Si les moyens manquent terriblement, la volonté et l'énergie y sont Démarrage, mercredi dernier, de «Tunis, capitale de la danse», qui se poursuivra jusqu'au 1er mai, avec un nouveau concept « Fabrica », qui permet à des jeunes des régions de danser, mais aussi de monter leurs pièces chorégraphiques et de les présenter au jury dans le cadre d'un concours des jeunes compagnies de danse régionales, assorti de trois prix pour le meilleur spectacle, d'une valeur de 10 mille dinars, 5 mille D et 2.500 D. La salle 4e Art a abrité ces olympiades devant un public nombreux, composé essentiellement d'enfants initiés à la danse, accompagnés de leurs parents, de jeunes danseurs ainsi que des membres du jury. Une projection d'un making of a montré le travail colossal entrepris durant huit mois par Ness el Fen avec une centaine de danseurs dans 9 régions : Sidi Bouzid, Gafsa, Gabès, Mahdia, Tozeur, Sfax, Kasserine, Siliana et Tunis. Le making of rend compte des conditions difficiles dans lesquelles se font les répétitions dans des régions où parfois il n'y a ni maison de culture, ni maison de jeunes et même si celles-ci existent, elles ne consacrent à la danse qu'une heure de temps par jour. Volonté et énergie Certains se sont désistés, d'autres ont continué l'aventure. L'une de leurs coachs, Pascalina de Axe, Ecole supérieure de danse contemporaine de Paris, estime, au-delà de la danse en elle-même, que cette expérience « est une aventure humaine d'une volonté d'aller contre une fatalité » précisant qu' « il faut être généreux parce que l'art a besoin de lieux, de formation régulière pour les danseurs. Il faut leur donner la possibilité de s'exprimer librement. Ils ont envie de dire des choses. Ils ne savent pas forcément comment le faire parce qu'ils n'ont pas les moyens. Je les ai coachés durant quelques jours et j'ai été agréablement surprise. J'ai constaté qu'ils ont envie d'apprendre, ils sont prêts à écouter et à travailler ». Si les moyens manquent terriblement, la volonté et l'énergie y sont. Les exercices proposés suite à ce making of prouvent qu'il y a bien des potentialités à exploiter chez ces jeunes danseurs de 16 à 23 ans qui ont abandonné tôt les études et se retrouvent sans travail précis. La danse constitue pour eux un refuge et leur donne l'espoir de voyager vers un ailleurs meilleur. D'ailleurs, certains d'entre eux viennent pour la première fois à Tunis. Place, donc, a été faite à quatre compagnies de Sidi Bouzid, Tozeur, Gafsa et Gabès pour des démonstrations de leur aventure chorégraphique qui révèle leur capacité à maîtriser l'espace et le corps, même si la gestuelle n'est pas tout à fait au point. Philippe Vareilles, journaliste de La Lettre du spectacle, spécialisé dans la danse, auteur d'un dizaine de livres sur la danse et habitué des Rencontres chorégraphiques de Carthage, considère qu'il s'agit là d'«une aventure formidable. C'est étonnant pour ces jeunes de penser qu'il y a 8 mois l'idée de monter sur un plateau était impensable. Le simple fait qu'une centaine de très jeunes danseurs s'essaient à la danse est en lui-même un exploit. Même si ce qu'ils ont présenté n'est pas un travail de professionnels, il y a les prémices d'une belle ouverture qui va permettre à quelques danseurs d'émerger. Il s'agit là d'une première étape, compte tenu de la vitesse avec laquelle les choses se sont faites, c'est tout simplement époustouflant ». Le critique a par ailleurs fait remarquer qu'il y a quelques danseurs tout à fait intéressants et qui ont des capacités d'évoluer. « Chez les danseurs de Sidi Bouzid, il y a quelque chose de rageur dans leur façon de faire. Je ne veux pas trop m'engager parce que la dynamique de groupe fait que certains peuvent avoir une façon de réagir différente par rapport à l'ensemble. Les danseurs de Sidi Bouzid et de Gafsa ont quelque chose d'étonnant, mais je n'ai pas tout vu », a-t-il confié. Tous ces jeunes, en majorité des garçons, aspirent à la gloire et à un avenir meilleur. L'initiatrice de ce projet Syhem Belkhoja leur promet une tournée locale durant la prochaine saison estivale. Suite marathonienne Ce marathon de la danse se poursuit au Mondial avec deux solos de danseurs professionnels. Le premier « Ras à Ras » est signé Mohamed Cheniti. Ce danseur chorégraphe a présenté auparavant dans le cadre de Tunis, capitale de la danse « Tajarod », il revient avec « Ras à Ras » dans laquelle il fait évoluer un corps prisonnier entre deux mondes que sépare symboliquement une porte. La deuxième pièce « Kif Enek » de la jeune danseuse chorégraphe Amel Laouini se veut un hymne au peuple palestinien déchiré par une guerre qui n'en finit pas. Amel Laouini, par sa gestuelle farouche et répétitive, exprime tout le désarroi de ce peuple. La photo d'une vieille femme et une peau de mouton représentent cette Palestine meurtrie et blessée. La chorégraphe s'est formée aux côtés de Imed Jemaâ et a dansé dans ses spectacles. Heyfa Bouzouita, Hamdi Dridi, Imed Jemaâ, Hafedh Zellit, Oumaima Ayari, Seifeddine Manai, Rachid Ouramdane ainsi que d'autres danseurs venus des régions du pays agrémenteront les prochains jours Tunis, capitale de la danse, qui devraient attirer plus de spectateurs, surtout que l'entrée dans les salles est gratuite.