Le président du Parlement hellénique, M. Nikos Voutsis, effectue à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 19 mars une visite officielle en Tunisie sur invitation de son homologue, M. Mohamed Ennaceur. Au cours de cette visite, M. Voutsis sera reçu par le président de la République et rencontrera également le chef du gouvernement. Le président du Parlement hellénique aura également une série d'entretiens avec des personnalités politiques ainsi que des représentants de la société civile. M. Voutsis se rendra à la cathédrale grecque orthodoxe St Georges et aux locaux de la communauté grecque de Tunis. Voutsis déposera une gerbe de fleurs au mémorial des victimes de l'attentat terroriste qui a eu lieu au Musée du Bardo, ainsi que devant le monument des officiers et soldats grecs morts pendant la Seconde Guerre mondiale en Tunisie. A l'occasion de cette visite, M. Nikos Voutsisi a bien voulu accorder cette interview à La Presse Dans quel cadre s'inscrit votre visite en Tunisie et quels en sont les objectifs ? Je suis très content d'être dans votre pays. A ma connaissance, il s'agit de la première visite officielle d'un président du Parlement hellénique en Tunisie. C'est aussi ma deuxième visite à l'étranger depuis mon investiture. Ce qui dénote la très grande importance que nous accordons à l'approfondissement de nos relations avec la Tunisie démocratique. La Grèce considère votre pays comme un ami, auquel elle est liée par de solides liens politiques, culturels et affectifs, reflétant les rapports historiques entre deux anciennes civilisations de notre espace géographique commun, la Méditerranée. Tant sur le plan bilatéral que dans le cadre de l'Union européenne, les positions grecques sont toujours favorables à votre pays. On est aussi unis par des valeurs communes. La Grèce, lieu de naissance de la démocratie, a suivi avec beaucoup d'intérêt la Révolution de 2011, qui a donné naissance au Printemps arabe. Celui-ci a porté seulement ici, malheureusement, ses fruits, prouvant que la liberté et les droits de l'Homme sont les seuls vrais fondements de la stabilité et de la démocratie. En tant que président du Parlement hellénique, je ne peux que ressentir de l'émotion, considérant que l'actuelle Assemblée des représentants du peuple constitue le premier Parlement qui a été démocratiquement élu au suffrage universel direct en Tunisie depuis son indépendance. Ce corps législatif historique, tout à fait crucial pour la mise en application du principe de la séparation des pouvoirs, mérite tout notre soutien. Malgré les difficultés auxquelles il est confronté, ses ressources humaines, matérielles et logistiques limitées, il a déjà accompli un travail considérable ayant trait à la mise en place des instances constitutionnelles indépendantes et au vote d'importants projets de loi. En plus du renforcement de la stabilité et de la sécurité en Tunisie, aussi bien que celui de nos rapports bilatéraux, tant politiques qu'économiques, ma visite a aussi pour objet, plus particulièrement, d'explorer les possibilités d'une coopération directe entre le Parlement hellénique et l'Assemblée des représentants du peuple, qui pourrait, par exemple, prendre la forme d'un échange d'expertise et de meilleures pratiques concernant l'organisation et le fonctionnement parlementaires. Quels sont les domaines d'échanges qui peuvent ou doivent être renforcés dans l'intérêt notamment économique des deux pays ? Malgré le fait qu'aujourd'hui, à cause de la situation économique récente dans nos pays, nos rapports commerciaux bilatéraux soient bien en deçà de nos ambitions, il existe néanmoins un potentiel de croissance réel qui peut bénéficier aux deux parties. Je pense qu'il y a des opportunités de coopération entre des entreprises grecques et tunisiennes dans plusieurs domaines. Entre autres, on pourrait citer la construction, le transport et le commerce maritime, les hydrocarbures, la production énergétique, particulièrement celle des énergies renouvelables, les technologies de pointe, la biotechnologie, les transports, les télécommunications, la production du matériel mécanique et électrique, ainsi que les industries à forte intensité de main-d'œuvre, comme l'industrie textile. Le renforcement des projets communs importants, comme la liaison maritime directe du port du Pirée avec ceux de Bizerte et Radès, va sans doute contribuer au développement de notre coopération économique, en permettant l'augmentation du volume de nos échanges commerciaux. Dans le même cadre, le rétablissement de la ligne aérienne directe Athènes-Tunis pourrait avoir une influence positive sur nos échanges professionnels et touristiques. Par ailleurs, des entreprises grecques participent aux marchés publics, tant européens que tunisiens, contribuant ainsi au développement de l'économie tunisienne. En plus, la Grèce octroie des bourses à des étudiants tunisiens qui font leurs études dans des universités et instituts techniques grecs, tout en donnant une suite favorable aux requêtes tunisiennes concernant le transfert de savoir-faire dans des domaines comme le tourisme, l'agriculture, l'industrie textile, les transports urbains et les énergies renouvelables. En novembre prochain, la convocation de la Commission ministérielle mixte va donner un nouvel élan à notre coopération économique bilatérale, alors que des accords, entre autres, dans le domaine de la santé, devraient être signés entre les ministères compétents des deux pays, ou entre des institutions comme Enterprise Greece, Fipa et Cepex, pour la promotion des exportations et des investissements bilatéraux. Comment voyez-vous l'avenir des relations bilatérales entre la Grèce et la Tunisie ? Depuis la création de l'Etat tunisien moderne, grâce à nos liens historiques, nos valeurs politiques communes, nos échanges culturels fructueux, notre proximité géographique, les sentiments amicaux réciproques de nos peuples et l'absence totale de frictions entre nos Etats, nos relations bilatérales se trouvent à un niveau excellent. Plus récemment, les développements politiques en Tunisie ont démontré la maturité de vos responsables politiques et leur volonté de demeurer fortement attachés à la consolidation du régime démocratique. Or, d'importants défis demeurent. L'aggravation de la menace terroriste en Méditerranée orientale et en Afrique du Nord accentue nos inquiétudes. Les problèmes sécuritaires et leurs conséquences économiques et sociales entravent vos efforts pour le développement et la stabilité. Je connais bien les problèmes majeurs que le terrorisme a provoqués dans votre pays, le lourd tribut de sang versé. Ma visite, en fait, coïncide avec l'anniversaire tragique de l'attaque terroriste au Bardo, qui a causé la mort de tant d'innocents. Je suis au courant, aussi, des efforts systématiques et persistants de votre pays pour éradiquer ce fléau, efforts soutenus par la communauté internationale dans son ensemble. La Grèce se tient aux côtés de la Tunisie et est prête à lui apporter son soutien, tant sur le plan bilatéral que dans le cadre de l'Union européenne et des organismes internationaux. La crise en Libye, notamment, a des conséquences négatives sur les Etats voisins. La résolution politique du problème, dans le cadre de l'initiative de médiation des Nations unies, doit se conclure avec succès au plus vite, afin que la sécurité et l'état de droit soient rétablis sur le territoire libyen. En plus du domaine de la sécurité, pourtant, il est opportun d'approfondir nos relations politiques, économiques et culturelles. Comme vous le savez, la Grèce soutient la Tunisie, aussi bien au sein de l'Union européenne, en se prononçant à toute occasion pour l'approfondissement de la coopération avec les pays du voisinage sud qu'au sein des organismes internationaux. Nous le faisons non seulement parce que nous voulons soutenir économiquement un pays méditerranéen ami, mais aussi parce que nous sommes convaincus que la consolidation du régime démocratique présuppose le développement de l'économie tunisienne. Pensez-vous que la fermeture des frontières de l'Europe face aux migrants fuyant les guerres et le terrorisme soit la meilleure, ou la seule, solution à cette grave crise humanitaire ? La fermeture des frontières à ceux qui fuient leurs pays à cause de la déstabilisation généralisée de la région ne constitue pas une solution. L'instabilité de la région est due à plusieurs facteurs. En outre, elle a une dimension internationale considérable, puisque toute la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord a joué pendant des décennies, et continue encore à le faire, un rôle géostratégique très important à l'échelle mondiale. Des guerres accompagnées d'interventions extérieures ont été menées au nom de la lutte antiterroriste. Par le passé, comme de nos jours, il y a des plaies béantes provoquées par de violents conflits religieux radicaux et des oppositions, qui ont abouti récemment à l'apparition massive des forces de Daesh, aspirant à l'établissement d'un Etat islamique séparé. Les guerres civiles ont toujours existé et elles existeront dans l'avenir. Elles sont alimentées en grande partie par le sous-développement économique dans la région ou par la quête des grandes puissances ou des puissances régionales, pour imposer leur présence hégémonique dans la région. Pour toutes ces raisons, dans tous ces cas, la communauté internationale, qui inclut bien entendu l'Union européenne, n'a été ni absente, ni inerte. À chaque grande puissance et à chaque pays revient une part de responsabilité, petite ou grande. Par conséquent, l'Europe, qui, dans l'imaginaire, constitue pour la région une terre de sécurité et de stabilité, devra se mesurer avec l'Histoire et assumer une partie des responsabilités quant à l'accueil et éventuellement l'intégration future d'une partie de ce flux immense de réfugiés. C'est pourquoi, depuis des années, nous avons soulevé la question de la responsabilité de chaque Etat du continent européen d'accueillir un certain nombre de réfugiés et de migrants, nombre qui, tenant compte des conditions actuelles, pourrait être élevé. L'Europe ne peut pas devenir une forteresse face aux autres peuples. En même temps à l'intérieur de l'Europe, des mesures qui rendent certains pays, dans ce cas la Grèce, un camp de rétention de quelques centaines de milliers de migrants et de réfugiés, devraient être évitées. Par contre, il faudra établir une stratégie visant à la pacification et à la stabilité de toute la région, dans laquelle l'UE devra jouer le rôle primordial en coopération avec tous les gouvernements des pays qui ont une orientation pacifiste similaire. De plus, une politique visant au développement économique de tous ces pays qui, aujourd'hui, subissent les maux de la déstabilisation doit être adoptée, de sorte que les Etats puissent maintenir leurs populations dans la paix et la sécurité, en leur procurant un niveau de vie digne, un avenir et de l'espoir. C'est ainsi que le problème sera traité à la racine plus vite, la région sera stabilisée, les flux des migrants et des réfugiés seront diminués. Les flux déjà existants, pourtant, devront être absorbés et intégrés, à la charge de l'Union Européenne et des pays qui en ont la possibilité. Le terrorisme a asséné un coup dur au secteur du tourisme tunisien. Dans beaucoup d'autres pays également. En tant qu'homme politique dans un pays traditionnellement touristique, pensez-vous que le terrorisme a tué le tourisme, en tant que secteur économique stratégique ? Notre pays a connu des flux touristiques accrus, même s'il traverse, durant ces six dernières années, une crise économique sans précédent, aux lourdes conséquences sociales. Cette année nous attendons 25 millions de touristes, étant donné que d'autres destinations touristiques traditionnelles ont subi les effets de l'instabilité. Nous sommes conscients de cette situation, comme nous avons également conscience des facteurs qui, cette année comme dans le futur, peuvent porter atteinte au tourisme grec, si une politique de fermeture des frontières continue d'enfermer les flux migratoires dans notre pays, qui, en tout état de cause, dispose de peu de moyens pour offrir de l'emploi aux immigrés et aux réfugiés et pour les intégrer. Le terrorisme a connu un nouveau visage ces deux dernières années, avec «l'exportation» d'attentats terroristes dans des pays ou des capitales de l'Europe, et la répétition de tels actes dans des pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Cela a certainement déclenché une dynamique négative et nuisible au tourisme, qui constitue une raison supplémentaire, en plus de la prévention humanitaire de la perte de vies humaines, pour éradiquer ce phénomène et vaincre la stratégie terroriste, en s'attaquant également à ses causes profondes. Je crois, donc, qu'il ne faut en aucun cas laisser le terrorisme porter le coup de grâce au tourisme de votre pays, ni à celui des autres pays de la région ou du nôtre. Il faudra que, sur le plan international, des initiatives soient prises pour réduire le risque d'attaques terroristes et minimiser leur impact, afin de préserver le tourisme, ce domaine particulièrement important pour l'économie, mais qui dispose aussi, entre autres, de dimensions culturelles, commerciales et éducatives. Le Parlement grec a voté en décembre 2015 en faveur de la reconnaissance d'un Etat palestinien — un Etat viable, indépendant et souverain sur la base des frontières de 1967 et ayant comme capitale El Qods-Est — et a appelé le gouvernement grec à faire de même et à encourager la reprise des discussions diplomatiques pour la paix dans la région. Quels en sont les résultats ? Comme nous avons tous appris par les développements de la réalité historique dans notre région meurtrie, de nombreuses fois les crises facilitent la solution de problèmes qu'auparavant l'on avait laissé stagner et constituer des facteurs permanents de déstabilisation dans la région. De tels problèmes, par exemple, constituent non seulement le problème palestinien, mais aussi la question chypriote, vu qu'après plus de 40 années, la République Chypriote, Etat membre de l'Union européenne, n'a toujours pas été réunifiée sur une base fédérale viable. Le problème palestinien a été, depuis plusieurs années, et continue d'être, la plaque tournante de plusieurs contrastes, conflits et tensions qui déstabilisent la région. Au sein de cette crise généralisée, qui a fini par créer des foyers de conflits susceptibles de se transformer en guerre élargie, guerre qui a été heureusement évitée grâce à la récente trêve en Syrie et, selon nous, à l'accord de la Communauté internationale avec l'Iran, il est clair que l'on doit intensifier nos efforts pour résoudre le problème palestinien et aboutir à la création de deux Etats égaux dans la région, qui se reconnaissent mutuellement et sont reconnus par la Communauté internationale dans son ensemble. Tous les efforts déployés, auxquels ont contribué la décision du Parlement hellénique, aussi bien que celles d'autres Parlements ou gouvernements des années précédentes, doivent viser à encourager et soutenir les initiatives de dialogue et de paix, afin qu'une solution viable et solide soit trouvée, qui reconnaisse les droits du peuple palestinien dans la région, l'Etat d'Israël et l'Etat Palestinien. Vous connaissez que les gouvernements helléniques, et surtout le gouvernement actuel, sont traditionnellement attachés à cette question et travaillent progressivement en vue du rapport des forces, mais aussi du large consensus nécessaire à la résolution du problème palestinien dans la conjoncture actuelle.