Inflexible depuis le début du processus du 25 juillet, Saïed acceptera-t-il de faire machine arrière ? Cédera-t-il à la pression exercée par tout le monde, y compris la commission consultative qu'il a lui-même mise en place ? Est-il en mesure d'amender la nouvelle Constitution avant même son adoption ? Tant de questions qui se posent alors que le processus de rectification, comme l'appelle le Président de la République, traverse une zone de turbulences. La crise politique se creuse davantage en Tunisie. Alors qu'à un certain moment nous avions espéré un dénouement, une grande polémique a éclaté à la suite de la parution du projet de Constitution au Jort. Et pour cause, une démarche unilatérale adoptée par le Président de la République ayant ignoré les efforts de la commission consultative pour la nouvelle République. Les réactions se font nombreuses et il s'avère que la crise politique ne fait que commencer à quelques jours de la tenue du référendum, devenu lui-même un objet de tiraillements politiques. Alors que le Président de la République a décidé de publier son propre projet de Constitution au Jort et de le soumettre au référendum, toute la sphère politique, ou presque, s'est révoltée, accusant une «approche individualiste». Jusque-là, une marée de réactions des partis et hommes politiques et des constitutionnalistes a envahi les réseaux sociaux et les médias pour certains, il est devenu indispensable de reporter le référendum jusqu'à rectification de la version proposée pour la nouvelle Constitution. Inflexible depuis le début du processus du 25 juillet, Kaïs Saïed acceptera-t-il de faire machine arrière ? Cédera-t-il à la pression exercée par tout le monde, y compris la commission consultative qu'il a lui-même mise en place ? Est-il en mesure d'amender la nouvelle Constitution avant même son adoption ? Tant de questions qui se posent alors que le processus de rectification, comme l'appelle le Président de la République, traverse une zone de turbulence. C'est le Constitutionnaliste Amine Mahfoudh, membre de ladite commission, qui a appelé, en premier, Kais Saied à rectifier le tir en apportant les modifications nécessaires au projet de Constitution. Amine Mahfoudh, qui a expliqué que ce nouveau texte est pour lui antidémocratique, appelle le locataire de Carthage à agir avant qu'il ne soit trop tard. «Il y a des assurances pour la sécurité du texte qui ont été supprimées par le Président de la République. Ce texte, qu'il a modifié lui-même, annonce une dérive autoritaire du pouvoir. Et il n'y a aucun contre-pouvoir !», a-t-il regretté. Sur la même longueur d'onde, l'ancien ministre Sadok Chaâbane a proposé le report de quelques semaines du référendum. Pour lui, ce sera l'opportunité d'apporter des «améliorations et des ajustements aux textes». «Certes, ça ne va pas plaire à certains, mais je suis pragmatique et je ne peux garder le silence même si j'admets que les chances de mise en application sont minimes», a-t-il expliqué, dans un post Facebook. Au fait, il craint un taux de participation faible, ce qui porterait atteinte à la crédibilité de tout le processus entamé par le Chef de l'Etat. Deux visions inconciliables En consultant les deux versions de projet de Constitution, on s'aperçoit clairement que les deux visions de Kaïs Saïed et de la Commission consultative sont inconciliables. Alors que pour celle de Kaïs Saïed on prépare le passage à un pouvoir politique fondé sur une nouvelle division territoriale et optant pour des conseils régionaux, du côté de la commission de Belaid on penche pour un régime présidentiel avec pouvoir de contrôle pour le Parlement. La professeure de droit constitutionnel Salwa Hamrouni fait le constat. Pour elle, les deux versions sont totalement divergentes même sur le plan des libertés et des références de l'Etat. «La version de la commission consultative est respectueuse et pourrait donner lieu à un Etat démocratique et républicain», a-t-elle précisé. Pour sa part, le professeur de droit public Slim Laghmani a considéré que les textes parus jeudi dernier dans le Jort instaurent un régime présidentialiste. Selon ses dires, ce régime prépare un terrain favorable pour la mise en place du projet de «la construction démocratique par la base» du Président de la République Kaïs Saïed. «Il n'est pas possible de destituer le Chef de l'Etat et le contrôler», a-t-il déclaré mettant l'accent sur les pleins pouvoirs dont jouit Saïed, selon le projet de constitution proposé. La militante et professeure de droit, Sana Ben Achour, est allée dans ce sens jusqu'à considérer que le pays se dirige vers l'Etat islamique et que ce nouveau projet soulève des doutes sur le pouvoir judiciaire, selon ses dires. Sadok Belaïd avait déclaré dans ce sens que «le projet de la nouvelle constitution publié au Journal Officiel, et soumis au référendum, n'a rien à voir avec le texte de la constitution élaboré par l'instance et présenté au Président de la République, le 20 juin dernier». Belaïd a affirmé que «l'instance nationale chargée de la rédaction de la constitution est totalement innocente du projet présenté par le Chef de l'Etat au référendum national». Celui-ci renferme, selon ses dires, «des risques et des pièges, dont le fait de travestir l'identité tunisienne et le retour douteux à l'article 80 de la constitution de 2014 sur le péril imminent, à travers lequel le Chef de l'Etat s'attribue de larges prérogatives, dans des conditions qu'il est le seul à décider, pouvant être le prélude à un régime dictatorial». La sphère politique réagit ! Sur le plan politique, l'opposition à ce projet ne fait que grandir. Si d'ores et déjà le Front de salut s'oppose à tout le processus politique entamé par le Président de la République, d'autres partis ont appelé le Président de la République à renoncer à cette démarche. De son côté, l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a laissé le libre choix à ses adhérents de voter pour ou contre le projet de nouvelle Constitution. «L'Ugtt ne donne pas de consigne de vote et laisse la latitude à ses adhérents de voter par oui ou par non, au référendum du 25 juillet, sur le projet de la nouvelle constitution proposé par le Président Kaïs Saïed», a laissé entendre son secrétaire-général Noureddine Taboubi. En tout cas, Kaïs Saïed est appelé à réagir, alors que les délais notamment de la tenue du référendum sont pressants. Si d'habitude il ne fait que mettre tout le monde devant le fait accompli, cette fois-ci, Kaïs Saïed saura-t-il changer de démarche ? Pour son frère et professeur de droit constitutionnel Naoufel Saïed, la commission consultative acceptait dès le départ les règles du jeu : le dernier mot revient à Kaïs Saïed.