Plus de 80 % des journalistes victimes n'ont jamais eu recours à la justice. La moitié ou presque des interrogés ont déclaré ne plus avoir confiance en la justice, tandis que 44% ont justifié cette passivité par le fait que les procédures judiciaires traînent en longueur A la veille du 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, les nouvelles qui nous viennent de l'unité d'observation au sein du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp) ne sont guère rassurantes : 321 journalistes, hommes et femmes, ont été victimes d'actes de violence (219) dans la période allant d'octobre 2014 à décembre 2015. Pis encore, quelque 85 entreprises médiatiques et structures professionnelles ont, elles aussi, subi le même sort. Un quotidien arabophone «Achourouk», la première chaîne de télévision nationale, radio Mosaïque FM et trois autres chaînes privées, à savoir Hannibal, TNN et Al Hiwar Ettounsi sont des médias reconnus comme les plus exposés à des actes d'agression dont 51 % ont été enregistrés dans le Grand Tunis. A noter que 65 % de ces atteintes ont trait au droit d'accès à l'information. Ces chiffres tant éloquents qu'alarmants ont bel et bien étayé le contenu du rapport annuel du Ctlp présenté hier lors d'une conférence de presse, organisée sous une tente dressée à l'avenue Habib-Bourguiba en plein centre de Tunis. Le rapport de presque 150 pages aborde la réalité des médias, sous un angle précis : «la liberté d'expression aux enchères de la sécurité et du terrorisme». Cela dit, entre l'exigence du professionnalisme et le droit d'informer, le métier est aux abois. M. Mahmoud Dhawadi, président dudit centre, a souligné que 2015 a été l'année de toutes les difficultés, où le journaliste a été la cible de toutes les atteintes dont les auteurs sont multiples. Les sécuritaires en sont les premiers coupables avec 62 cas de violence, devançant l'administration (21 cas), le ministère public et les citoyens (32 cas au total). Ce qui démontre que le journaliste n'est plus à l'abri de tout risque, bien qu'il soit le témoin des faits. Sa neutralité à l'égard des événements en fait l'historien de l'instant dont la mission n'est que la médiatisation de la réalité et sa communication auprès du large public. Et M. Dhawadi d'ajouter que le citoyen, pour qui cette mission est accomplie, doit reconnaître un tel service qui lui est rendu. Sous prétexte de lutte antiterrorisme, où la profession est entièrement engagée, son droit à une information libre et crédible risque d'être confisqué. Toutefois, face à ces agressions commises à leur encontre sur les lieux du travail, plus de 80 % des journalistes victimes n'ont jamais eu recours à la justice. Car la moitié ou presque des interrogés parmi eux ont déclaré ne plus avoir confiance en la justice, tandis que 44% ont justifié cette passivité par le fait que les procédures judiciaires traînent en longueur. Volet protection, il y a une quasi-unanimité sur l'absence de mécanismes susceptibles de protéger la profession, à même de condamner les coupables d'agression. C'est que l'impunité l'emporte toujours, favorisant le musellement des voix et le rétrécissement de la marge des libertés arrachées. Et la loi contre le terrorisme est considérée comme un des outils juridiques des plus liberticides. S'y sont opposés la majorité des professionnels (87%). L'épée de Damoclès, à vrai dire. De même, le projet de loi d'accès à l'information, encore en suspens, ne semble donner aucune garantie. Son retrait par le gouvernement en juillet dernier n'est guère perçu comme de bon augure. C'est plutôt le revers de la médaille. Et pour cause. La profession devrait retrouver sa place, loin de toute forme de censure et d'autocensure, défend M. Mondher Cherni, avocat et conseiller auprès dudit centre. «La liberté de la presse n'est pas un luxe...», renchérit-il, du reste.