont : la situation financière défavorable, mais aussi la cupidité. Manque d'efforts En ce qui concerne l'évaluation de l'efficacité des institutions dans la lutte contre la corruption, 45% estiment que le gouvernement ne fournit aucun effort. Ce dernier est suivi par la société civile (40%), le pouvoir législatif (39%), le pouvoir judiciaire (31%) et les médias (22%). Des chiffres qui dénotent une certaine amertume vis-à-vis de la réactivité des différents acteurs en matière de lutte anti-corruption et de leurs capacités à répondre aux attentes des Tunisiens. Une incapacité que M. Tabib explique, pour sa part, par un manque d'indépendance des organes de contrôle, essentiellement au niveau des administrations publiques. "Les agents de contrôle sont soumis à la hiérarchie. Ils n'ont pas l'indépendance nécessaire pour dénoncer des cas de corruption directement devant la justice", affirme-t-il. Pour la société civile, il indique que la majorité des budgets des associations viennent de l'étranger: ce qui pose des questions sur leur indépendance aussi, appellant l'Etat à assumer ses responsablités. Concernant l'Instance nationale de lutte contre la corruption, il indique que son rôle est crucial, ajoutant que l'intérêt est porté actuellement sur le renforcement de ces moyens financiers pour pouvoir démarrer ses travaux dans de bonnes conditions. M. Tabib insiste également sur l'importance de la sensibilisation des Tunisiens à la possibilité de vaincre la corruption, afin qu'ils soient aussi des acteurs engagés dans la lutte contre la corruption. Selon le sondage de Sigma Conseil, 10% des interviewés estiment qu'ils sont pour l'octroi de cadeaux en échange d'un service. Ce qui reflète le fait qu'une tranche de la société tolère ce genre de pratiques, bien qu'elle relève d'une forme de corruption. De son côté, Mohamed Ayedi, juge au Tribunal administratif, a insisté sur la nécessité d'établir une stratégie de lutte contre la corruption. "Cette stratégie doit se baser non seulement sur la lutte contre la corruption, mais aussi sur la prévention de la corruption. Cette prévention serait un outil efficace de la stratégie nationale, puisqu'elle épargnera à l'Etat des coûts économiques colossaux", ajoute-t-il.