Le rapport publié par l'Omct a permis de saisir l'ampleur du phénomène tortionnaire en Tunisie, mais aussi de donner une idée précise sur son contexte, les profils des auteurs et les catégories de leurs victimes. Certes, la torture semble, peut-être, moins systématique qu'avant. Mais elle continue à mater autant de victimes, sans leur rendre justice. On en a trop parlé, pointant du doigt un si long processus juridique consacrant laxisme et impunité. Pourtant, le phénomène tortionnaire enfle dans nos prisons et dans les geôles de la police. Alors que ces lieux de privation de liberté sont toujours entourés d'un flou persistant. Derrière les verrous, silence radio ! Sauf que certaines voix de la société civile se font, à peine, entendre, mettant en garde contre des violations des droits humains cruellement subies en flagrant délit. Sans sanction aucune ni poursuites judiciaires ! Le 5e rapport 2020-2021 de Sanad, programme d'assistance directe aux victimes de torture et de mauvais traitements de l'Omct en Tunisie, en disait long sur un constat si amer et inquiétant. Intitulé « Violence institutionnelle : Jusqu'à quand ? », ce rapport, présenté tout récemment aux médias, a dressé un bilan critique : « Ces deux dernières années, Sanad a pu documenter 103 victimes agressées dans des lieux publics à des fins punitives par des agents de police agissant dans le cadre de leurs fonctions ou même à la suite d'une dispute d'ordre privé, des cas de personnes torturées ou maltraitées en garde à vue pour obtenir des aveux, violentées en détention, rouées de coups ou harcelées en raison de leur orientation sexuelle, de leurs croyances religieuses supposées ou de leur activisme en faveur des droits humains ». Mais le nombre réel des victimes de la violence institutionnelle demeure bien au-delà de ce qui a été révélé, selon Mme Hélène Legeay, directrice juridique de Sanad Elhaq de l'Omct. Sanad, un soutien constant aux victimes Il est aussi évident, a-t-elle souligné, que la documentation effectuée par ce programme a permis de saisir l'ampleur du phénomène tortionnaire en Tunisie, mais aussi de donner une idée précise sur son contexte, les profils des auteurs et les catégories des victimes. «Il en ressort que dans la majorité des cas, torture et mauvais traitements sont infligés à des fins punitives et non pas pour l'obtention d'aveux, comme le stipule le code pénal tunisien », indique-t-elle. Et les cas sont légion. Ceci étant, toujours selon le même rapport, la violence institutionnelle n'a jamais disparu en Tunisie. Loin s'en faut ! Après la révolution, elle a refait surface. Et le harcèlement policier méthodique n'est plus à démontrer. Soit une torture remarquablement systématique, juge Mme Legeay. Et si les tortionnaires étaient aux ordres de leurs maîtres ? L'on focalise, ici, sur la recrudescence de la violence institutionnelle exercée à l'encontre de la communauté LGBTIQ++, des manifestants présumés et des personnes fichées S, tous considérés comme menace pour l'ordre public. Leur soutien étant, alors, préalable à leur rétablissement. « D'où il est nécessaire de leur apporter l'assistance requise, mais aussi un suivi régulier de leur situation », affirme Mme Najla Talbi, directrice de Sanad à l'Omct. « Depuis sa création en 2013, ce programme a pris en charge 639 bénéficiaires dont 430 victimes directes et 209 indirectes de torture ou mauvais traitements », lit-on dans la seconde partie dudit rapport consacré au soutien régulièrement fourni par les centres Sanad à Tunis, au Kef et à Sfax. « Un plan d'accompagnement et d'intervention individualisé établi pour chaque bénéficiaire, auquel s'ajoute parallèlement une assistance judiciaire rapprochée », précise-t-elle encore. Le problème est juridique! L'impunité est aussi une double torture dont la tolérance n'est qu'un crime désavoué. L'Etat y est pour quelque chose, à vrai dire. A commencer par la réforme de la loi et son application d'une manière équitable. L'article 101 bis du code pénal, si obsolète soit-il, n'est plus à la mode, vu qu'il réduit la torture à des pressions exercées aux fins d'obtenir des renseignements ou des aveux. Le problème est plutôt d'ordre juridique, aux dires de Mokhtar Trifi, vice-président de l'Omct-Tunisie. Sinon, comment expliquer, selon lui, qu'un non-lieu fut, dernièrement, prononcé en faveur du policier agresseur d'un jeune à Sidi Hassine, fin janvier dernier ? Aussi, l'affaire de feu Lina Ben M'henni, victime d'une agression policière en 2014, a connu le même sort. Pire, ces accusés se soustraient à la loi, fort soutenus par des agents de la police judiciaire, avec l'encouragement des syndicats sécuritaires. Un tel verdict n'est guère une victoire. Ce fut ainsi une injonction tout bonnement instrumentalisée. Au-delà, c'est un mauvais signal d'une justice à deux vitesses. Cela nécessite bel et bien un complément d'enquête. Pour M. Trifi, cela est dû également au dysfonctionnement des chambres spécialisées liées à la justice transitionnelle. A l'en croire, leur composition est si tronquée qu'elle impacte le bon déroulement des procès. D'autant plus que leurs juges sont toujours sujets à des mutations judiciaires arbitraires et irréfléchies. Cela dit, leur exercice est souvent jugé défaillant. Le ver est-il dans le fruit ? Mais le problème est aussi politique. « Dans un climat politique contesté, la justice porte une responsabilité accrue de protéger les droits humains et de rendre justice aux victimes de la torture. On œuvre pour un Etat de droit plus fort censé reconquérir la confiance de ses citoyens», recommande Mme Talbi.