La société civile appelle à l'évaluation des impacts du partenariat tuniso-européen sur la Tunisie. Elle recommande d'orienter les négociations vers un accord équitable, à même de concrétiser le droit au développement La société civile nationale et euroméditerranéenne tire la sonnette d'alarme quant aux failles considérables marquant le processus des négociations sur l'accord de libre–échange entre la Tunisie et l'Union européenne. Des failles qui risquent d'engendrer de graves répercussions économiques et sociales et d'entraver la transition démocratique et la sécurité en Tunisie. En effet, dans le cadre d'une déclaration prononcée à l'occasion du vote du Parlement européen concernant l'ouverture des négociations sur un accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l'UE (Aleca), une vingtaine d'ONG tunisiennes, françaises et euro-méditerranéennes font part de leur inquiétude quant à la continuité d'un accord inéquitable, fondé sur l'asymétrie des chances et des droits des deux partenaires. Pour éclairer l'opinion publique sur les lacunes palpables, dues à l'absence d'une vision claire sur les perspectives d'avenir d'un tel partenariat, et afin d'inciter les décideurs à opter pour une stratégie et un processus réfléchis, à même de préserver la Tunisie des conditions européennes souvent handicapantes, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux ( Ftdes ) a organisé, hier à son siège, un point de presse au cours duquel il a procédé au repérage des hics qui seraient encore plus menaçant pour la Tunisie. Se conformer au principe de réciprocité M. Abdeljalil Bedoui, expert économique et membre du Ftdes, souligne l'impératif, pour la Tunisie, d'adopter une stratégie de négociations à même de lui faciliter la réalisation de ses objectifs. Tout comme il appelle l'UE à modifier ses stratégies de collaboration et d'échange avec ses partenaires. Depuis 1995, l'accord de libre-échange a toujours été fondé sur l'inégalité des chances, des acquis et des droits. Le principe, pourtant crucial, de réciprocité n'a jamais été respecté. Et pour preuve : 75% des exportations et 56% des importations tunisiennes sont liées au marché européen, ce qui confère à ce dernier le statut de principal marché pour la Tunisie. En revanche, le marché tunisien ne contribue qu'à 1% de l'économie européenne. «L'Union européenne doit substituer la logique dominant-dominé par celle gagnant-gagnant. Et pour aboutir à cette fin, il est nécessaire d'orienter la stratégie de libre-échange non plus vers le commercial, mais plutôt vers la concrétisation du droit au développement», explique M. Bedoui. De son côté, la Tunisie continue d'accepter les conditions et les suggestions presque imposées par l'UE, sans pour autant daigner peser le pour et le contre, réclamer des solutions et des approches plus équitables, à même de l'épauler dans son parcours démocratique. Ainsi, et à la grande surprise de la société civile, la Tunisie n'a toujours pas procédé à l'évaluation de 40 ans de partenariat tuniso-européen. Pourtant, une évaluation objective s'impose dans l'optique d'étudier l'impact de cet accord asymétrique sur l'économie, la société, le développement, l'environnement, etc. « Il faut instaurer le principe de l'intérêt commun entre les partenaires et œuvrer pour le codéveloppement et ce, conformément aux principes de la déclaration de Barcelone. La Tunisie doit aussi examiner la situation et déterminer ses besoins et ceux des pays maghrébins», renchérit M. Bedoui. Et d'ajouter qu'il est grand temps, pour l'UE d'adopter un plan de reconversion des dettes tunisiennes en un financement pour l'investissement. Qu'en est-il de la transparence ? Mme Jannette Ben Abdallah, journaliste, dénonce, pour sa part, le contournement de l'ARP dans l'ouverture des négociations. Selon elle, c'est à l'ARP de déposer le mandat de négociations, ce qui n'a pas été respecté. «Les négociations sur l'accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l'Union européenne sera l'épine dorsale du plan de développement pour le prochain quinquennat. Aussi, est-il indispensable de s'entendre sur les impératifs de la prochaine étape», indique-t-elle. De son côté, M. Jamel Aoudidi, homme d'affaires, attire l'attention sur les répercussions néfastes de l'accord de libre-échange avec l'UE sur l'économie tunisienne. Il estime que la Tunisie a perdu 50% de son industrie nationale. Quelque 1.380 institutions nationales ont été privatisées, ce qui a influé négativement sur le marché de l'emploi. Le déficit commercial, quant à lui, a atteint une valeur colossale de 20 milliards de dinars. Prenant la parole, M. Ahmed Ben Mostapha, ex-ambassadeur, rappelle que le partenariat tuniso-européen date de 1969. La Tunisie a réussi un tant soit peu à résister une décennie durant pour sombrer, dans les années 80, dans l'endettement. Depuis, elle n'a pas réussi à remonter la pente. Du coup, elle n'est plus souveraine de ses choix économiques. Plus jamais de visa ! Pour sauver la situation et réussir à tirer profit du partenariat tuniso-européen, sur fond d'égalité et de réciprocité, les vingt ONG signataires de la déclaration recommandent au gouvernement d'évaluer les impacts de l'accord de libre-échange sur l'économie, la société, le développement et l'environnement en Tunisie. Un accord équilibré et harmonieux entre les deux partenaires serait d'une grande utilité pour une Tunisie démocratique, qui tend à réaliser les objectifs de la révolution et concrétiser le droit au développement et à la dignité. Par ailleurs, la société civile appelle à l'accès à l'information sur les négociations et à son implication dans le processus et ce, à travers l'instauration d'un cadre institutionnel approprié. Elle souligne, enfin, l'importance de garantir la mobilité des personnes, et ce, sur un pied d'égalité, d'où la nécessité d'annuler le visa.