Toute une marée humaine constituée d'amateurs, de fans et d'amoureux d'oiseaux jette son dévolu sur les différentes espèces proposées à la vente au souk Moncef-Bey Dimanche matin, temps ensoleillé et printanier. La rue Houssine Bouzaïène de la périphérie sud de Tunis ne désemplit pas… La promiscuité ! On se serre les coudes pour y marcher. Les murs de cette rue, ainsi que celles qui la croisent sont garnis de plusieurs cages d'oiseaux exposés à la vente… Oui, on est de plain-pied au souk animalier hebdomadaire de Moncef-Bey. Dans cette artère et les rues adjacentes, on vend toutes les races de passereaux, essentiellement les canaris. Les espèces varient, il y a le beldi, le canari tunisien chanteur par excellence. On y vend aussi le croisé, le saxon, le frisé, le bossu anglais, le casqué, le mosaïque, l'agathe français, le malinois belge, le harz allemand, le diamant multicoloré, la chinelle, la perruche… C'est beau à voir et à contempler Interrogé sur l'origine de ces différentes races, Am Lahbib, septuagénaire, propriétaire d'une grande tente où sont exposés une cinquantaine de cages peuplées d'oiseaux, nous répond : «La majorité de ces canaris sont élevés chez moi à Tunis où je dispose d'une volière et d'un local de vente à Bab Laâsal. Quelques espèces sont importées de Malte, d'Italie, d'Allemagne et de France». Et Am Lahbib de préciser : «Bien que l'importation a subi des à-coups ces dernières années à cause de la Covid-19». En vendant ses passereaux, Am Lahbib prend soin de donner des conseils à ses clients, ayant trait à la nutrition et à la période d'accouplement des oiseaux. Non loin de la tente de Am Lahbib, une petite fourgonnette est stationnée carrément sur le trottoir, drôle d'engin à portes ouvertes rempli à l'intérieur de plusieurs cages d'oiseaux. Slah, propriétaire de cette fourgonnette, est médecin de son état. C'est un grand passionné d'oiseaux; il s'occupe lui-même, en compagnie de son fils, de l'élevage de ces volatiles. Il possède chez lui, à Makthar, une grande volière et c'est avec un grand plaisir qu'il expose—un dimanche sur deux—ses différentes espèces à l'intérieur de sa fourgonnette et à l'intérieur de sa petite cylindrée, aidé par son fils sur laquelle s'affiche le caducée de médecin. «Plusieurs musicologues, compositeurs et chansonniers sont passionnés d'oiseaux», nous révèle ce toubib, qui est, lui-même un joueur de flûte. Il nous cite des exemples, tels, que feu Bel Algia, Lotfi Bouchnaq, Chokri Bouzaïene et tant d'autres compositeurs, tous amateurs d'oiseaux. «Ceux-ci ont l'ouïe fine et le chant des canaris les attire. Il est considéré comme source d'inspiration pour leurs compositions. Ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ?». A propos des chants, le grand éleveur de canaris, George Mest, disait: «Si le rossignol est le chanteur des bois, le canari malinois est le chanteur des chambres». Le chardonneret (boumzaïène ou moknine), l'oiseau chanteur de nos forêts denses, est présent en quantité et en qualité dans ce marché, en dépit du décret loi du Code de la chasse (article) qui interdit sa chasse. Ses fans sont nombreux et son prix est assez élevé par rapport au canari ordinaire. Le prix d'un canari oscille entre 50 et 100 dt, alors qu'un chardonneret, grand chanteur, est négocié à partir de 300 dt. Sami, un jeune éleveur de chardonneret, nous fait savoir que ce passereau multicolore, maître de la forêt, s'adapte bien en cage et qu'il peut vivre en couple dans des volières spéciales construites sur les terrasses de maisons et disposant de troncs d'arbres et d'arbustes pour y bâtir son nid. Et Sami de nous préciser : «Les adeptes du moknine ont été obligés de trouver l'astuce afin de pouvoir élever le chardonneret dans des volières spéciales qui s'accommodent avec son mode de vie en forêt, afin de maintenir la race en état de survie». Le chardonneret appelé aussi "Charef" peut aussi s'accoupler avec un canari femelle pour donner naissance à un oiseau bâtard très prisé par les fans et dont le prix est souvent exorbitant. Vie cyclique des oiseaux Interrogé sur la fréquence des chants, Omar, un autre passionné d'oiseaux —plombier de son état— qui se convertit en vendeur d'oiseau le dimanche, nous explique qu'un canari bien entretenu, bien nourri, vivant dans de bonnes conditions devient un bon chanteur. Le chant est tributaire aussi de la saison. «Tous les oiseaux chantent des mélodies en hiver et au printemps; cette période précède le cycle d'accouplement et de reproduction. A la fin de l'été, le chant diminue à cause de la mue, période durant laquelle l'oiseau change de plumage». A propos d'accouplement, Omar nous fait savoir que la femelle couve deux à trois oisillons, dont le maintien en vie nécessite beaucoup de soins, car ils risquent de mourir au moindre coup de vent ou de négligence nutritive. Ces oisillons deviennent adultes dès l'âge d'un mois et sont fin prêts pour l'écolage et l'apprentissage des mélodies. Attention au dopage Afin d'écouler facilement leur marchandise, certains vendeurs, sans scrupules, n'hésitent pas à doper leurs oiseaux afin de les exciter et les inciter à chanter. Le dopage consiste à faire nourrir l'oiseau disponible à la vente d'une certaine quantité de graines oléagineuses mélangées avec une poudre contenant un excitant. Les mêmes vendeurs profitent de la confiance et de la naïveté de quelques acheteurs, non encore connaisseurs du domaine, pour vendre un canari femelle au prix d'un mâle (le prix du canari femelle correspond à deux tiers du prix du canari mâle). De l'avis de Omar, ce grand connaisseur d'oiseaux, la prudence est fortement recommandée lors du choix d'un canari afin de ne pas se faire rouler par des pseudo-commerçants, toujours avides d'argent facile ! Fadhel, un autre passionné, accompagné de sa femme, est un visiteur régulier de ce marché et un client fidèle. Il s'est réjoui en nous déclarant qu'il possède chez lui, dans son jardin, une grande volière peuplée de perruches au plumage multicolore. «Je viens souvent ici afin de pouvoir dénicher un couple de perruches et le préparer à la reproduction», nous raconte ce passionné d'oiseaux, qui poursuit : «Les perruches ont un mode de vie spécial qui diffère des autres oiseaux. Il est recommandé de les nicher dans de petites jarres et c'est ici que je peux acquérir quelques ustensiles adéquats». Décidément, dans ce souk, les fans diffèrent selon les variétés, mais l'amour de ces passereaux de toute forme et de toute couleur les attache. Ce sont tous des passionnés de chant et de mélodie. Tarek ZARROUK