Hier, à Tunis, le Front populaire a tenu une conférence de presse, où il a évoqué plusieurs questions du moment qui animent les débats et attisent les tensions. Il s'agit, bien évidemment, de ce qui vient de se produire à Kerkennah et de l'affaire Chokri Belaïd qui vient de connaître de nouveaux rebondissements, suite à l'épilogue annoncé, tout dernièrement, par le juge d'instruction. En plus de ces questions brûlantes, on a donné un avant-goût du contenu du prochain Congrès national, en attendant d'en révéler davantage, dans le cadre d'une autre conférence de presse, la veille de sa tenue. La fuite en avant du gouvernement Ouvrant le bal, Hamma Hammami commence par dénoncer la dernière déclaration du chef du gouvernement, où il accuse le FP d'être derrière les derniers événements de Kerkennah. Cette attitude devient une tradition chez ce dernier, le président de la République et le président de l'ARP, à laquelle ils recourent, chaque fois qu'ils se trouvent dans une impasse et à court d'arguments, face à une nouvelle crise sociale, d'après ses termes. « Le but poursuivi à travers cette campagne, c'est de ternir l'image du FP et ancrer, dans l'opinion publique, l'idée selon laquelle il est extrémiste et subversif », précise-t-il. En procédant de la sorte, la coalition au pouvoir cherche à se décharger de toute responsabilité vis-à-vis de la dégradation continue de la situation à tous les niveaux, occasionnée par ses choix économiques, sociaux et politiques, puisés dans le même modèle de développement qui a fait éclater la révolution, toujours d'après Hammami. Et là, il évoque les mesures d'urgence en matière financière que la coalition de gauche a proposées au gouvernement, il y a quelques mois, en vue de dépasser la crise. Il y a lieu de citer, notamment, la suspension de la dette extérieure pendant trois ans, et l'impôt sur les grosses fortunes. A ce propos, Hammami se réfère à un rapport émanant d'une organisation internationale, spécialisée en matière de finance, et qui révèle qu'il existe en Tunisie 6.500 millionnaires et 70 milliardaires, accaparant à eux seuls une bagatelle avoisinant les 15 milliards de dinars, c'est-à-dire près de la moitié du budget de l'Etat tunisien. « Le gouvernement se détourne de ces choix, qui sont pourtant judicieux et tout à fait possibles, et s'enfonce davantage dans la dette extérieure, comme il le fait actuellement avec le FMI. Pire, il décrète l'indépendance de la Banque centrale vis-à-vis des Tunisiens, et les condamne à s'endetter auprès des milieux financiers internationaux, et d'hypothéquer par là la souveraineté du pays, un projet qui est trahi par l'article 62 qui stipule que la BCT peut être transférée en dehors des frontières nationales », dénonce Hamma Hammami. Pour mieux persuader l'assistance du bien-fondé de sa thèse concernant les événements de l'île de Kerkennah, il rappelle que c'est le non-respect par le gouvernement d'un accord qu'il a signé avec les sit-inneurs, en date du 16 avril 2015, qui a, en réalité, déclenché les événements de Kerkennah, et à propos duquel les autorités se taisent, essayant par là d'occulter leur entière responsabilité dans ce dossier, par la recherche d'un bouc émissaire, en l'occurrence le FP. « Au lieu d'assumer ses responsabilités et de trouver des solutions à la crise, le gouvernement réagit par la force, prétextant qu'il agit ainsi pour sauvegarder le prestige de l'Etat. Mais pourquoi ne défend-il pas ce prestige par la lutte contre l'évasion fiscale et la contrebande ? », s'indigne le porte-parole du FP. D'autre part, il s'interroge sur l'hébergement des 200/700 agents de l'ordre dans des hôtels 3 et 4 étoiles pendant 14 jours à Kerkennah. « Qui en a payé la facture ? Est-ce le ministère de l'Intérieur ? Est-ce une partie occulte ? Certes, on veut bien que nos forces de l'ordre soient bien hébergées, seulement, il faut que ce soit fait en toute transparence », accuse Hammami de manière à peine voilée. Pour jeter un éclairage sur les derniers événements survenus sur l'Île insurgée, il cite le rapport du bureau régional de la Ltdh, qui fait état de très graves dépassements de la part des forces de l'ordre. Et c'est sur cette base que celle-ci a déposé, hier même, une plainte contre le ministre de l'Intérieur et le chef de district local. Toutefois, ledit rapport mentionne l'attitude positive de certains agents de l'ordre qui ont refusé d'être impliqués dans des questions d'ordre social. Graves manquements du juge d'instruction Le porte-parole du FP valorise ce comportement digne d'une police républicaine et réitère leur condamnation de toute instrumentalisation des forces de l'ordre dans des dossiers purement sociaux, tout en réclamant un Etat de droit juste où la loi s'applique, indistinctement, à tous. « Kerkennah n'est qu'un prototype de ce qui se passe partout dans le pays, à l'instar de NadhourEl Mourouj et du Kef aujourd'hui, et nous serons toujours avec notre peuple, sur le terrain, pour soutenir ses causes justes et légitimes, nous accuser d'un tel parti pris est un honneur pour nous, comme le disait notre camarade martyr Chokri Belaïd», entonne-t-il. Il termine son intervention en saluant l'action de terrain menée par leurs députés, à l'image de Jilani Hammami, Zied Lakhdar, Ammar Amroussia et NizarAmami, tout en soulignant que l'espace où s'exerce la vraie démocratie dépasse la coupole de l'ARP. Quant au second volet de la conférence, inhérent au dossier de Chokri Belaïd, c'est le secrétaire général adjoint du Parti unifié des patriotes démocrates, Mohamed Jmour, qui s'en charge. Il tient à préciser, au départ, que ce dossier n'est pas seulement juridique mais aussi et surtout politique. Cette précision sert de préambule pour expliquer l'issue qu'il a connue et le traitement extrajudiciaire dont il a fait l'objet de la part du juge d'instruction qui est saisi de l'affaire. Comme tout le monde sait, il vient d'annoncer la clôture de l'instruction du dossier. L'avocat du martyr y voit une mesure illégale, étant donné que celui-ci n'est pas encore instruit, étant donné que le juge d'instruction en question a omis de s'acquitter des tâches qui lui ont été assignées par la chambre d'accusation, le 4 juin 2014, et qui consistent dans 48 travaux d'investigation et d'incriminer tous ceux dont la culpabilité sera prouvée. Le plus grave, selon Jmour, c'est que le ministère public s'est mis du côté du juge d'instruction, en se pourvoyant en cassation contre la décision de la chambre d'accusation, exactement comme l'ont fait les avocats des inculpés. Et devant la pression exercée par les avocats de la défense, qui ont mené une action médiatique intense pour dénoncer l'insouciance de ce dernier, l'ex-ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa, s'est trouvé contraint, en sa qualité de président du ministère public, de s'adresser, le 6 octobre 2015, au juge d'instruction, par le biais du procureur général de la Cour d'appel, pour lui rappeler les décisions de la Chambre d'accusation et de la Cour de cassation et l'appeler à exécuter les tâches qui lui incombent. Le 7 octobre, le procureur général envoie une correspondance au procureur de la République, pour réitérer cette demande. Mais, 48 heures après, Mohamed Salah Ben Aissa est limogé. Le 16 novembre 2015, le procureur de la République adjoint au tribunal de première instance de Tunis demande au juge d'instruction de procéder à seulement 5 travaux d'investigation parmi les 48 prévus. Mais, cette demande connaît le même sort que les précédentes. Par le rappel des épisodes du procès, Jmour veut montrer que, d'une part, le ministère public ne respecte même pas ses propres structures, et que de l'autre, le juge d'instruction commet tous ces manquements graves, parce qu'il se sent protégé. En témoigne le sort du procès intenté à son contre, par les avocats de la défense, pour avoir subtilisé des pièces à conviction et falsifié des faits, et qui ne connaît toujours pas de suite. Pour l'avocat, toutes ces attitudes de la part des autorités judiciaires et politiques visent à étouffer, définitivement, l'affaire, comme le laisserait entendre l'appel à la réconciliation lancé par Rached Ghannouchi. Il craint fort qu'ils ne soient contraints, devant cet échec, à internationaliser ce dossier. Enfin, Hamma Hammami clôt les débats, en donnant quelques éléments sur le 3e Congrès national du FP qui se tiendra les 29 et 30 avril et le 1er mai prochain. Il sera animé par quelque 300 délégués, représentant toutes ses composantes politiques ainsi que les indépendants. Et il portera sur deux thématiques, l'une politique, l'autre organisationnelle. Pour ce qui est de la première, il sera question de la mise en place d'une plateforme commune et de l'élaboration d'une initiative susceptible d'apporter des solutions aux problèmes actuels que connaît le pays. Et en ce qui concerne la seconde, on s'ingéniera à se doter d'une structure adéquate pour pouvoir réaliser le programme du FP et accueillir toutes les compétences qui aimeraient lutter en son sein. Le porte-parole ne manque pas de rappeler les promesses faites par le président de la République lors de la campagne électorale pour la présidentielle, de jeter toute la lumière sur le dossier Chokri Belaïd.